J’AI 10 ANS ET MON JOLI MONDE S’ÉCROULE

Depuis toute petite, j’ai toujours rêvé de me marier, d’avoir des enfants, un chien, une jolie maison. J’ai eu une enfance tellement heureuse que j’avais hâte de pouvoir m’épanouir au sein d’une grande famille. J’avais un demi-frère de quinze ans mon aîné, Didier, que ma mère avait eu d’un premier mariage, une grande sœur, Isabelle, et un frère jumeau, Éric. On s’entendait tous très bien. Le couple que formaient mes parents était pour moi un couple modèle. Ils étaient tous les deux fonctionnaires dans l’Éducation nationale. Mon père était épris de culture, biberonné à Cat Stevens et à Bob Dylan, et ma mère était très présente, toujours à l’écoute, très aimante. J’étais joyeuse, et ma vie était légère comme celle d’un oiseau voletant au gré du vent. Jusqu’à ce jour de 1978, où j’ai décroché le téléphone et où une dame demande à parler à ma mère. Je prends le combiné dans une autre pièce et entends un cinglant : « Vous savez que vous êtes cocue, madame ? » C’était la maîtresse de mon père, Maryse – je me souviens encore de son prénom –, une employée de l’établissement scolaire où il était intendant. J’avais 10 ans et j’ai eu l’impression que mon joli monde s’effondrait. L’infidélité de mon père le faisait tomber d’un seul coup de son piédestal, moi qui l’admirais tellement. J’ai su, bien plus tard, que ma mère était déjà au courant après avoir engagé un détective privé qui les avait suivis et pris en photo. Photos que j’ai retrouvées lors d’un déménagement, ainsi que toute une correspondance que mes parents entretenaient à cette époque.

UNE VIE SENTIMENTALE ET SEXUELLE GÂCHÉE

À 10 ans, je ne comprenais pas pourquoi un mari pouvait avoir envie de tromper sa femme. J’ai appris longtemps après que la vie amoureuse de mes parents n’était, comme pour bien d’autres couples, pas toujours au beau fixe. Un an après la mort de son premier mari, ma mère avait rencontré mon père, et était tombée enceinte au bout de trois mois... Ils se connaissaient très peu, mais mon père avait fait le choix d’assumer cet enfant et de fonder un foyer. J’ai ressenti son infidélité comme un coup de canif, une blessure qui m’a touchée en plein cœur. Et qui m’a poursuivie plus longtemps que je ne l’aurais pensé. Toute ma vie amoureuse et sexuelle a été marquée – je m’en rends compte aujourd’hui – par cet épisode-là : j’ai eu énormément de mal à faire confiance aux hommes. J’avais de nombreuses aventures mais je craignais tellement de souffrir que dès que je rencontrais quelqu’un, je me méfiais et je le quittais au bout de quelques mois. Dès que je sentais qu’il tombait amoureux, je fuyais. Au début, ce qui m’importait le plus c’était leur physique, qu’ils soient beaux, qu’ils rayonnent. Je jouais des personnages, j’étais tour à tour la sœur, la mère, la maîtresse, je n’avais de cesse de flatter leur ego, j’aimais ce qu’ils aimaient, je devenais celle qu’ils voulaient que je sois, sans jamais être vraiment moi-même. À un moment de ma vie, je suis même sortie avec trois hommes en même temps ! Je m’attachais très vite mais je m’interdisais de m’abandonner vraiment.

JE TROMPAIS, SANS CULPABILITÉ

J’ai malgré tout eu deux longues histoires, avec des hommes formidables, mais j’ai fini par les tromper sans la moindre culpabilité. Mes compagnons étaient de bons pères de famille, sérieux, tous deux passionnés par leur job, l’un dans le commerce, l’autre dans le paysagisme. De ces unions sont nées Margaux et Alix, 30 ans et 12 ans aujourd’hui. Mais je m’ennuyais, je ne supportais pas la routine. Je ne me suis donc jamais mariée. Mes filles, elles, sont ma force, elles m’ont fait grandir, m’ont protégée et j’ai senti à l’aube de mes 50 ans que je commençais à changer, à mûrir, à parvenir à soigner un peu les blessures de mon enfance. J’avais ressenti l’adultère de mon père comme une trahison vis-à-vis de ma mère mais surtout vis-à-vis de moi. Cette histoire avait démoli le sentiment de sécurité que j’éprouvais à la maison. À l’école, je subissais des petits tracas, j’étais « boulotte », on se moquait un peu de moi, alors quand je rentrais à la maison, je me sentais bien, protégée, comme dans un cocon. Et puis, au fil des années, j’ai commencé à guérir à travers mes rencontres, j’ai appris à écouter les autres, à faire confiance, entreprenant un gros travail sur moi-même. Je me sens un peu comme l’héroïne du livre « L’Élégance du hérisson », cette concierge qui se cache derrière une apparence peu amène pour que personne ne découvre sa grande intelligence, sauf qu’à la fin j’ai fini par vraiment m’ouvrir au monde.

MA MÈRE, MON HÉROÏNE

Et celle qui m’a aidée à guérir, c’est ma mère. Je la voyais beaucoup plus que mes frères et sœur. Je la regardais vivre, je me suis toujours sentie très proche. Dès que je le pouvais, je passais du temps avec elle. Elle vivait le moment présent, tout ce qu’elle faisait, c’était toujours en pleine conscience, toujours concentrée... Et ça a été un vrai déclic dans ma reconstruction. Elle parlait rarement de son passé, de son départ d’Oran, de ses parents, de son premier mari, de l’infidélité de mon père... Elle parlait peu du passé, peu de l’avenir, mais vivait au présent ! Elle m’a appris le pardon, la fidélité et à aimer avec le cœur. Jamais de réflexions malsaines, toujours des éloges, des mots gentils et positifs. Ma mère n’a eu que deux hommes dans sa vie. Elle disait : « On ne se marie qu’une seule fois, c’est un principe. » Mon père et elle ont fini par divorcer au bout de vingt ans. Aucun des deux n’a refait sa vie, bien que mon père ait rencontré de nombreuses femmes. Ils sont restés très unis, très proches, animés d’un respect mutuel qui force l’admiration. Ma mère a aujourd’hui 89 ans et vit en maison de retraite, mon père lui rend visite trois fois par semaine.

Et, au fil du temps, je me suis enfin sentie prête à redevenir « moi », comme quand j’avais 10 ans, avec mes rêves et ma joie en bandoulière. Fred est entré dans ma vie, depuis bientôt un an. On s’est rencontrés un été en Espagne. C’était une connaissance de ma cousine, il était séparé de sa femme après trente ans de vie commune. On s’est revus à Paris où il habite, on s’est aimés en secret. Je trouvais notre histoire tellement belle depuis le début que j’avais envie de la garder pour moi. Il prend sa retraite en septembre. Une partie de sa famille vit dans le Sud. On vient de décider de s’installer ensemble. On se projette enfin ! Fini les mensonges, les doubles vies, j’ai compris que ce n’était pas en croyant venger ma mère que j‘allais cicatriser, mais en reprenant confiance en moi, en osant l’introspection, la bienveillance et le partage. C’est l’amour, le beau, le vrai, le pur qui fait que le chemin est magnifique. Et puis je vais bientôt être grand-mère, ma fille aînée attend un enfant. Je me demande toujours comment aurait été ma vie si mon père n’avait pas trompé ma mère. Aurais-je seulement aimé un seul homme ? Aurais-je été plus apaisée, plus légère, plus sincère ? Je l’ignore. Ce que je sais, c’est que je dois tout à ma mère et que c’est elle qui m’a appris à pardonner à mon père, à comprendre que c’était leur histoire et non la mienne. J’ai enfin trouvé la paix avec les hommes et avec moi-même.