A deux mois des élections européennes, le dernier sondage publié par Challenges permet de mesurer l’état actuel des rapports de forces. A droite, le match est plié : 38 % pour les extrêmes (si on additionne les voix du Rassemblement national, de Reconquête ! et de Debout la France), 7 % pour Les Républicains. On souhaite bon courage à la droite libérale, qui n’a jamais été en si mauvaise posture ! A gauche, c’est plus ouvert et plus rassurant : il semble bien que la liste PS-Place publique (12 %) soit en train de l’emporter sur LFI (7 %) et Les Ecologistes (7 %). Les sociaux-démocrates, dont je suis, ne peuvent que s’en réjouir. Il y a pourtant lieu de craindre que cette embellie de la gauche modérée doive moins à elle-même, comme courant politique, qu’à la personnalité de sa tête de liste, Raphaël Glucksmann.
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Ce dernier attire la sympathie (un peu comme Gabriel Attal, voire comme Jordan Bardella) par un mélange de relative jeunesse, de prestance, voire de joliesse (« C’est la prime aux beaux gosses », me dit une amie), mais aussi par une certaine liberté de ton, qui semble plus authentique, plus spontanée ou plus neuve que les discours éculés de ses rivaux.
Tirer les conséquences de ses échecs
Je ne doute pas que les idées de Raphaël Glucksmann y soient aussi pour quelque chose : son attachement à l’Europe et à la laïcité, son soutien résolu à l’Ukraine, son opposition sans ambiguïté à Poutine, sa condamnation du Hamas, tout cela joue d’autant plus en sa faveur que Mélenchon, sur ces questions, s’est enferré dans des positions tristement équivoques. Cela, toutefois, ne signifie pas que la gauche soit tirée d’affaire.
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D’abord, parce qu’elle reste divisée en trois camps principaux (LFI, Les Ecologistes, PS), qui peuvent certes s’allier aux élections – c’est ce qui fit le succès de la Nupes – mais qu’on imagine mal gouverner ensemble. Ensuite, parce qu’elle n’a pas tiré les conséquences de ses propres échecs : celui du Programme commun, acté dès 1983 (par le tournant de la rigueur mais aussi par la défaite électorale aux municipales – la gauche, qui ne gouvernait que depuis deux ans, était déjà redevenue minoritaire dans le pays), celui de Lionel Jospin (éliminé dès le premier tour à la présidentielle de 2002), enfin celui de François Hollande, empêché (par les frondeurs et ses propres bourdes plus que par sa politique, qui n’était pas si mauvaise) de se représenter en 2017.
Et après les européennes ?
J’en tire la conclusion, comme Delors en 1983, que « la macroéconomie nationale en circuit fermé est vouée à dépérir », donc aussi que la relance par la demande, si chère à la gauche, atteint vite ses limites. Ce que je ne comprends pas, c’est en quoi l’offre serait de droite et la demande de gauche. Ce ne sont que des moyens, dont seule compte l’efficacité.
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Ce qui définit la gauche, ce n’est pas le choix des moyens, c’est celui des fins : la justice sociale, la protection des plus faibles, l’émancipation des individus… Rien de cela ne s’obtiendra sans une économie performante. Or c’est le point sur lequel Raphaël Glucksmann, certes moins inquiétant que Mélenchon ou les Verts, ne semble guère plus convaincant que ne le furent en leur temps Benoît Hamon (6,36 % des voix en 2017) ou Anne Hidalgo (1,7 % en 2022). Pour des élections européennes, ce n’est pas si grave. Mais pour la suite ?