François Morel reprend Raymond Devos sur scène : “C’est un humour assez rare, singulier, poétique et très imaginatif”
”J’ai des doutes” : c’est le titre du spectacle que François Morel consacre à l’une de ses idoles, Raymond Devos. Un panaché de sketches, textes et autres digressions poético-philosophiques lunaires à voir au mois d’avril 2024 à Bruxelles (17/04), La Louvière (19/04), Wavre 25/04) et Liège (26/04).
- Publié le 26-03-2024 à 06h06
Le 9 novembre 2022, Raymond Devos aurait eu 100 ans. Si la mode est aujourd’hui au stand-up, on peut compter sur certains humoristes pour entretenir la mémoire de ses textes, véritables bijoux de poésie lunaire, truffés de jeux de mots et de non-sens. Le comédien François Morel est de ceux-là. En 2018, il a créé à Paris le spectacle J’ai des doutes, basé sur les textes de cet amoureux des mots et avec lequel il sera en spectacle pour trois dates en Belgique au mois d’avril. Rencontre.
François Morel, comment est né ce spectacle consacré à Raymond Devos ?
C’est à l’initiative d’une productrice de spectacles musicaux, qui s’appelle Jeanine Roze. Elle a été secrétaire de Barbara et a croisé Raymond Devos à l’époque des cabarets. En 2016, elle m’a dit : “Ce serait bien qu’on rende hommage à Raymond Devos, dix ans après son décès.” Au départ, c’était juste une lecture spectacle. J’ai travaillé avec le musicien Antoine Salers pendant une semaine. On s’est bien amusés avec l’œuvre et on s’est rendu compte que cela avait une efficacité comique intacte. Donc on l’a retravaillé pour en faire un spectacle hommage à Devos et à un certain esprit du music-hall.
Qu’est-ce que vous appréciez chez Devos ?
C’est un humour assez rare, singulier, poétique et très imaginatif.
Cette passion, elle remonte à quand ?
Cela doit être dans mon enfance… Je me souviens d’écouter la radio, sur RTL, un Stop ou encore consacré à Raymond Devos. Je le souviens que cela m’avait fait beaucoup rire. Il y avait notamment le sketch J’ai des doutes. J’étais épaté par l’invention… Ensuite je l’ai revu beaucoup dans des émissions de télé, comme Le grand échiquier de Jacques Chancel. Et puis j’étais très fan de Brassens et comme ils étaient proches, on les voyait souvent ensemble. Je suis aussi allé le voir au théâtre de Caen, où j’ai fait mes études.
Vous avez d’ailleurs une anecdote à ce propos…
Oui ! Je m’étais rendu compte qu’il n’y avait pas de vérification des billets à l’entracte. Donc les 2e et 3e soirs, je me suis faufilé parmi les spectateurs, et j’ai donc vu la deuxième partie trois fois dans les premiers rangs. Et c’était vachement bien (sourire).
Dans une émission de Stéphane Bern où l’on devait faire des sketches, j’avais imaginé une rencontre entre Raymond Devos et Dieu.
Vous ne l’avez jamais rencontré ?
Si, mais de façon assez rapide… À l’époque, je venais de commencer mes spectacles en solo, mais il m’impressionnait… Je me souviens que dans une émission de Stéphane Bern où l’on devait faire des sketches, j’avais imaginé une rencontre entre Raymond Devos et Dieu. Cela lui avait beaucoup plu et il m’avait demandé de venir le jouer quelques jours plus tard pour une émission de télé où on lui rendait hommage à l’occasion de ses 80 ans. J’ouvre d’ailleurs le spectacle avec ce texte-là.
Comment avez-vous sélectionné les textes ?
C’est surtout sur les souvenirs que j’avais quand j’étais adolescent, ce qui me faisait rire, me plaisait, m’interrogeait… Je voulais que ce soit diversifié, qu’il y ait des choses musicales, des textes qui peuvent faire penser à l’univers de Marcel Aymé… Je ne voulais pas que ce soit juste un type derrière un micro qui fasse des jeux de mots.
Vous avez un texte préféré ?
J’aime beaucoup Mon chien, c’est quelqu’un… Ou alors Minorités agissantes, où il raconte qu’il a fait de la politique et qu’il s’occupait des minorités agissantes. Et puis il explique qu’il y a un type qui vient s’asseoir à côté de lui et qui ne dit rien. Et tout le monde est fasciné par lui. Et il conclut : “Quand quelqu’un ne dit rien à côté de vous, on entend que lui !!” C’est vachement intéressant, c’est super-riche.
Il a continué à vouloir progresser toute sa vie. Moi, ma palette est beaucoup moins large que lui (rires).
Raymond Devos savait tout faire : il jouait de la guitare, du saxo…
Il était aussi jongleur… Il y a même un champion de trampoline qui lui a donné des cours chez lui ! Il a continué à vouloir progresser toute sa vie. Moi, ma palette est beaucoup moins large que lui (rires).
Deux pianistes vous accompagnent et alternent suivant les dates de tournée…
Absolument. Raymond Devos a toujours eu un pianiste. Cela permet une sorte de ping-pong. En Belgique, je ferai une moitié de mes spectacles avec Antoine Salers et l’autre avec Romain Lemire. L’un est plus musicien, l’autre plus comédien.
Vous avez déjà joué ce spectacle plus de 350 fois. Qu’est-ce qui fait que cela marche encore aujourd’hui ?
Je pense que Raymond Devos a toujours été un peu en dehors du temps. Il n’a jamais cherché à faire de l’humour sur les hommes politiques de l’époque, par exemple. Il rit avec les étoiles, le ciel, le Bon Dieu, notre raison d’être sur terre… C’est à la fois grotesque et poétique. Moi, sur scène, je n’essaye pas de l’imiter, mais de retrouver un certain esprit.
C’est compliqué de reprendre du Devos ?
Je croyais que cela le serait plus. Mais en fait, c’est très logique. Le texte où il raconte que son immeuble est sens dessus dessous, que tous les locataires du dessous veulent habiter au-dessus tout ça parce que le locataire qui est au-dessous est allé dire par en dessous que l’air que l’on respirait au-dessus était meilleur qu’en dessous… Au départ, je me suis demandé comment j’allais faire pour retenir ça. Et finalement, quand on comprend l’historie qu’il raconte, c’est très simple et je l’ai appris très vite.
François Morel, “J’ai des doutes”, le 17 avril 2024 à 20h au Cirque Royal, le 19 avril 2024 à 20h au Central à La Louvière, le 25 avril à 20h à la Sucrerie de Wavre, le 26 avril à 20h au Forum de Liège.
François Morel, un touche-à-tout bienveillant
Révélé par le programme court Les Deschiens avec Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff au début des années 90 sur Canal +, François Morel est un véritable touche-à-tout.
Acteur pour le théâtre, la télé ou le cinéma, auteur de chansons, chanteur – on vous recommande son disque de reprises de Brassens avec Yolande Moreau sorti en 2021 – doubleur (voix de Rantanplan, Ordralfabétix…), voix off de documentaires, écrivain, il est également chroniqueur depuis presque quinze ans sur France Inter.
“J’ai le plaisir de saisir les choses que l’on me propose et qui vont peut-être me surprendre. Je n’étais pas sûr de savoir faire de la chronique avant qu’on ne me le propose. J’ai beaucoup lu Vialatte quand j’étais jeune et je trouve ça bien de disposer de trois minutes pour parler de ce que je veux sur le ton que je veux.” Le ton, justement, est souvent bienveillant, même quand il s’agit d’évoquer Palmade ou Depardieu.
“J’essaye de ne pas aboyer avec la meute. Mais ne plus entendre Gérard Miller faire la leçon à tout le monde ne m’attriste pas trop non plus… Mais je n’ai pas le même degré d’admiration pour Gérard Miller que pour Depardieu, que j’ai trouvé absolument magnifique dans Cyrano.”
Là, il vient de terminer un tournage pour Doria Tillier. “Il s’agit d’une série pour Canal +, avec un personnage très différent de ce que j’ai déjà fait. J’ai accepté car Doria m’a fait une déclaration d’amour, ce qui est inespéré en ce qui me concerne… (rires). C’est la chronique de la vie d’une jeune femme qui a un peu de mal à trouver sa place. C’est très bien écrit et très personnel. Et c’est ce que je recherche.”
Quant aux Deschiens, il avoue qu’on lui en parle encore régulièrement. “Cela m’a donné des amis pour la vie, notamment avec Yolande Moreau, Olivier Saladin, Olivier Broche… Ce sont des gens que je continue à voir et avec qui j’ai des projets.” Il n’y a jamais eu de projet de reformation. “Si c’était le cas, il faudrait peut-être qu’on fasse plus attention à ce qu’on dit, analyse François Morel. Beaucoup de choses seraient sans doute mal prises. L’ambiance est sans doute plus tendue qu’à l’époque. Or, moi, j’ai l’impression que l’on devrait pouvoir rire de chacun et d’abord de soi-même. Provoquer le rire n’est pas provoquer une attaque contre la personne. Mais les sketches n’arrêtent pas de passer sur les réseaux sociaux, donc c’est que ça continue à faire marrer les gens.”