Jean-Charles Naouri : ce Janus du commerce et de la finance [Edito]

Casino tourne officiellement ce 27 mars 2024 la page Jean-Charles Naouri. Portrait de celui qui dirigea ce Groupe depuis 1995.  

Partager
Jean-Charles Naouri : ce Janus du commerce et de la finance [Edito]
Jean-Charles Naouri, un homme brillant... et complexe

Beaucoup de choses ont été dites sur Jean-Charles Naouri qui n’est plus l’actionnaire majoritaire et le PDG du Groupe Casino depuis le 27 mars 2024. Il est vrai que l'homme de 75 ans ne laisse pas indifférent. Dès son arrivée dans le commerce en 1992, celui qui était surnommé le Mozart de la finance a été salué pour son intelligence. A tel point que beaucoup se demandaient pourquoi un tel cerveau se fourvoyait dans ce petit monde des épiciers. Déjà à cette époque on évoquait un personnage à double facette. Au fil des ans, de nombreux exemples ont démontré cette ambivalence, tel Janus dans la mythologie romaine qui était symbolisé par deux visages regardant deux points opposés.

Certains évoquent, par exemple, sa fâcheuse tendance à pousser dehors tous les grands managers qui brillaient un peu trop à côté de lui. Mais ils reconnaissent que ce génie qui compte un grand nombre d’ennemis (quasiment tous ses anciens alliés…) a aussi cette capacité à éblouir ses « proches », certes par de confortables rémunérations, mais aussi et surtout par cette intelligence qui subjugue quand d’autres n’y perçoivent que de la froideur. Ce grand fauve du capitalisme en a fasciné plus d’un, qui ont été prêts à le suivre sur des projets improbables ou insurmontables et avec, in fine, une grande fidélité. Mais comment ce jusqu’au-boutiste, cet inquiet permanent jusqu’à la paranoïa, qui pense n’avoir jamais tort et qui déteste reculer, ce joueur d’échecs (jonglant toujours avec plusieurs options stratégiques en même temps), cet homme qui, lorsqu'on lui présente une solution à un problème, pense systématiquement qu’il en existe une meilleure, a-t-il pu cumuler autant de milliards de dettes sans anticiper (du moins publiquement) que ce poids deviendrait un jour insupportable ? Celui qui aime tout prévoir doit regretter, seul dans son bureau, de ne pas avoir anticiper les gilets jaunes, la pandémie, la hausse des taux d’intérêt, la guerre en Ukraine, l’inflation, les fonds vautours, autant d’événements qui ont provoqué sa chute.

Confronté au réel et aux affres du quotidien

Toujours dans les contradictions de ce dirigeant hors normes, pourquoi, celui qui était à la tête de tant de salariés, est-il si peu doué (et même si peu fait) pour le management alors que ses enseignes défendaient, à une époque, le management par la bienveillance. Cet homme, que certains décrivent comme sans émotion ni affect, a pourtant longtemps été aux manettes d’un groupe en avance sur des questions sociales (insertion des jeunes, parité, travail des personnes handicapées, des minorités, des personnes issues de l’immigration…). Encore une fois cette ambivalence. Extrêmement sévère, faisant peu de sentiments (peu de cadres osaient le contredire), il a pourtant la réputation d’être rarement injuste. Et que dire ou penser de ce patron issu de la gauche, cet inspecteur des finances, ancien directeur du cabinet de Pierre Bérégovoy au ministère de l’Economie et des Finances (1984-1986) et pour qui cette notion reste un « marqueur » mais qui résume à lui seul une forme de dérive de la finance et même du capitalisme ? Autre preuve de sa complexité et de cette gestion perpétuelle de deux mondes vivant en parallèle : d’une immense culture, parlant le latin et le grec, il n’était pas capable, comme d’autres distributeurs, de motiver des équipes en magasins en arpentant la surface de vente en long et en large et en discutant avec tout le monde. Les moquettes des conseils d’administration lui étant plus connues que le carrelage des points de vente…

Toujours aussi étonnant, comment a-t-il pu comprendre avant tout le monde ou presque l’avènement du digital et l‘importance de la data, l'émergence de l’énergie verte, la montée d’un commerce se polarisant entre, d’un côté, les enseignes dites « premium » et, de l’autre, les discounters et miser sur l’essor des supérettes alors qu’elles étaient jugées comme ringardes par certains, mais ne pas mener les chantiers nécessaires pour faire de son addition d’enseignes un vrai groupe avec ses synergies ? Pourquoi autant de centrales d’achats, d’entrepôts ? Le visionnaire a, hélas, été confronté au réel et aux affres du quotidien avec, peut-être, une forme de déni de la réalité.

Autre remarque, celui qui a toujours voulu constituer un groupe de distribution et le préserver n’a jamais préparé son avenir, ni avec sa famille, ni avec des partenaires éventuels (comme cette possible fusion avec Carrefour évoquée en 2018), ni en LBO (un principe qu’il connaît et maîtrise pourtant fort bien).

Réussir l'alliance de deux mondes

Toujours dans cette même réflexion, n’oublions pas qu’il a racheté Monoprix, Franprix, Naturalia et Cdiscount. La situation du Groupe aurait été bien pire sans de telles acquisitions qui font aujourd'hui le coeur du nouveau Casino. Mais si Jean-Charles Naouri est un acheteur de grand talent… il déteste vendre et n'a pas toujours su vendre au bon moment, en tout cas en France, (souvenez-vous de Go Sport vendu pour un euro symbolique). Ainsi, s’il a prédit le recul de l’hypermarché, il s’est toujours refusé à se délester de… ses hypers. Et pourquoi ce génial tacticien n’a-t-il pas cédé plus vite ses activités en Amérique latine ? Cherchez l’erreur ! A la tête de Casino, il avait une vision du temps du long (par exemple avec l’avenir du photovoltaïque), mais, à l’inverse, il agissait parfois par à-coups, par exemple en baissant brutalement ses prix puis en les remontant tout aussi rapidement. Un homme au double visage…

Finalement, ce portait d’un dirigeant brillant et complexe doit servir de leçon à la nouvelle équipe du groupe Casino. Il ne faut pas seulement aimer la finance pour réussir. Il ne faut pas seulement aimer le commerce pour réussir. L’un doit être au service de l'autre. Car si la finance ne nourrit pas le commerce, ce même commerce ne pourra nourrir la finance. C'est cette alliance de deux mondes que Jean Charles Naouri n'a pas réussie. C'est ce défi que les équipes de Daniel Kretinsky, qui prennent ce jour les commandes du Groupe Casino, doivent relever. Sans oublier celui du management pour entraîner des équipes en faveur d’un projet à la fois ambitieux, simple, clair… et sans ambivalence.

 

SUR LE MÊME SUJET

Top 100 des enseignes du commerce

Abonnés

Retrouvez le classement annuel des 100 premières enseignes du commerce en France

Je découvre le classement

Sujets associés

NEWSLETTER Quotidienne

Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.

Votre demande d’inscription a bien été prise en compte.

Votre email est traité par notre titre de presse qui selon le titre appartient, à une des sociétés suivantes...

Votre email est traité par notre titre de presse qui selon le titre appartient, à une des sociétés suivantes du : Groupe Moniteur Nanterre B 403 080 823, IPD Nanterre 490 727 633, Groupe Industrie Service Info (GISI) Nanterre 442 233 417. Cette société ou toutes sociétés du Groupe Infopro Digital pourront l'utiliser afin de vous proposer pour leur compte ou celui de leurs clients, des produits et/ou services utiles à vos activités professionnelles. Pour exercer vos droits, vous y opposer ou pour en savoir plus : Charte des données personnelles.

LES ÉVÉNEMENTS

Tous les événements

Les formations LSA CONSO

Toutes les formations

LES SERVICES DE LSA CONSO

Trouvez les entreprises de la conso qui recrutent des talents

VINDEMIA GROUP

MANAGER DE RAYON BOULANGERIE / PATISSERIE

VINDEMIA GROUP - 25/03/2024 - CDI - France

+ 550 offres d’emploi

Tout voir
Proposé par
LSA

ARTICLES LES PLUS LUS