Au lycée Maurice-Ravel, après le départ du proviseur, l’ambiance est lourde et la confusion toujours présente

Devant l’établissement, l’ambiance était lourde chez les profs et les interrogations nombreuses parmi les élèves.
FLORIAN DAVID / AFP Devant l’établissement, l’ambiance était lourde chez les profs et les interrogations nombreuses parmi les élèves.

LAÏCITÉ - « Les gars, ça filme ! Y’a CNews, on va passer à la télé ! » Le lendemain de l’annonce du départ du proviseur de la cité scolaire Maurice-Ravel, les caméras sont alignées devant l’établissement du 20e arrondissement de Paris. Si certains élèves se réjouissent de l’attention, les enseignants, eux, tentent de sortir discrètement du bâtiment et refusent de parler à la presse des évènements qui bousculent, depuis un mois, la vie du collège et du lycée.

Les enseignants dans une « terrible solitude » face aux menaces et agressions, pointe un rapport

Tout commence le 28 février, quand le proviseur rappelle « à trois élèves l’obligation de retirer leur voile dans l’enceinte du lycée ». « L’une d’elles, majeure et scolarisée en BTS, a ignoré le proviseur, ce qui a provoqué une altercation », détaille alors le parquet à l’AFP.

La nature de cette altercation fait l’objet de plusieurs versions. Quelques jours après les faits, la jeune fille concernée raconte au Parisien avoir été « tapée violemment au bras » (une plainte déposée par l’élève a été classée sans suite, ce mercredi 27 mars, pour « infraction insuffisamment caractérisée »). Des rumeurs sur les réseaux sociaux parlent, eux, d’une gifle. Tandis que la directrice de l’académie de Paris, Valérie Baglin-Le Goff, reconnaît, le 5 mars, « une main sur le dos » de l’élève.

« Pour nous, c’était réglé »

Aux côtés de la directrice ce jour-là, la ministre de l’Éducation nationale Nicole Belloubet est présente à Maurice-Ravel pour soutenir le corps enseignant. Car la polémique a pris de l’ampleur : des menaces de mort ont été proférées envers le proviseur sur Internet et une enquête pour cyberharcèlement est ouverte.

Depuis, les choses semblaient s’être plus ou moins apaisées dans la cité scolaire. « Pour nous, c’était réglé », commente Elisa*, élève de seconde. C’était sans compter sur l’annonce du départ anticipé du proviseur ce mardi 26 mars. À quelques mois de la retraite, il aurait en effet décidé de quitter l’établissement « pour des raisons de sécurité », selon un message envoyé aux enseignants, élèves et parents. « On a été surprises de recevoir la nouvelle », poursuit l’élève.

Comme ses camarades, elle en a pris connaissance sur Pronote, la plateforme d’information de l’établissement. Mais l’annonce a aussi fuité dans les médias, provoquant de vives réactions, notamment du côté des syndicats enseignants. Sur Franceinfo, Élisabeth Allain-Moreno, secrétaire générale du SE-Unsa, déplore un départ qui « s’inscrit dans une série d’agressions et de drames de plus en plus resserrés » et souligne « la peur » du personnel enseignant.

« Un climat de tension »

Devant l’établissement du 20e arrondissement ce mercredi matin, le visage des professeurs en dit long sur l’ambiance pesante qui y plane. La plupart préfèrent garder le silence, à quelques exceptions près. Une enseignante de musique, agacée par la présence des journalistes, dénonce un incident « surmédiatisé ».

Elle reconnaît tout de même une ambiance dégradée dans l’Éducation nationale ces dernières années et des profs de plus en plus « visés ». « On n’avait pas ça avant, on est dans un climat de violence et de tension, ça perturbe psychologiquement. »

Deux enseignants stagiaires, présents dans l’établissement depuis quelques semaines, décrivent une réunion de profs tendue. « Quelqu’un s’est énervé et était dépité de la passivité et du manque de fraternité collégiale des enseignants pour s’indigner du départ du proviseur », raconte Hugo Joulain, 26 ans.

Pour de jeunes profs, cette expérience interroge sur leur choix de carrière. Une stagiaire de 21 ans, qui préfère rester anonyme, confie : « Ce genre d’épisode me fait réfléchir, je me dis qu’il faut faire attention à tout ce que l’on dit pendant nos cours, car ça peut porter préjudice à notre vie. Je pèse mes mots. »

Confusion autour des événements

Mais du côté des élèves, c’est surtout la nature de l’altercation qui préoccupe. En soutien à la lycéenne, un blocus a été organisé par ses camarades devant le lycée le 1er mars. Sur les grilles de l’établissement, on pouvait lire : « Élève frappée, lycée bloqué ! ». Dans l’entourage de Romain, élève de terminale croisé à la sortie des cours, on « soutient plutôt l’élève ». Le lycéen estime, lui, qu’il « y a eu une atteinte physique de la part du proviseur, pour une raison religieuse » et que son départ est donc ce qu’il y a de « mieux pour tout le monde ».

Mais ce qui marque le plus en écoutant les élèves, c’est la confusion et les divers récits qui circulent autour des événements. « Certains ont assisté à la scène et ont peur de parler, il y a aussi de faux témoins… C’est compliqué de savoir le vrai du faux parmi des centaines d’élèves, qui ont des centaines de versions différentes », commente Élisa.

Beaucoup reconnaissent aussi les conditions de travail difficiles du corps enseignant. « C’est un métier que je ne pourrais pas faire, estime Asya, élève de seconde. Je comprends qu’après Samuel Paty et ce qui s’est passé à Arras, certains profs aient peur. On est dans un climat hypertendu, entre les menaces d’attentat, les alertes à la bombe, les messages sur l’ENT… Il y a de plus en plus d’élèves insolents et ça peut vite dégénérer. »

Parler de l’incident en cours ou pas

Pour, Élisa, « les réactions en faveur de l’élève s’expliquent aussi parce que certains se sentent atteints directement, ils associent ça à de l’islamophobie ». Un sujet qui revient dans les témoignages, plusieurs adolescentes affirmant que l’interdiction de l’abaya décidée en début d’année scolaire a « accentué les tensions ».

Fadia, 17 ans, porte le voile. Selon elle, depuis l’incident, l’administration est « plus attentive envers les personnes musulmanes ». « Ils ont interdit à mon amie de porter des pulls oversize et des jupes longues, même des pantalons larges, affirme-t-elle. Ils disent que c’est de la provocation par rapport à ce qui s’est passé. »

Elle porte pourtant une jupe longue ce jour-là. « J’ai toujours un petit peu peur quand je croise l’administration, parce que je sais qu’on peut nous menacer d’appeler nos parents ou de nous signaler au rectorat », affirme-t-elle, tout en reconnaissant qu’elle n’a « pas senti d’hostilité de la part des enseignants ».

Pour ces jeunes filles, discuter de ces sujets en cours ou avec les enseignants n’est pas toujours simple, certains professeurs ayant, selon elles, « peur d’aborder certains sujets, de dire quelque chose de travers et que ça prenne une ampleur disproportionnée. »

Mais en cours d’Histoire-Géographie, dans la classe de terminale de Fadia, l’incident a au contraire été clairement discuté. « On en a reparlé et on s’est demandé comment la scène aurait dû se passer, sans que le proviseur soit accusé de violence. C’était une bonne démarche. »

*Les prénoms des élèves ont été modifiés.

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