Aurore Domont (Media Figaro) "Les marques peuvent se construire dans la durée en s'appuyant sur la force des contextes des grandes marques médias"

Aurore Domont, présidente de Media Figaro, tire la sonnette d'alarme sur les conséquences néfastes pour les marques d'un media planning simplifié et productiviste, une tendance à l'œuvre sur le marché.

JDN. La part des investissements publicitaires captés par les plateformes américaines est majoritaire et continue de croître. Les éditeurs français en pâtissent. Quelle est votre analyse de cette situation ?

Aurore Domont, présidente de Media Figaro. © Média Figaro

Aurore Domont. Le rapport de l'Arcom (sur l'évolution du marché de la communication d'ici à 2030, ndlr) l'atteste et cette question est au cœur même des Etats généraux de l'information : chaque jour en effet, nous observons cette montée en puissance effrénée des plateformes, qui structure notre marché au détriment des médias. En 2023, alors que 9,3 milliards d'euros ont été investis en publicité en France, avec une croissance de plus de 800 millions d'euros sur l'année, les recettes des entreprises de l'édition en ligne et de l'info étaient en baisse (de 6%, chiffres de l'Observatoire de l'ePub 2023, ndlr). Pourtant les marques médias n'ont jamais autant attiré de personnes pour les lire. Comment ne pas voir dans cette tendance une profonde injustice ?

Pourquoi d'après vous l'achat média digital n'accorde-t-il pas plus de place aux éditeurs ?

Le discours selon lequel les médias en ligne ne disposent pas assez de taille critique n'est plus justifié. Des groupes comme le nôtre, Vivendi ou 366 ont su se restructurer et se concentrer pour répondre aux défis du digital et disposer d'un effet de taille.

Le groupe Figaro, avec 34 millions de visiteurs uniques (VU), est plus puissant que jamais. Le Figaro, ce sont 23 millions de VU par mois (Médiamétrie, janvier 2024), dont 6 millions de moins de 35 ans. Un internaute sur deux lit le Figaro.fr et si nous rajoutons nos pure players et maintenant Gala, notre reach/jour monte à 7 millions, c'est plus que les chaines de TV ! Notre groupe touche par ailleurs plus de 32 millions de socionautes, il réalise plusieurs millions de chiffre d'affaires dans le social en créant de la valeur pour les marques dans ses propres comptes.

Nous associons aussi nos forces à celles d'autres publishers : avec Video Impact for Brands, notre offre vidéo conjointe avec 366 et Prisma, notre reach/jour monte à 18 millions de VU. C'est autant que YouTube. Le sujet n'est donc pas là.

Où est-il alors ?

La réalité, c'est que le media planning digital, en particulier sur la vidéo, se laisse porter par la facilité et la productivité : il se focalise sur le seul binôme plateformes/chaînes TV et érige en norme un format unique pour toutes les stratégies et tous les annonceurs, à savoir les vidéos de flux. Ces vidéos quasiment sans texte sont placées dans un flux infini sur les réseaux sociaux, nivelant par le bas à la fois les prix et les expériences.

"Une intégration publicitaire de qualité, respectueuse de l'internaute, est toujours créatrice de valeur"

Bien entendu, le format vidéo est très stratégique, raison pour laquelle le groupe Figaro investit massivement dans ce format et ce depuis de nombreuses années - nous produisons plus de 7 700 vidéos par an uniquement sur nos sites féminins et comptabilisons plus de 300 millions de vidéos vues par mois sur nos sites. Nous sommes des lieux de destination et de savoir pour les internautes et nous les connaissons très bien.

Si nous nous plaçons du côté de l'internaute qui vient consommer du contenu éditorial sur la beauté sur Madame Figaro, le Journal des Femmes ou Gala, c'est l'adéquation entre les valeurs de marque, le contenu d'une publicité d'une marque beauté et le contenu éditorial qui génère de la valeur, de la mémorisation, de l'attribution. C'est le rôle de nos médias depuis toujours. Par ailleurs, le choix des formats et des modes d'achat doit varier en fonction des différents objectifs et la vidéo n'est pas toujours la meilleure réponse. Notre métier de régie d'éditeur consiste précisément à conseiller les annonceurs et leurs agences sur les choix les plus en adéquation avec les KPI des campagnes et nos publics. Qu'il s'agisse d'une logique très premium d'éditorialisation ou d'une visée de performance, une intégration de qualité, respectueuse de l'internaute, est toujours créatrice de valeur.

Quelles sont les conséquences à terme pour les marques de cette tendance que vous dénoncez ?

Les marques ont besoin plus que jamais d'exprimer leur singularité, leur créativité mais aussi leur vision du monde. Cela est impossible avec une publicité uniformisée. Elles ont besoin de temps et de récit long pour convaincre. Comment se démarquer de son voisin si tout le monde s'exprime selon la même norme et avec un format unique? La surexposition des audiences amène à de plus en plus d'impressions mais de moins en moins d'attention.

Selon une étude Kantar, 64% des Français ne font pas confiance aux réseaux sociaux pour les informer (Baromètre 2023 de la confiance des Français dans les médias, ndlr). Chez Media Figaro nous garantissons du temps long et des expositions contextuelles de qualité et de confiance, et nous le mesurons.

Comment sortir de cette situation ?

Comme pour la démocratie et comme cela a toujours été le cas en publicité, la solution est dans la diversité. Le paysage digital est très riche et c'est ce qui fait sa valeur : utilisons cette diversité pour construire des marques dans la durée en nous appuyant sur la force des contextes des grandes marques médias.

Comme l'a dit si justement Alexandra Chabanne, CEO de GroupM France, un effort de formation reste à faire auprès des média-planneurs digitaux au sujet des médias d'information qui font la richesse de notre pays. Un media planning riche et diversifié exige du temps et justifie une juste rémunération des agences.

De notre côté, nous investissons au sein de nos régies, mais aussi au travers de l'ACPM dans des études qui démontrent l'efficacité des campagnes dans nos médias, que ce soit à travers le ROI avec Ekimetrics, ou de l'attention. Chez Media Figaro, nous travaillons aussi nos formats display et vidéo pour offrir des expériences toujours plus qualitatives et innovantes. Avec 14H, notre agence d'éditorialisation de contenu, nous créons du temps long, nous nourrissons l'imaginaire des marques et générons de la considération. 14H, c'est aujourd'hui plus de 200 vidéos produites et plus de 800 articles car nous croyons à la force du texte pour convaincre durablement.

C'est surtout en travaillant collectivement avec les agences et leurs clients que nous rétablirons une forme d'équilibre utile à toutes et à tous, pour nos médias, les marques et le bien commun.