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Jean-Marc Albert : « Faut-il avoir peur de la dette ? »

CHRONIQUE. L’ampleur du déficit a tétanisé l’opinion. Doit-on s’en inquiéter ? La seule efficacité financière n’épuise pas les raisons d’une telle défiance qui est aussi culturelle, explique Jean-Marc Albert, puisqu’à suivre Marcel Gauchet « toute société pense son sens sous le signe de la dette ».

Jean-Marc Albert , Mis à jour le
Gabriel Attal a déclaré vouloir réformer l’assurance-chômage pour réduire le déficit, ce jeudi 27 mars au 20h de TF1.
Gabriel Attal a déclaré vouloir réformer l’assurance-chômage pour réduire le déficit, ce jeudi 27 mars au 20h de TF1. SIPA / © Jeanne Accorsini

Aucun qualificatif apocalyptique n’aura manqué pour cerner l’ampleur du déficit de 5,5 %.
Les agences de notation menacent, la faillite guette et on s’étonne qu’Emmanuel Macron n’ait pas encore déclaré « la guerre à la dette ». La France a pourtant connu d’autres déficits records – 6,4 % en 1993, 7 % en 2008 –, tous jugulés. Il est souvent rappelé que le déficit est structurel depuis 50 ans, en réalité, depuis le XVIe siècle, les années d’excédent budgétaire faisant depuis figure d’anomalie. La perte du triple A n’avait pas empêché la France d’emprunter moins cher et le « dérapage très rare » n’a pas suscité cette fois de déprise sur les marchés où l’on s’arrache nos obligations.

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L’annonce a sonné l’opinion parce qu’elle craint devoir s’acquitter de la dette par une nouvelle politique de rigueur, entendre augmentation fiscale et diminution des aides. Pourtant, le financement de la dette devrait moins nous inquiéter que la façon dont on l’a structurée. La peur que suscite ce débat ne doit pas être minimisée, mais resituée dans le temps long, dans sa dimension économique mais aussi culturelle, lorsqu’avant d’être le « fléau » de l’État, la dette en fut longtemps la force.

Tissant sa Généalogie de la morale, Nietzsche affirme rien de moins que l’humanité est entrée dans l’Histoire par la dette. Si le christianisme se montre plus sévère à l’égard de l’usure dont il exige la remise, reprochant à l’homme de préempter un temps qui ne revient qu’à Dieu, il admet que la créance suppose une vision providentialiste de l’avenir. Pour Rabelais, la dette ordonne le monde sans laquelle l’homme sombrerait dans le chaos quand les Lumières font remarquer que le défaut de paiement obligea des États à suspendre la guerre, faute de pouvoir emprunter.

Le passage de la dette personnelle du prince, qui devait vivre du sien, à une dette publique traduit la pérennisation de l’État. Dépassant la figure du contractant, la dette irrévocable ne disparaît pas avec le souverain. Aucun régime n’osera remettre en cause cette continuité. Mais la « banqueroute des 2/3 » en 1798 comme la répudiation des emprunts franco-russes par les communistes en 1917 montrent que les révolutionnaires n’ont pas ces scrupules. La dette se mutualise alors s’ouvrant au public sous forme de rente perpétuelle. Mais soumis à la prédation des financiers qui fixent eux-mêmes les taux d’intérêt, le système échappe au contrôle royal des comptes. En 1781, le bilan financier, truqué, dévoilé par Necker ne fait qu’inquiéter les petits porteurs de rentes.

En 1789, ce n’est pas l’explosion de la dette mais la crainte de sa banqueroute qui provoque la convocation des États généraux. On connaît la suite. La spoliation des biens d’Église doit rembourser la dette. Aujourd’hui, les prêteurs ne sont plus les seuls concernés par le défaut bancaire qui affecte désormais la totalité du corps social. On ne recouvre plus les créances par les armes comme la France a pu le faire au Mexique en 1861. Mais honorer ses dettes reste une question de souveraineté. Les Américains payent encore diplomatiquement le rachat en 1974 de leur déficit par le régime saoudien. Mais nul en France ne semble s’inquiéter de voir la dette aux mains de fonds de pensions et d’assurances étrangers.

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La dette a ses détracteurs. Montesquieu charge la stérilisation de ressources d’investissement au détriment de la terre jugée moins rentable que le titre public. Marx dénonce un système qui reverse des intérêts aux « rentiers oisifs » qui ne font qu’accroître la dette. Suffirait-il de l’annuler par un simple jeu d’écriture comme le prône Mélenchon pour faire table rase de notre déficit ? Depuis la première banqueroute publique en 1557 qui ruina les prêteurs de la couronne Habsbourg, l’Histoire a connu de nombreux épisodes de défauts de paiement. L’idée d’une mutualisation de la dette par la BCE, détentrice d’un quart de notre dette publique, a ses thuriféraires, jusqu’au gouvernement actuel, mais elle ne ferait que conforter le sentiment que l’on peut dépenser « quoi qu’il en coûte » sans conséquence et que l’endettement est le remède à tout.

La dette fera peur tant que l’État donnera l’impression de sacrifier à l’impératif du court terme

Si la dette publique est sortie de la guerre de l’État protecteur, elle est aujourd’hui grevée des dépenses sociales, dont le coût de l’immigration, de l’État providence. Depuis 2008, elle ne cesse de s’accumuler et passé un seuil, peut devenir nocive en réduisant les marges de manœuvre de l’État sauf à accroître indéfiniment la dette au risque de perdre la confiance de créanciers. Mais un État ne peut être liquidé comme une entreprise même lorsqu’il outre le critère totémique des 3 %. Mais il y a une responsabilité morale à ne pas faire de la dette un transfert de générations qui hypothèque sur l’avenir. Encourageant la circulation d’argent, l’emploi et les rentrées fiscales, la dette n’est pas un mal en soi.

Sa maîtrise rappelle le lien avec les générations précédentes, sa négligence, le mépris des suivantes. La dette fera peur tant que l’État donnera l’impression de sacrifier à l’impératif du court terme. Il lui appartient de lui redonner du sens. En est-il encore capable ?

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