80e anniversaire du Débarquement : "malgré nous" en Normandie (figures, 8/8)

Ils portent l’uniforme allemand contraints et forcés : plusieurs milliers de jeunes Alsaciens et Mosellans se retrouvent eux aussi plongés dans la Bataille de Normandie.

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Raymond Dussort.
Raymond Dussort. (©Collection privée)
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Le 4 juillet 1940, l’Alsace, la Moselle, le Luxembourg et plusieurs cantons belges sont annexés au Reich allemand : celui-ci entend rétablir ses frontières d’avant le traité de Versailles de 1919.

Les nouvelles provinces allemandes sont aussitôt germanisées : interdiction de parler français, salut nazi obligatoire, enseignement en allemand, mise en place d’une administration allemande…

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Incorporation de force

Et pour clore le tout, l’incorporation de force des jeunes hommes (et femmes) dans les rangs de l’armée allemande : ceux qu’on a appelés les “Malgré-Nous” (les “Malgré-Elles” pour les femmes), pour souligner cette contrainte à laquelle il était impossible de se soustraire, sous peine d’emprisonnement, de représailles contre la famille, voire d’exécution.

Au total, ce sont 130 000 Alsaciens et Lorrains qui ont été ainsi incorporés de force dans l’armée allemande pendant la Seconde Guerre mondiale.

Albertine Keller.
Albertine Keller. (©Collection privée)

Au sein des forces allemandes engagées en Normandie, on a compté évidemment de nombreux “Malgré-Nous” : 900 incorporés dans les divisions SS, plus encore dans les unités de la Wehrmacht.

On sait également que 104 de ces hommes sont morts dans les combats, et qu’on compte dans leurs rangs environ 150 désertions : beaucoup de ceux qui réussiront à finalement se sortir des griffes allemandes, s’engageront plus tard dans la 2e DB de Leclerc ou la 1re armée française (celle qui débarque en Provence à la mi-août 1944).

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Complicité de la population

Et parmi ces désertions, un bon nombre d’entre elles seront rendues possibles grâce à la complicité de la population civile normande.

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C’est par exemple le cas d’Armand Durlewanger et Joseph Meyer, qui vivent une incroyable histoire : engagés dans la bataille du Mont-Castre, près de La Haye-du-Puits, les deux jeunes hommes font partie d’un groupe de “Malgré-Nous” désireux de se rendre aux Américains.

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Sept d’entre eux décident d’attendre l’arrivée des Américains en portant des draps blancs, tandis que Durlewanger et Meyer préfèrent se retirer. Bien leur en prend puisque leurs sept camarades vont finalement être retrouvés morts, tués par les Américains.

Réussissant finalement à déserter, Durlewanger et Meyer sont repris par les Allemands et condamnés. Au moment d’être fusillés, un chasseur-bombardier allié vient semer la panique dans les rangs allemands et les deux jeunes en profitent pour s’échapper.

Jean Hugel.
Jean Hugel. (©Collection privée)

Ils arrivent jusqu’à Agon-Coutainville, où l’abbé Bailleul les prend sous sa protection avant de les confier au Dr Guillard, le directeur de l’hôpital de Coutances. Uniformes et papiers allemands détruits, équipés d’une minerve et recouverts de plâtre pour simuler de multiples fractures, les deux jeunes Alsaciens pensent être sortis d’affaire, quand la Gestapo fait irruption dans l’hôpital.

Guillard ne se démonte pas, et indique aux sbires allemands que s’ils pénètrent dans la chambre où sont couchés les deux hommes, ils seront exposés au typhus. La Gestapo s’éloigne sans demander son reste…

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L’officier venu du même village

Mais l’histoire n’est pas encore finie : les Américains arrivent finalement à Agon-Coutainville fin juillet, et veulent emprisonner les deux Alsaciens. Un officier de l’Intelligence Service arrive alors, qui pose de multiples questions aux deux hommes, dans un excellent français au fort accent alsacien : Où habitez-vous ? Connaissez-vous untel dans tel village ? Comment s’appelle le maire de la commune ?

Marie-Rosalie Spiegel.
Marie-Rosalie Spiegel. (©Collection privée)

Au bout d’un interrogatoire serré et de réponses toutes plus exactes les unes que les autres, l’officier de l’Intelligence Service, convaincu de leur histoire et les larmes aux yeux, serre les deux jeunes “Malgré-Nous” dans ses bras : ils sont tous les trois issus du même village de Bischwiller en Alsace…

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Le "Malgré-Lui" de Saint-Joseph

Maurice Pesnel s’en souvient encore comme si c’était hier : “Parmi les Allemands cantonnés à Saint-Joseph, il y avait un Alsacien enrôlé “malgré-lui” dans la Wehrmacht. Il s’appelait Michel Klein, et nous avait informés de sa situation. Le matin du 6 juin, alors que tous les Allemands se préparaient en hâte pour aller sur la région du débarquement, il est venu voir ma mère et lui a demandé des vêtements civils. Ma mère lui a donné un costume de mon père, et il est parti. Après, on a su qu’il s’était un temps réfugié à Vaudrimesnil, avant de finalement se rendre aux Américains à Saint-Ovin, à côté d’Avranches. Les Américains l’ont amené à Cherbourg, où une commission a reconnu qu’il n’avait pas été volontaire pour servir dans l’armée allemande. Il a ensuite été envoyé en Angleterre, pour travailler dans un dépôt d’uniformes pour l’armée anglaise. C’est là qu’il a repris contact en nous envoyant une lettre dans laquelle il nous demandait, dès que l’Alsace serait libérée, de prévenir sa femme qu’il était vivant. Ce qu’on a fait bien sûr.
Deux ans plus tard, il est revenu à Saint-Joseph avec sa femme et ses deux petites filles. Sa femme n’avait jamais vu la mer : on les a emmenés à Quinéville se tremper les pieds. Et plus tard, quand j’ai fait mon service militaire en Allemagne, à la frontière, je passais toutes mes permissions chez lui”.

Frédéric Patard

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