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Jude Law au JDD : « J’aimerais améliorer mon français pour tourner un film dans votre langue »

PERFORMANCE. L’acteur anglais est méconnaissable dans le rôle du roi Henri VIII en fin de vie. Il raconte, auprès du JDD, sa transformation physique et son plaisir de se mettre en danger.

Propos recueillis par Stéphanie Belpêche
Jude Law.
Jude Law. SIPA / © JP Pariente

Il s’est imposé comme l’un des acteurs britanniques les plus talentueux de sa génération. À 51 ans, Jude Law, révélé par le film d’anticipation aujourd’hui culte Bienvenue à Gattaca (1997) d’Andrew Niccol, est un touche-à-tout, avec plus de 50 films au compteur, mis en scène par les plus grands réalisateurs : Clint Eastwood (Minuit dans le jardin du bien et du mal), Steven Spielberg (A.I. Intelligence artificielle), David Cronenberg (eXistenZ), Sam Mendes (Les Sentiers de la perdition), Martin Scorsese (Aviator), Steven Soderbergh (Contagion), Wong Kar-wai (My Blueberry Nights)…

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Il est même devenu Albus Dumbledore jeune dans Les Animaux fantastiques, saga dérivée de Harry Potter ! Il revient aujourd’hui dans le rôle du roi Henri VIII dans Le Jeu de la reine, de Karim Aïnouz. Entretien avec un comédien affable et volubile lors de son passage à Paris.

Le JDD. Aimez-vous vous transformer physiquement ?

Jude Law. En effet. Et particulièrement relever un défi : trouver la motivation d’incarner un personnage. Je n’entreprends jamais rien au hasard, j’ai toujours une bonne raison. Comme je dois parvenir à une exactitude et une vérité dans l’appréhension d’un rôle, il faut que je m’en rapproche le plus possible. Voilà pourquoi je déteste l’imitation ! Je puise la justesse et l’authenticité au plus profond de moi, tout en observant un certain recul : c’est un équilibre précaire, comme une danse, car je fais sans arrêt des allers-retours entre fiction et réalité. Le costume, la coiffure, le maquillage et les prothèses participent de ce processus.

En l’occurrence, pour Henri VIII, la métamorphose s’est effectuée par étapes. J’ai d’abord eu une conversation avec les responsables des départements que je viens de vous citer de longs mois avant le tournage, pour réfléchir à la manière d’obtenir l’effet escompté. Je l’avoue : je ne voulais pas me cacher derrière ce roi iconique mais décrié. Le monstre est sorti de moi grâce à d’infimes changements au niveau de mon implantation capillaire, de ma barbe qui me donnait un visage carré…

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Comment avez-vous imaginé le personnage ?

Henri VIII a une silhouette extrêmement familière, nous nous sommes conformés aux attributs de base mais sans forcer le trait non plus pour restituer au détail près son portrait. Je n’envisageais pas un faux nez par exemple, parce qu’on n’aurait vu que ça. Pour la tenue, il y avait sur le plateau des couturiers qui avaient travaillé sur d’autres fresques historiques et élaboré des vêtements à la main avec un soin remarquable. En général, on évite les gros plans sur les tissus si le résultat est approximatif. Ce n’était pas du tout le cas ici, j’ai pris conscience de l’ampleur du projet. Tout cela m’a beaucoup aidé. La première fois que je me suis regardé dans la glace avec cet accoutrement, je n’ai pas pu dissimuler mon excitation. Les autres étaient terrifiés !

Avez-vous pris du poids ?

Oui, un peu. Mais, de surcroît, on a utilisé des sacs de lest accrochés aux endroits stratégiques pour alourdir ma silhouette. Le pire se situait au niveau des jambes, du coup, j’avais du mal à me déplacer et à me mouvoir. De même, les chaussures que je portais avaient un impact sur la façon dont je marchais : j’avais très mal aux pieds. Tout a été réfléchi. En outre, Henri VIII avait été blessé à une cuisse lors d’une joute, la plaie s’est ulcérée et a suppuré jusqu’à sa mort. Nous avons parlé à un médecin de sa pathologie, apparemment très douloureuse quand on n’a pas d’antalgiques à sa disposition ! J’ai demandé à ce que soient diffusées sur le plateau des odeurs désagréables pour que chaque individu présent sente la saleté et le pourrissement de son corps et développe une réaction viscérale.

Vous êtes attiré par les films d’époque ?

Occasionnellement. Je ne me suis pas tellement illustré dans ce registre. L’idée de jouer Henri VIII à cette période de sa vie m’intéressait énormément. Il a derrière lui la gloire et les triomphes. Dans le passé, il fut un grand homme, d’une beauté spectaculaire. Il a tout gâché. On le découvre diminué, déchu, obèse, n’ayant plus toute sa tête et le corps en décomposition, littéralement. Quelle matière incroyable à pétrir, d’autant que j’avais plein de références à ma disposition !

Karim Aïnouz adopte le point de vue de Catherine Parr, sa sixième femme, qui lui a survécu. Il souhaitait humaniser et désacraliser le monarque avec un regard horizontal, pour ne pas le prendre de haut et essayer de décrypter son comportement tyrannique. Sans jamais émettre de jugement à son égard. Il traite la relation toxique avec modernité. Karim, qui a grandi dans une maison régie par le matriarcat, m’a inspiré, soutenu et amusé. Il m’a aussi communiqué sa liberté et son énergie. Je suis sorti de cette expérience avec une immense satisfaction. J’ai bossé dur, je me suis dévoilé et j’ai exploité à fond mes ressources.

Peut-on éprouver de l’empathie pour Henri VIII ?

Je ne sais pas, en tout cas je comprends son attitude irrationnelle et qu’il glisse peu à peu dans la folie. Il n’était pas destiné à régner. Son frère, si. Quand ce dernier est mort, Henri a été propulsé sur le trône. Il a eu une enfance heureuse et épanouie, notamment en pratiquant le sport. Une fois qu’on lui a remis les clés du royaume, il a été hissé au rang de dieu et adulé par les femmes. Il a pété les plombs ! Son horrible blessure n’a rien arrangé. Cela offre quelques clés pour cerner la manière dont il agissait. Mais cela ne l’excuse pas.

« Le cinéma est désormais tourné vers la diversité, en donnant la parole aux voix qui doivent être entendues »

Que pensez-vous de la lecture féministe du film ?

Le cinéma est désormais tourné vers la diversité, en donnant la parole aux voix qui doivent être entendues. Je suis là pour les écouter. Catherine Parr était une femme indépendante qui a conquis le pouvoir en remplaçant sur le trône Henri VIII, devenant par conséquent son égale. Elle a utilisé son intelligence pour s’émanciper d’un mariage délétère, elle n’a rien lâché ets’est élevée.

Est-il, selon vous, nécessaire de dénoncer les violences domestiques et les féminicides ?

Filmer les scènes de violence engageait notre responsabilité. Le sujet est sensible, car des tragédies arrivent hélas tous les jours. À l’époque, les femmes étaient victimes du patriarcat même au sein de l’Église qui les considérait comme des sorcières et des hérétiques et les condamnait au bûcher. Ma partenaire, Alicia Vikander, n’avait peur de rien et me poussait dans mes retranchements en me demandant d’y aller sans retenue. Je l’ai trouvée très courageuse. Je suis fier qu’elle se soit sentie en sécurité au point qu’on pouvait s’aventurer dans des territoires plus sombres. Je croyais qu’elle serait perturbée et éprouvée. En fait, c’est moi qui l’ai été ! Nous avons été très audacieux, mais cela en valait la peine.

Comment choisissez-vous vos rôles ?

J’aime me mettre en danger. Parfois, j’ai simplement envie de travailler avec quelqu’un. Pour qu’on m’emmène dans une direction inconnue. J’adore observer les réalisateurs à l’œuvre. Chacun a une approche différente, j’absorbe comme une éponge leurs enseignements. Un défi sous-entend un risque, mais aussi une récompense. Cette fois, j’espère ne pas être haï par le spectateur ! Mon métier me nourrit. Jouer me permet de savoir qui je suis, de partager et d’apprendre.

Avez-vous pensé à Contagion (2011) de Steven Soderbergh, dont vous teniez l’un des rôles principaux, pendant la pandémie ?

Une œuvre visionnaire. Sur le plateau, les experts scientifiques nous avaient prévenus que ça allait arriver. Donc je n’ai pas été surpris quand le Covid est apparu. J’ai été sidéré de constater que le film figurait parmi les plus vus pendant le confinement. Alors que la fin était épouvantable. Il faut être un peu maso !

« Je possède une maison en bord de Loire, je me résous à y passer plus de temps »

Quels souvenirs gardez-vous de Stalingrad (2001), votre unique expérience française avec Jean-Jacques Annaud ?

C’était il y a déjà vingt-cinq ans, vous vous rendez compte ? Mais je m’en souviens parfaitement. J’en ai bavé physiquement. À l’époque, on pouvait faire un film ambitieux au budget moyen tout en étant libre et créatif. De nos jours, impossible. Les décors étaient construits à partir de zéro, avec peu d’effets spéciaux. Ce type de mise en scène a été progressivement effacé, cela me rend nostalgique. J’aimerais améliorer mon français pour tourner un film dans votre langue. Je possède une maison en bord de Loire, je me résous à y passer plus de temps. Olivier Assayas est un ami depuis que nous avons été membres du jury du Festival de Cannes en 2011. Je rêverais qu’il me dirige un jour.

Quels sont vos projets ?

J’ai découvert l’univers des séries avec The Young Pope (2016), envisagé comme un long métrage de dix heures par Paolo Sorrentino. J’ai terminé Skeleton Crew, qui appartient à l’univers Star Wars, et je commence les prises de vues en avril de Black Rabbit pour Netflix, mettant en scène la relation pernicieuse entre deux frères. Du côté du cinéma, je serai dans The Order, un polar signé Justin Kurzel, et Eden de Ron Howard, l’histoire vraie, dans les années 1930, de personnes qui partent vivre sur une île déserte des Galápagos. Ce genre d’aventure me séduirait, mais sans les conséquences : ils sont tous devenus dingues !

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