Vaches sous haute tension : RTE condamné, l'agriculteur est "dégoûté"

Thierry Charuel, éleveur laitier de la Manche, a eu gain de cause contre RTE. Une victoire qui devrait le réjouir, mais elle a un goût amer. Celui du sentiment d'abandon.

« La chambre d'agriculture ne nous a pas aidés, alors qu'elle aurait dû nous défendre puisqu'elle est notre instance professionnelle », souligne Thierry Charuel.
« La chambre d’agriculture ne nous a pas aidés, alors qu’elle aurait dû nous défendre puisqu’elle est notre instance professionnelle », souligne Thierry Charuel. (©La Gazette de la Manche)
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Thierry Charuel, agriculteur de Mesnil-Thébault, près de Saint-Hilaire-du-Harcouët (Manche) ne pouvait plus vendre le lait de ses vaches à cause d’une ligne à très haute tension, installée non loin de son exploitation. Il a décidé de poursuivre en justice Réseau de transport d’électricité (RTE), filiale d’EDF. La cour d’appel de Caen (Calvados) a statué en faveur de l’agriculteur, mardi 24 novembre 2015.

L’éleveur est le premier, en France, à avoir obtenu gain de cause, en appel, contre la société. Mais le jugement lui laisse un goût amer.

Ma femme et moi, on est dégoûté ! Quand on a reçu l’arrêt, on ne savait plus quoi penser. On nous donne enfin raison en reconnaissant le lien de cause à effet entre les courants parasites de la ligne à Très haute tension sur notre exploitation et, de l’autre, on ne reconnaît pas les torts.

« La Cour nous attribue 37 024 € pour les dédommagements liés au taux de cellules, l’équivalent de nos globules blancs, trop importants, explique l’agriculteur. Nos soixante vaches en avaient entre 500 000 et 800 000 quand la normale doit être inférieure à 250 000. Notre lait était invendable ».

De 142 000 à 37 000 € de préjudice

C’est en novembre 2014, que le dossier Thierry Charuel était jugé pour la première fois. Le 5 janvier suivant, le tribunal de première instance lui donnait une première fois raison. RTE était condamné à lui verser 142 000 € de dommages et intérêts. Mais le transporteur d’électricité a fait appel. La décision a donc été suspendue. Aujourd’hui, si la Cour d’appel lui donne toujours raison, elle ne lui consent plus que 37 024 € de préjudice. « Là, on ne comprend plus. On s’attendait au moins à la confirmation du jugement de première instance », s’exclame Thierry Charuel.

Quand on aura payé les frais d’avocats et de tribunaux, il ne restera rien. On comprend d’autant moins qu’entre 2008 et 2010, RTE a financé près de 176 000 € de travaux dans notre ferme et qu’elle nous a indemnisés à hauteur de 40 000 € pour perte d’exploitation. Et aujourd’hui, elle n’est plus responsable ! »

Accompagné un temps par RTE

L’EARL Charuel a été accompagnée par RTE dans le cadre du dispositif GPSE, qui assure un suivi des exploitations installées sous une ligne Très haute tension.

En août 2012, alors que la ligne est coupée, l’éleveur constate la santé retrouvée de son cheptel. Ses doutes se confirment. Il entreprend alors des mesures des courants et attaque RTE en justice.

Reconverti dans les céréales

Aujourd’hui, il a vendu ses vaches et s’est reconverti dans les céréales. Mais il manque de terres pour rentabiliser son affaire. Son épouse doit travailler à l’extérieur.

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« Ce jugement servira aux autres, si RTE ne fait pas de pourvoi de cassation, car il fera jurisprudence. Il y a d’autres dossiers qui sortiront certainement. Aujourd’hui, ils sont nombreux à se taire et la chambre d’agriculture, notre instance professionnelle qui aurait dû nous défendre, ne l’a pas fait. Elle a refusé de nous transmettre les rapports des réunions avec le GPSE que nous lui avions demandés ».

Les deux parties ont jusqu’au 24 janvier prochain pour déposer un pourvoi en cassation. La Cour de cassation ne statuera, elle, que sur la forme, et non le fond du dossier.

RTE veut « faire conforter les conclusions de l’Anses »

Réseau transport électricité (RTE), chargé du transport de l’électricité pour EDF, fait actuellement travailler ses juristes sur un éventuel pourvoi en cassation. « Il y a certes des avancées positives par rapport à la première instance, car la cour a rejeté la quasi-totalité des préjudices évoqués en première instance. Pour autant, le lien de causalité a été retenu. Ces éléments ne nous conviennent pas. Il y a des éléments transmis que la Cour d’appel n’a pas pris en compte », commente Jean-Louis Muscagory, le délégué régional Normandie-Ile-de-France de RTE.

Et de poursuivre : 

RTE entend faire conforter les conclusions des experts de l’Anses, qui concluent à l’innocuité de nos installations sur les productions laitières. Depuis trente ans, nous avons l’habitude de vivre ensemble avec les agriculteurs. Nous avons la volonté de garder ses bonnes relations. Nous avons mis en place avec les chambres d’agriculture un suivi sur la durée des exploitations, en toute transparence ».

« Un pas de franchi pour la cause des agriculteurs »

Gervais-Marie Doutressoulle, l’avocat de Thierry Charuel, reconnaît que cette décision est « un pas de franchi pour la cause des agriculteurs, installés sous une ligne très haute tension. La porte est désormais ouverte, cet arrêt va faire jurisprudence ». Mais il souligne cependant une incohérence :

Soit j’ai tort et je me tais. Soit j’ai raison et je suis indemnisé à hauteur de mon préjudice. La Cour a reconnu le lien de causalité avec le courant parasite, mais elle indemnise mon client à hauteur de 37 000 €, autant dire rien. Elle n’a pas pris en compte la fertilité du troupeau, le taux de cellules anormalement élevé qui rend le lait impropre à la consommation et donc des quotas impossibles à atteindre. Les bâtiments sont vides aujourd’hui et il continue de payer.

Pour l’avocat, la cour d’appel a tout décortiqué selon les règles de droit applicable. « Mais il faut arrêter le langage de dupe ! Le législateur doit convenir qu’en de tel cas, quand il y a un problème on exproprie et on indemnise puisque ces ouvrages (la ligne à Très haute tension, ndlr) sont reconnus d’utilité publique ».

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