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37° ANNEE SEPTEMBRE 19238 Neo
ANNALES
LINSTITUT PASTEUR
SUR LES PROPRIETES BIOLOGIQUES
DES LIPOIDES DU BACILLE TUBERCULEUX
par A. BOQUET et L. NEGRE.
Si la valeur et Ja composition des matiéres grasses et
cireuses du bacille de Koch sont actuellement bien connues
par les travaux de de Schweinitz et Dorset, Nicolle et Alilaire,
Agulthon et Frouin, Goris et Lobstein principalement, il n’en
est pas de méme de ses phosphatides qui jouent cependant un
role trés important dans les multiples phénoménes de l’infec-
tion tuberculeuse. Non seulement la quantité de ces lipoides
phosphorés varie avec les techniques employées, mais encore
leur nature chimique et leur structure moléculaire ne sont pas
complétement élucidées. Pour cerlains auleurs comme Bau-
dran, ils correspondraient & une lécithine distéarique, pour
d’autres & un diaminomonophosphatide (Tamura), ou a un
complexe du genre des jécorines (Agulhon et Frouin). Leur
proportion oscillerait de 0,159 p. 100 de la maliére grasse
totale des bacilles (Kresling) & 0,308 (Goris et Liot).
La préparation des phosphatides & l'état de pureté absolue
est d’autant plus difficile que, élroitement associés aux pro-
téines, ils forment avec elles, ainsi que l’ont montré Mayer et
Terroine, des complexes solubles dans Valcool. Parmi les
recherches expérimentales sur leur action, beaucoup ont été
ainsi faites avec des produits impurs, et les chimistes ne
manquent pas de faire remarquer que les phénoménes attri-
54
788 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR
bués aux phospholipoides seuls sont, en réalité, dus a des
complexes lipo-protéiques, ou méme a de faibles quan-
tités de protéines non éliminées au cours des manipulations.
Le pouvoir antigéne in vitro des phosphatides du bacille de
Koch a été reconnu par Kurt Meyer qui oblint, avec la frac-
tion des lipoides bacillaires insolubles dans l’acétone et solubles
dans l’alcool, ia fixation du complément en présence d’anti-
corps tuberculeux, d’une maniére beaucoup plus intense
qu’avec les protéines résiduelles. Dans un précédent travail et
dans le méme ordre d’idées, nous avons étudié les propriétés
fixatrices des matiéres grasses, des cires et des phosphatides
bacillaires avec un sérum antituberculeux en exprimant leur
activité, suivant la méthode de Calmette et Massol, par le
nombre de doses d’alexine fixées au centimétre cube. Il ressor-
tait de celte étude que les propriétés antigénes appartiennent
surtout, comme le pensait K, Meyer, contrairement a Much,
aux lipoides insolubles dans l’acétone et solub es dans l’alcool
éthylique, ou, mieux encore, dans l’alcool méthylique. Toute-
fois, le rdle des graisses et des cires est loin d’étre négligeable,
car une extraction préliminaire complete des corps microbiens,
au moyen de l’acétone, enléve une fraction importante des
substances antigtnes et diminue lactivité des extraits méthy-
hiques ultérieurs.
PROPRIETES ANTIGENES « IN VIVO » DES LIPOIDES
DU BACILLE DE Kocu.
Les propriétés fixatrices des lipoides bacillaires étant ainsi
démontrées, nous devions rechercher si ces substances, actives
dans la dévialion du complément, manifestent in vivo le
méme pouvoir antigéne, c’est-a-dire, pour répondre a la défi-
nition générale des auteurs et, plus catenins de M. Nicolle,
sils nothdeeett des anticorps chez les animaux neufs.
Afin de les rendre injectables, nous avons séparé de l’alcool
méthylique les produits dissous de Ja maniére suivante :
L’extrait méthylique de bacilles de Koch préalablement traités par l’acé-
tone, suivant notre technique habituelle, est additionné, d’abord goutte a
goutle, puis plus rapidement, sans cesser d’agiter le mélange, d'une quantité
égale d'eau distillée. L’emulsion laiteuse ainsi obtenue est portée au bain-
marie a 48-50° et distillée dans le vide jusqu’é évaporation complete de l'alcool.
LIPOIDES DU BACILLE TUBERCULEUX 789
Cette émulsion, dont 4 cent. cube correspond & 1 centigramme
de corps microbiens desséchés et & 5 centigrammes de corps
microbiens frais, lavés, conserve les propriétés fixatrices de la
solution alcoolique primitive. Injectée 4 fois tous les deux jours
a des lapins neufs, par la voie veineuse, a la dose de 243 cent.
cubes, elle provoque une abondante formation d’anticorps
mis en évidence par la réaction de Bordet-Gengou, avec
Vextrait méthylique correspondant. Le titre de la sensibilisa-
trice atteint, neuf jours apres la derniére injection préparante,
60 4100 unités de Calmette-Massol chez les lapins neufs et
jusqu’a 4.200 unités, au lieu de 20, avant le traitement chez
les lapins tuberculeux.
Ces expériences établissent que les extrails méthyliyues de
bacilles tuberculeux se comportent, quant a la production des
anticorps, comme un véritable antigene. Mais ces extrails
contiennent a la fois des graisses, des cires, des phosphatides
et des substanees azotées complexes dont il convenait d’étudier
séparément l’action im vivo et de déterminer la valeur par
comparaison.
Les graisses et les cires de l’extrait acétonique bacillaire
injectées & des animaux neufs, suivant la technique que nous
venons d’indiquer, produisent des anticorps décelables par la
réaction de fixation du complément, a la fois avec l’extrait
acétonique homologue (80 unités) et la tuberculine brute
(40 unités), mais non avec ies é6mulsions et les extraits méthy-
liques de bacilles de Koch. In vitro, elles fixent |’alexine
uniquement avec Je sérum de lapins traités par des injections
répéltées d’extraits correspondants et, & un taux trés faible,
avec le sérum de lJapins soumis a des injections de corps
microbiens.
L’extrait méthylique de bacilles de Koch privés de la plus
grande partie de leurs graisses el cires par l’acétone se com-
porte, in vitro, comme un antigéne trés actif en présence de
sérum de lapins traités avec des bacilles totaux (750 unités),
moyennement actif en présence de sérum de lapins traités
avec l’extrait homologue (100 unités), faiblement actif en pré-
sence de sérum de lapins traités par des bacilles épuisés
par l’acétone (60 unités) et trés faiblement actif en présence
de sérum de lapins trailés par des bacilles épuisés & la fois
79) ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR
par l’'acétone et par l'alcool (30 unités). Mais il ne fixe pas
sensiblement l’alexine avec le sérum de lapins soumis.& des
injections d'’extrait acétonique bacillaire ou de tuberculine
(4 injections intraveineuses de 1 cent. cube de tuberculine
brute; saignée neuf jours aprés la derniére injection). Jn vivo,
les anlicorps qu'il produit ne réagissent qu’au contact de
lextrait correspondant (100 unités).
Graisses, cires et phosphatides sont bien des anligénes, mais
des antigenes & champ restreint, des antigénes partiels, pour
employer la formule de Much.
Théoriquement, la somme des valeurs antigenes des extrails
acétonique et méthylique bacillaires et des corps micro-
hiens résiduels devrait égaler la valeur antigéne initiale des
hacilles. Il n’en est rien. Titrés avec un méme sérum anli-
tuberculeux, les extraits méthyliques de bacilles dégraissés par
lacétone fixent seuls l'alexine 4 un taux beaucoup plus élevé
(750 unités) qu’une quantité correspondante de bacilles
intacts, émulsionnés dans l’eau physiologique (100 unités). Ce
fait parait atlribuable a l'état physique des substances actives
qui se présenlent sous la forme de grains trés fins dans les
émulsions de lipoides et offrent ainsi une masse de surface
considérable, alors que dans les corps microbiens ces mémes
substances sont en grande partie incluses, masquées et
nentrent en contact que par une surface minime avec les
anlicorps sériques.
In vivo, le pouvoir antigene des bacilles intacts morts est
trés supérieur & la somme des pouvoirs antigénes des extraits
acétonique (80 unités) et méthylique (100 unités) correspon-
dants et des corps résiduels (30 unités). Une fraction impor-
tante des substances bacillaires fixatrices disparait au cours
des extractions successives sous l’action des solvants utilisés,
particuligrement de l’acétone. Si, méme aprés avoir été sou-
mises pendant une demi-heure a une température de 120°, les
protéines hbacillaires présentent encore des propriétés anti-
génes in vino tres élevées, elles subissent done, au contact de
lacétone et de l'alcool méthylique, des modifications qui les
rendent impropres & produire des anticorps chez les animaux
neufs et a fixer l'alexine en présence de sérums riches en sen-
sib'lisatrives. Kiles conservent néanmoins leurs propriétés
LIPOIDES DU BACILLE TUBERCULEUX 794
réaclionnelles caractéristiques, car, lorsqu’on les injecte a la
dose de 5 & 10 milligrammes, dans le derme ou sous la peau,
a des cobayes tuberculeux, elles provoquent un phénoméne
de Koch typique, comme les bacilles intacts.
La tuberculine brule, qui est un extrait glycériné complexe
de bacilles tuberculeux, de leurs produits de déchets ou de
désintégration et de leur bouillon de culture, se comporte
différemment du point de vue antigéne, in vitro et in vivo.
Méme injectée 4 doses répétées et massives (1 cent. cube) a
des lapins neufs, par la voie veineuse, elle ne fait pas appa-
raitre d’anticorps dans leur sérum, neuf jours aprés la derniére
injection comme dans les expériences précédentes, quelles que
-soient les substances employées pour les mettre en évidence :
é6mulsions et extraits méthyliques bacillaires, tuberculine
brute.
In vitro, au contraire, son activité est au moins égale a
celle des bacilles intacts émulsionnés.
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Bacilles tuberculeux
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Bacilles tuberculeux
traitésparlacétone.| 10 0 0 0 () 0
Bacilles tuberculeux
traités par l’acétone
et lValcool méthy-
LQUER sees se ot 10 0 0 0 () 0
Extrait acétonique
de bacilles tuber-
CUCU XE a tae Bey eau 20 0 () 80 0 0
Extrait méthylique
de bacilles tuber:
culeux aprés traile-
ment par l’acétone.| 750 60 0 0 100 0
Tuberculine au 1/40.} 100 80 0 40 0 0
ASRS ALE AEE ESE IE TOES EISELE GALA ESET SS STELE A CEEOL DELL LL PELLET ALA ELE ALCP
qr
792 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR
Il ressort de tous ces faits que, chez les animaux neufs, les
réactions aboutissant & la formation des anticorps ou, si l’on
veut éviter cette terminologie finaliste, les modifications
sériques qualilatives et quantitatives que déterminent les
bacilles tuberculeux et leurs extraits sont d’autant plus intenses
que les substances injectées sont chimiquement plus com-
plexes et plus riches en protéines inaltérées. In vitro, la plus
grande activité appartient & des substances de composition
relativement simple, aux lipoides et, plus particulitrement, aux
phosphatides.
ProprifkteES ANTIGENES COMPAREES DES LIPOIDES DU BACILLE DE
Kocu, DES BACILLES PARATUBERCULEUX ET DIPHTERIQUES ET DE
L’OVOLECITHINE.
Les bacilles tuberculeux humains et bovins dont la compo-
sition chimique est trés voisine jouissent 27 vitro et in vivo
d’un pouvoir antigéne a peu prés identique. Les bacilles
aviaires et pisciaires sont sensiblement moins actifs. Mais cette
propriété n’appartient pas seulement aux bacilles tuberculeux
pathogénes. Les bacilles paratuberculeux (Gengou, Urbain),
les bacilles diphtériques (Massol, Urbain) et les extraits
méthyliques de ces microbes, du Bacillus subtilis, de cham-
pignons comme le cryptocoque de Rivolta, fixent également
Valexine, 4 des titres divers, en présence de sérum antituber-
culeux.
In vivo, les extraits méthyliques de Bacillus subtilis, de
bacilles de la fléole et de bacilles diphtériques, traités préala-
blement par l'acétone, forment des anticorps qui dévient le
complément a la fois avec les antigénes correspondants et avec
Vextrait méthylique de bacilles de Koch. De méme les bacilles
de la fléole et les bacilles de Ventérite hypertrophiante des
bovidés (Panisset et Verge). Les réactions s’entre-croisent et la
spécificité des substances qui les provoquent se trouve ainsi tras
réduite. D’autre part, un phosphatide défini, lovolécithine,
décele, quoique avec une intensité moindre que les antigeénes
homologues, les anticorps produits chez les animaux neufs par
les bacilles tuberculeux et paratuberculeux intacts ou leurs
extraits, comme l’indique le tableau suivant :
LIPOIDES DU BACILLE TUBERCULEUX 793
Antigéne lécithine
1 cent. cube
de la solution ‘
4.1/2.000
Sérum anti-Bacilles tuberculeux totaux. .........~. 100 unités
Sérum anti-Bacilles tuberculeux trailés par acétone . .. . 80 —
Sérum anti-Bacilles tuberculeux traités par acétone et aicool
Me ny Gide eaees Meee mE Cnt ene se Ts APE 2 oo —
Sérum anti-extrait acétonique de Bacilles tuberculeux . . . 80 —
Sérum anti-extrait méthylique de Bacilles tuberculeux trai-
LeSupotaCCUONC wren cre ar men rae en ere ese. ea 20 —
Sérum anti-extrait méthylique de Bacillus subtilis traités
POU AAC ELON Cis ee reer esters Be orca, Macy Bie Wore es be, ep etna So) 60 —
Sérum anti-extrait méthylique de Bacilles de la fléole trai- —
LES PaleaGclOMeurer = Breet as Ones if SAtrenne .. ert mete kes 400 —
Sérum anti-extrait méthylique de Bacilles diphlériques
LL AMESS PORTAGE LONE Ms hye: bea se ieip sees coe } bad cs Geos bSLiav AL. 60 —
“Sérum anti-tuberculine .. 2... Rely a hs cs ee ae On ee
SCEULMmOAnMe CCIUNIN Cones amy ee ene nme ee ce ee 100 —
Cependant, lorsquon ajoute de lovolécithine aux extraits
alcooliques de bacilles de Koch, on n’augmente pas leur pou-
voir antigéne & l’égard des sérums antituberculeux (sérum de
chevaux traités par des injections répétées de bacilles tuber-
culeux biliés, vivants, de Calmette et Guérin), soit qwils fixent
a eux seuls tous les anticorps de ces sérums, ou que le pouvoir
antigéne in vitro de la lécithine soit identique 4 celui des
extraits et se confonde avec lui dans la réaction.
Injectée & plusieurs reprises (5 fois 2 centigrammes 4 deux
jours d’intervalle par la voie veineuse & des lapins neufs;
saignée neuf jours aprés la derniére injection), l’ovolécilhine
produit des anticorps actifs 7m vitro avec les émulsions d’ovo-
lécithine (100 unités), avec la tuberculine brute (60 unités),
avecles extraits méthyliques de bacilles tuberculeux (40 unités)
et de bacilles diphtériques (60 unités), mais non en présence
d’extrails méthyliques de Bacillus subtilis, de bacilles de la
fléole et de l’antigene syphililique (antigene de Bordet-
Ruelens).
Les propriétés de la Ilécithine, dans ce domaine, sont donc
comparables a celles des extraits alcooliques de bacilles tuber-
euleux, paratuberculeux et diphtériques, et nous pouvons nous
autoriser de cette constatation pour englober toutes ces sub-
stances, avec de simples restrictions quantitatives, dans un
méme groupe d’antigénes.
7194 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR
Mais les phosphatides ne sont pas, comme nous |’avons
montré, les seules substances anligeénes du hacille de Koch.
Les graisses dans une cerlaine mesure, les protéines davan-
tage, et méme des substances azotées moins complexes comme
celles qu’on retrouve dans la tuberculine, présentent les mémes
propriétés. Et comme des microbes différents, les bacilles
paratuberculeux et les bacilles diphtériques principalement, se
comportent dans les réactions d’anticorps ltuberculeux, & des
degrés variables, comme les bacilles spécifiques, on peut
supposer que chacune de ces especes microbiennes constitue,
suivant la formule imagée de M. Nicolle, une véritable
mosaique d’antigénes dont les fragments les plus actifs seraient,
in vitro, les lipoides et, 7 vivo, les yroléines inaltérées ou
plutot des complexes lipo-protéiques.
Il semble ainsi que la fraction antigene fondamentale de ccs
lipoides bacillaires appartienne & la classe des phosphatides
dont l’ovolécithine est le type et que les variations quantita-
tives observées dans leur valeur réactionnelle respective soicnt
a la fois fonction de leur complexité et de leur masse, de la
nature de leurs acides gras, de la plus ou moins grande
richesse et de la structure de leurs groupes azotés, de leur
solubilité dans les liquides employés pour Jeur extraction et
des matiéres grasses ou cireuses qui leur sont associées. A tous
ces facteurs on doit ajouter la qualité des émulsions aqueuses
des extraits alcooliques bacillaires, au point de vue de leur
aspect physique : leur opacité, c’est 4-dire l’abondance, la finesse
et la dispersion des particules colloidales qui varient non seu-
lement pour chaque espéce microbienne, mais encore avec la
vitesse et les modes de préparation des émulsions.
Les LIPOIDES DU BACILLE TUBERCULEUX ET LES REACTIONS
; b’ HYPERSENSIBILITE.
Les lipoides bacillaires qui ont, comme les microbes intacts,
la propriété de déceler les sensibilisatrices correspondantes
et de produire des anticorps lorsqu’ils sont injectés aux
animaux neufs, paraissent remplir toutes les conditions d’un
véritable antigéne, au sens habituel et convenu du mot. Mais
de nombreux auteurs se refusent & admettre que des substances
LIPOIDES DU BACILLE TUBERCULEUX 795
de composition relativement aussi simple puissent provoquer
in vivo des réactions analogues & celles qu’on atlribuait aux
seules proléines et esliment que leurs propriétés biologiques
sont dues a des impuretés de nature protéique.
Injectées, méme & dose infime, aux animaux, les protéines
microbiennes provoquent des phénoménes d'hypersensibilité
caracléristiques qui, sous l’effet d’une injection nouvelle, se
traduisent, aprés une période d’incubation assez conslante,
par des troubles locaux et généraux. La question se po-
sait de savoir si les lipoides du bacille de Koch jouissent
également de cette propriété. Thiele ct Embleton répondent
par laffirmative. En faisant agir successivement sur des
acilles tuberculeux desséchés : 1° l’acétone qui dissout les
graisses neutres, la cholestérine, les acides gras et la matiére
coloranle; 2° l’éther qui dissout les phosphatides non élroite-
ment associés aux protéines, ces auleurs obtiennent un corps
en grande partie insoluble dans |’acétone et dans l’alcool qui
correspondrait & la fraction cworine d’Erlandsen. Son rapport
azote
phosphore
un phospholipoide Nt P* soluble dans l’alcool ct dans l’éther,
mais insoluble dans l’acétone, et un phospholipoide N*P* pré-
cipitable par I’éther des solutions alcooliques. Les substances
du groupe N‘P?, injectées & des animaux neufs, provoqueut la
formation de précipitines et de sensibilisatrices. Toutefois,
leur spécificité n’est pas stricte, car ces anlicorps réagissent
aussi bien avec l’anligene homologue qu’avec Il’antigéne total
et l’antigéne (corps bacillaire) privé de lipoides. Les phospha-
tides NP? auraient, en outre, la propriété de sensibiliser active-
ment les cobayes & l’action de l’antigene homologue et aux
protéines.. Réciproquement, les animaux préparés par des
injections de protéines du bacille tuberculeux réagiraient
légérement aux phosphatides.
Critiquant les expériences de méme ordre sur l’action anaphy-
lactisante des lipoides, effectuées par Gay et Andler avec les
extraits de sérum de cheval, Pick et Yamanouchi avec les
lipoides du sérum de cheval et du sérum de beuf, Bogomoletz
avec les lipoides du jaune d’cuf et Kurt Meyer avec les lipoides
des vers inteslinaux, White émet l’hypothése que les résultats
= MP*. Il existerait encore, dans le bacille de Koch,
796 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR
positifs obtenus par tous ces auteurs doivent étre rapportés a
l’action de faibles quantités de protéines ou aux lipo-protéines
contenues dans leurs extraits. Contrairement 4 Thiele et
Embleton, White ne parvint pas a sensibiliser des cobayes
avec des extraits alcooliques de bacilles de Koch rigoureuse-
ment indemnes de protéines et il conclut que les lipoides bacil- .
laires n’ont aucune action anaphylactisante a légard des
lipoides et des protéines homologues. De méme les protéines
bacillaires ne sensibilisent pas les cobayes aux lipoides corres-
pondants. Cependant, lorsque les protéines sont injectées aux
animaux préparés une heure aprés le lipoide on observe un
certain état réfractaice. Aprés un délai de dix-neuf & vingt
heures cette protection conférée par les lipoides disparait.
I] nous était d’autant plus indiqué de reprendre ces expé-
riences qu’Armand-Delille, Isaac Georges et Ducrohet, injec-
tant, & des enfants tuberculeux, de petites quantités de nos
extraits méthyliques bacillaires en émulsion aqueuse, avaient
observé des réaclions cutanées identiques 4 celles que pro-
voque la tuberculine.
Nous avons d’abord montré que les injections intraveineuses
de 2 & 5 cent..cubes de ces extraits sont assez souvent suivies,
chez les lapins tuberculeux, mais non chez les lapins neufs,
d’une réaction thermique caractéristique pouvant atleindre 4°5.
Or, il est facile de précipiter les lipoides des solutions alcoo-
liques concentrées en les additionnant de quatre parties d’eau
physiologique et de les séparer ensuite par centrifugation. Si
on injecte & des lapins tuberculeux 2 & 5 cent. cubes de la
partie liquide et une quantité correspondante de floculat a
d’autres, on constate que seule la partie liquide détermine
une ascension prolongée de la courbe thermique, c’est-a-dire
une réaction tuberculinique typique. Inversement, le floculat
seul produit des anticorps chez les lapins neufs et fixe le
complément avec le sérum des tuberculeux. Par conséquent,
nos extrailts méthyliques de bacilles de Koch contiennent des
substances douées de propriétés différentes, dont une tuber-
culine.
La tuberculine, en effet, est partiellement soluble dans
alcool lorsqu’elle est privée d’électrolytes; sa précipitation
n’est obtenue qu’en présence de sels (Koch). Au cours de la
LIPOIDES DU BACILLE TUBERCGULEUX 197
préparation des extraits bacillaires, une certaine quantité de
tuberculine meluse dans les corps microbiens est dissoute par
alcool méthylique, en méme temps que les lipoides, mais & un
taux si minime qu’il faut injecter plus de 1 cent. cube de ces
extraits & des lapins tuberculeux pour observer une réaction
thermique. Leur toxicité est trés réduite, car les cobayes tuber-
culeux en supportent sans inconvénient 10 cent. cubes (cor-
respondant & un poids initial de 50 centigrammes de bacilles
frais) dans le péritoine, alors que la tuberculine brute les tue,
par la méme voie, a la dose de 0c. c. 1 et les bacilles intacts
a la dose de 1 centigramme,
Quelle que soit la sensibilité des enfants tuberculeux a la
‘tuberculine injectée dans le derme, nous ne pensons pas que
les faibles quantités de celte substance contenues dans les
extraits aleooliques hacillaires soient suffisantes pour provo-
quer & elles seules, la faible dose de 1/20 de cent. cube, une
intradermo-réaction spécifique, puisque les cobayes neufs qui
recoivent dans la peau 1/2 & 1 cent. cube de ces extraits en
émulsion aqueuse présentent, comme les cobayes tuberculeux,
peut-étre avec une intensité moindre, une réaction mmédiate
et durable avec edéme papuleux, rougeur, suivie ou non de
nécrose superficielle. Dans ces réactions cutanées qui abou-
tissent parfois 4 Ja formation d'une véritable eschare, aprés de
fortes doses (3 & 5 cent. cubes), ce sont surtout les lipoides
qui interviennent. Si, en effet, on injecte séparément a des
cobayes neufs et & des cobayes tuberculeux les lipoides préci-
pités de l’6mulsion, d'une part, et la partie liquide, de l'autre,
cette derniére se résorbe immédiatement, alors que le floculat
provoque les mémes réactions cedémateuses et nécrotiques que
Pémulsion totale. Ces phénoménes locaux, qui n’offrent aucune
spécificité, paraissent dus a l’action des acides gras libérés par
hydrolyse dans la région injectée.
Nous avons tenté de sensibiliser des lapins neufs en leur
injectant, par la voie veineuse, 2 4 5 cent. cubes d’extrait
méthylique antigene de bacilles de Koch (extrait évaporé et
émulsionné dans l'eau, dont 1 cent. cube correspond a
5 centigrammes de bacilles frais). Trois semaines aprés, ces
animaux furent éprouvés par la méme voile respectivement
avec : |
798 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR
a) 2 cent. cubes du méme extrait méthylique bacillaire ;
b) 2 cent. cubes d’extrait éthylique correspondant;
c) 2 cent. cubes d’extrait acétonique direct de bacilles de
Koch;
d) 2 cent. cubes de solution de lécithine au 1/100 (léci-
thine pure préparée spécialement par 'offmann-Laroche) ;
e) 1 cent. cube de tuberculine brute.
Aucun d’eux n’a présenté de symptomes d’hypersensibilité
ni de troubles thermiques, alors que des lapins soumis, aux
mémes intervalles, & des injections de 0 cenligr. 5 4 1 cen-
ligramme de bacilles tuberculeux vivants, avirulents, succom-
bent quelques heures ou quelques jours aprés linoculation.
Réciproquement, des lapins préparés par la voie veineuse
avec de la tuberculine brute (4 cent. cube), de la lécithine
(2 centigrammes), de l’extrait acétonique de bacilles de Koch
(2 centigrammes correspondant & 10 centigrammes de bacillis
frais), éprouvés ensuite avec chacune de ces substances ct
Yextrait méthylique bacillaire par la méme voie, ne réagi-
rent & aucune d’elles.
D’autres lapins inoculés par la voie veineuse avec 10 centi-
grammes de bacilles tuberculeux morts, puis, trois semaines
aprés avec 5 cent. cubes d’extrait méthylique antigéne en
émulsion aqueuse, n’ont manifesté aucun trouble, non plus
que des lapins tuberculisés depuis un & deux mois, soumis &
la méme épreuve et des lapins éprouvés avec 5 centigrammes
de corps bacillaires, trois semaines aprés une injection intra-
veineuse de 5 cent. cubes du méme extrait.
Ces expériences répélées chez des cobayes ont également
donné des résultats négatifs. Les extraits méthyliques de
bacilles de Koch ne sensibilisent pas ces animaux a l’action de
Yextrait homologue injecté & la dose de 10 cent. cubes dans le
péritoine, ni a laction locale (phénoméne de Koch), ni a
action générale (mort rapide) des bacilles morts et de la
tuberculine. De méme, les bacilles tuberculeux vivants ou
morls ne sensibilisent pas les cobayes & l’action des lipoides
bacillaires,
Les maivéres grasses, les cires et les phospholipoides du bacille
de Koch n'exercent done aucune action sensibilisante et aucune
action déchainante chez les animaux préparés par des injections
LIPOIDES DU BACILLE TUBERCULEUX 799
de produits homologues ou de bacilles morts, et chez les animaux
tuberculeux.
Les extraits méthyliques bacillaires n’en provoquent pas
moins chez les animaux neufs, comme chez les tuberculeux,
une abondante formation d’anticorps décelables par la dévia-
tion du complément. Ils présentent, par conséquent, des
propriétés anligénes certaines, mais beaucoup plus restreintes
que les protéines et indépendantes de ces substances qui, non.
seulement produisent des anticorps, mais encore sensibilisent
les cobayes & dose trés faible (0 milligr. 05 d’aprés Krause) et
déterminent chez les animaux sensibilisés des réactions géné-
rales immédiates (choc anaphylactique) ou tardives et des
réactions locales (phénoméne de Koch) typiques.
ESsAIS DE TRAITEMENT DE LA TUBERCULOSE EXPERIMENTALE DU
COBAYE ET DU LAPIN PAR LES EXTRAITS METHYLIQUES DU BACILLE
DE Kocu.
Deycke et Much, en faisant agir sur Je bacille tuberculeux
des acides dilués (acide lactique), ont préparé une série de
substances, dont des lipoides, douées, affirment-ils, de propriétés
curatives spécifiques et désignées sous le nom scientifique
danligénes partiels, puis sous le nom commercial de partigénes.
Le traitement de la tuberculose consiste, d’aprés ces auteurs,
a éprouver la sensibililé des malades & chacun de ces anti-
génes, a déterminer les anticorps qui manquent ou sont insuf-
fisants, et & provoquer la formation de ces anticorps déficients
par injection des partigénes correspondants. On ne sait pas
encore, malgré de nombreux essais, si celte thérapeutique
augmente les « forces défensives » des malades et les conduit
a la guérison.
D'autres auleurs, afin d’assurer hydrolyse des graisses et
des cires du bacille de Koch dans l’organisme, ont cherché a
accroitre les lipases sériques des tuberculeux en leur adminis-
trant par injection sous la peau, ou par ingestion, des graisses
neutres et des cires. Le succés de cette méthode n’a pas été
trés vif puisqu’elle n'est pas entrée dans la pratique médicale.
A la suite de quelques essais de préparation de sérums
riches en anticorps tuberculeux par injection d’extrait méthy-
800 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR
lique bacillaire, nous avons été frappés par ce fait que les
lapins tuberculeux ainsi traités survivaient plusieurs semaines
aux témoins. Sans attribuer cette action aux anticorps fixateurs,
qui, suivant l’expression de M. Calmette, ne sont que les
témoins de l’infection, nous avons renouvelé sur des cobayes
et des lapins tuberculeux, infectés depuis cing 4 neuf jours,
les mémes expériences dont nous avons obtenu les résultats
suivants :
I. — Essais de traitement des cobayes tuberculeux.
L’extrait méthylique de bacilles de Koch traités préala-
blement par l’acétone a été employé sous la forme d’une
émulsion aqueuse, privée d’alcool par distillation dans le
vide. 1 cent. cube de cette émulsion correspond a 1 centi-
gramme de corps microbiens secs et & 5 centigrammes de
bacilles frais.
A. — Essai de traitement par les voies sous-cutanée et péritonéale
avec une dose fixe d’extrait : 4 cent. cube.
Dix-sept cobayes (1) sont infectés le 26 avril 1922 par double instillation
oculaire de 0 milligr. 5 de bacilles trés virulents (souche Bovine Vallée)
suivant la technique de MM. Calmette et Guérin.
Huit recoivent sous Ja peau, tous les quatre jours, du 5 au 20 mai,1 cent.
cube d’extrait baciltaire. Repos de dix jours suivi d’une nouvelle série de
six injections aux mémes intervalles jusqu’au 27 juin. Tous meurent du 73¢
au 195e jour dont :
2 du 73 au 100¢ jour,
4 du 100e au 125¢ jour,
3 du 125e au 150e jour,
2 du 150e au 195¢ jour,
4 avec des lésions localisées a un organe (powmon ou rate) et & avec une tuber-
culose généralisée.
Six autres cobayes sont traités de la méme maniére, mais par la voie péri-
tonéale. [ls succombent :
3 du 115° au 150e jour,
3 du 150¢ au 167¢ jour,
avec des lésions localisées soit aux poumons, soit a la rate.
Trois cobayes témoins meurent de tuberculose généralisée dans le délui habi-
tuel : 92°, 100°, 104° jour.
_(1) Le nombre des cobayes et des lapins indiqué dans toutes ces expé-
riences est celui des survivants au trentiéme jour aprés linoculation ; beau-
coup dentre eux ayant succombé dans cet intervalle ala suite d’infections
intercurrentes.
LIPOIDES DU BACILLE TUBERCULEUX 80t
B. — Essai de traitement par la voie sous-cutanée avec une dose
fixe d’extrait : 4/2 cent. cube.
Le 13 ectobre 1922 on infecte 42 cobayes par instillation oculaire avec
0 milligr. 4 de bacille. A partir du 24 octobre on injecte A 7 d’entre eux,
ehaque semaine, 1/2 cent. cube d’extrait sous la peau.
2meurent du 87e au 100¢ jour,
4meurt du 125° au 150¢ jour,
4meurent du 150° au 180¢ jour,
5 avec des lésions localisées, 2 avec une tuberculose généralisée.
Un des 5 témoins meurt le 58° jour avec une adénite cervicale tuberculeuse,
les 4 autres succombent a une tuberculose généralisée du 95° au 120° jour.
C. — Essai de traitement par la voie sous-cutanée avec des
doses croissantes dextrait : 1/4, 1/4, 4/2, 1/2,4 et 4 cent. cube.
Deux injections par semaine. Repos de dix jours, suivi d’une nouvelle
série d’'injections. Cet essai a porté sur 29 cobayes infectés par instillation
oculaire le 9 octobre (8), le 10 novembre (10) et le 18 novembre 1922 (11).
4 sont morts du 25° au 40° jour d infection intercurrente,
4 — 50° 75® jour
4 a 75* 400° jour
412 — 100° 425¢ jour
2 — 125° 437° jour
Parmi ceux qui ont succombé aprés le 75¢ jour, 9 avaient une tuberculose
localisée & un organe et 5 une tuberculose généralisée.
Des 8 cobayes témoins:
2meurent du 50° au 75¢ jour avec des lésions localisées,
4 _ oe 100¢ jour _ généralisées.
2 _ 100 435¢ jour = _—
D. — Essai de traitement comparatif par la tuberculine :
4 cent. cube de la solution au 41/100 en injection sous-cutanée.
Sur 4 cobayes dont le traitement tuberculinique a pu étre poursuivi :
4 est mort le 38° jour (adénite cervicale),
al — 85e jour (tuberculose généralisée),
1 _ 424° jour ( _ — Ne
A — 130¢ jour ( — — ye
{l. — Essais de traitement des lapins tuberculeux.
A. — Essai de traitement par la voie veineuse.
Le 3 mars 1922, 6 lapins sont infectés par la voie veineuse avec 0 milligr. 002
de bacilles bovins (Bovine Vallée), 4 recoivent tous les trois jours, du 7 mars
au 5 mai, 2 cent. cubes d’extrait méthylique dans Ja veine. Deux sont
conservés comme témoins qui meurent un peu prématurément le 62¢ et le
64¢ jour avec des lésions pulmonaires étendues et des tubercules sur les
reins.
802 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR
Les trailés succombent :
1 le 73° jour avec les tubercules disséminés sur les poumons et
un tubercule sur le rein droit,
1 le 83e jour avec des lésions élendues aux poumons et aux reins,
4 le 1114 jour avec des lésions étendues aux poumons et aux reins,
1 le 12lejour avec des lésions étendues aux poumons et aux reins.
B. — Essai de traitement par la voie sous-cutanée.
4 lapins infectés en méme temps et avec la méme dose de bacilles que les
précédents recoivent, tous les trois jours, une injection sous cutanée de
2 cent. cubes d’extrait méthylique.
4 meurt prématurémenlt le 38¢ jour avec un début de granulie
pulmonaire,
4 meurt le 95° jour avec des lésions confluentes localisées aux
poumons,
4 meurt le 97¢ jour avec une pneumonie caséeuse,
4 meurt le 127° jour avec des lésions pulmonaires confluentes
sans extension aux aulres organes.
Chez les lapins infectés par injection intraveineuse avec des
doses plus faibles de bacilles bovins (0 milligr. 001 dela souche
Bovine Vallée) qui provoquent une tuberculose moins rapide,
les résultats du traitement antigénique ont été plus intéres-
sants. Les injections sous-cutanées de 1 cent. cube d'extrait
méthylique de bacilles de Koch ont retardé de plusieurs
mois, par comparaison avec les témoins, lévolution des lésions
tuberculeuses qui restaient le plus souvent localisées aux pou-
mons.
Huit lapins sont infeclés le 18 novembre 1922 par inoculation intraveineuse
de 0 milligr. 001 de bacilles bovins. Deux conservés comme témoins meurent
dans le délai habituel de trois mois avec des lésions massives des poumons
et des tubercules a la surface des reins.
Les six autres regoivent deux fois par semaine, A partir du 20 novembre,
1 cent. cube d’extrait méthylique bacillaire sous la peau. Un premier lapin
meurt au bout de trois mois et demi dune affection intercurrenle avec une
granulie pulmonaire récente, disséminée.
Un deuxitme succombe quatre mois et demi aprés J'inoculation avec des
lubercules assez nombreux, mais non confluents, sur les deux poumons. Pas
de généralisation aux organes. Les lésions tuberculeuses n‘étaient pas assez
étendues pour avoir été la cause directe de la mort.
Un troisiéme, mort a la fin du cinquitme mois, présentait également des
lésions pulmonaires limitées. Les autres organes étaient sains.
Chez un quatri¢me, mort de pasteurellose six mois et demi aprés linfec-
tion, il existait une granulie pulmonaire récente et quelques fins tubercules
sur les reins.
Le cinquiéme lapin est mort accidentellement au cours du neuviéme mois.
Ses poumons présentaient des cicatrices fibreuses el quelques rares granu-
LIPOIDES DU BACILLE TUBERCULEUX 803
lations récentes. Presque tout le parenchyme était sain. Le foie, la rate et
les reins étaient normaux.
Chez le dernier lapin, sacrifié quelques jours aprés le précédent, il
n’existait aucune lésion macroscopique des poumons, du foie et de la rate.
Les seuls signes de l'infection consistaient en quelques taches cicatricielles
blanches disséminées a la surface des reins.
Ill. — Essais de traitement avec I’extrait acétonique
direct de bacilles tuberculeux.
Un cent. cube de cet extrait, dont l’acétone a été éliminée
par distillation, correspond 41 centigramme de bacilles secs.
A. Quatre lapins infectés le 13 mars 1923 par injection intraveineuse de
0 inilligr. 001 de bacilles bovins recoivent sous la peau, a partir du 20 mars,
1 cent. cube @extrait acétonique deux fois par semaine:
1 meurt le 39e jour (tuberculose pulmonaire),
1, — 67¢ jour ( — _ Me
{ — 70e jour ( _ _— ls
4, — 80° jour ( _ — et granulations tubercu-
leuses trés nombreuses 4a la surface des reins et de la rate.)
Chez tous ces animaux, surtout le dernier qui a présenté des
léstons d'une intensité exceptionnelle, la tuberculose a évolué
plus rapidement que chez les témoins (90-100 jours).
B. Dix cobayes infectés le 13 février 1923 par instillation oculaire regoivent
toutes les semaines, a partir du 19 février, 1 cent. cube du méme extrait sous
la peau:
1 meurt le 48° jour (adénite cervicale et un tubercule sur la rate),
4 meurent du 50° au 75° jour (3 avec des tubercules sur la rate,
1 avec des lésions généralisées),
4 meurent du 75e au 100° jour (tuberculose généralisée),
1 meurt le 105e jour (tuberculose généralisée).
Méme durée et mémes lésions chez les témoins.
D’aprés ces expériences, les extraits acétoniques bacillaires
n’exercent aucune action favorable sur la tuberculose du lapin
et du cobaye; dans certains cas méme, ils en accélérent et
ageravent l’évolulion. Les exlraits méthyliques de bacilles
tuberculeux privés d’une grande partie de leurs graisses ct
cires par l’acétone paraissent, au contraire, retarder la marche
envahissante de la tuberculose chez ces animaux et localiser
les lésions, surtout chez les lapins infectés avec des quantités
relativement faibles de bacilles (0 milligr. 004 : 40.000 bacilles).
Ces essais, soumis a la critique la plus sévére, devront étre
3d
804 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR
mullipliés avant qu’on puisse formuler une opinion sur Ja
valeur curative des lipoides du bacille tuberculeux dans
Vinfection expérimentale et dans l’infection naturelle. Ceux
dont nous rapportons les résultats n’en présentent pas moins
quelque intérét, car la tuberculose progresse chez le lapin et
le cobaye avec une régularité telle que tous les moyens théra-
peutiques qui en ralentissent le cours méritent d’étre pris en
considération.
‘CONCLUSIONS.
Les lipoides du bacille tuberculeux solubles dans l’alcool
méthylique et insolubles dans l’acétone ont des propriétés
antigénes en ce sens qu'ils dévient le complémentavec le sérum
des tuberculeux et produisent chez le lapin des substances qui
se comportent comme des anticorps.
Les lipoides des bacilles paratuberculeux et diphtériques
dévient le complément 4 des taux divers (méthode de Calmette
et Massol) avec les sérums antituberculeux et produisent des
anticorps décelables 4 la fois avec les antigénes correspondants
et les antigeénes tuberculeux.
Cette propriété commune aux bacilles paratuberculeux,
diphtériques et tuberculeux parait attribuable a la présence,
dans les extrails alcooliques de ces microbes, de substances
appartenant au groupe des phosphatides.
Les extraits méthyliques de bacilles de Koch ne provoquent
aucune manifestation d’hypersensibilité chez les lapins et les
cobayes tuberculeux ou préparés avec des extraits homologues,
de la tuberculine ou des bacilles morts. Leurs propriétés anti-
génes sont donc moins étendues que celles des protéines.
Les extraits acétoniques directs de bacilles tuberculeux
n’exercent aucune action favorable dans le traitement de la
tuberculose expérimentale du lapin et du cobaye. Au contraire,
les extraits méthyliques bacillaires, privés en grande partie
des matiéres grasses et cireuses par l’acétone, ralentissent la
marche de l’infection qui reste souvent localisée 4 un seul
organe.
(Laboratoire de M. le professeur Calmette & l'Institut Pasteur.)
LIPOIDES DU BACILLE TUBERCULEUX 805
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DE LA PATHOGENIE DU CHOLERA
(HUITIEME MEMOIRE)
L’ALGIDITE CHOLERIQUE
par le Prof. G. SANARELLI,
Directeur de l'Institut d’Hygiéne de l'Université de Rome.
I. — Lialgidité cholérique n'est pas déterminée
par une intoxication entérogéne.
Les recherches que je poursuis depuis quelques années sur
le choléra, et plus particulitrement sur la maniére de se
comporter des vibrions cholériques dans l’organisme animal,
m’ont permis d’établir les deux points fondamentaux suivants :
4° Les vibrions, quelle qu’ait été leur porte d’entrée, se
dirigent tout de suite, invariablement, vers les parvis intes-
tinales de animal infecté, l’intestin étant leur principale voie
d’excrétion. Il est encore leur principal point d’arrét et presque
leur foyer unique de multiplication.
2° La présence et la multiplication des vibrions dans les
parois digestives y provoquent, par leur pouvoir irritant et
diarrhogéne, des altérations de différents degrés, depuis la
simple congestion jusqu’a la gastro-entérite suraigué, avec
desquamation épithéliale compléte, ou a la cachexie intes-
tinale chronique. ;
Ces données semblent désormais acceptées sans contestation.
Les expériences récentes de M. Masaki (1), effectuées a
I'Institut Pasteur dans le laboratoire de M. Besredka, en
suivant le plan de mes travaux, arrivent aux mémes conclu-
sions. Les recherches effectuées auparavant, par M. Besredka
lui-méme (2), sur le mode d’action des bacilles dysentériques.
typhiques et paratyphiques, en suivant mes expériences sur
(1) Du mécanisme de l'infection cholérique, etc. Ces Annales, 1922, p. 399.
(2) Du mécanisme de l’infection dysentérique, etc. Ces Annales, 1919, p. 304.
— Reproduction des infections paratyphiques. ibid., p. 557.
ALGIDITE CHOLERIQUE 807
la maniére de se comporter des vibrions chez les animaux,
arrivaient également déja a la méme constatation : le tropisme
intestinal de tous ces microbes. Ceux-ci méritent donc d’étre
appelés, a cel égard, comme je l’ai proposé: microbes entéro-
philes. D’ailleurs, dés mes premiéres notes de 1916 (4), j’avais
signalé explicitement que les bacilles dysentériques, para-
typhiques, etc., partageaient, avec les vibrions cholériques,
cette singuliére attraction pour les parois intestinales.
Cependant, pour ce qui concerne les vibrions du choléra,
nous avons déja remarqué que les manifestations qu’ils provo-
quent chez les animaux, et que nous avons ‘décrites dans nos
Mémoires, y compris la manifestation la plus suggestive
ce quon a appelé le « choléra intestinal » des petits lapins,
nous renseignent trés imparfaitement & l'égard du mécanisme
pathogénique de la phase la plus marquée, Ja plus imposante
et la plus typique du choléra humain.
Le choléra humain n’est pas seulement une entérite ou une
entérocolile plus ou moins aigué. Il accuse un symptéme
particulier qui, s'il n’est pas spécifique, est, lout au moins,
bien caractéristique. Il en est, en tout cas, la manifestation la
plus grave, celle qui fait le plus d’impression : l’algidité.
Au reste, l’apparition du syndrome algidité peut étre parfai-
tement indépendante de toule manifestation intestinale. Le
syndrome local, intestinal, c’est-a-dire les coliques avec la
diarrhée, ainsi que le syndrome général, c’est-a-dire l’algidilé,
peuvent marcher ensemble ou étre, au contraire, indépendants
lun de lautre. Le flux intestinal peut diminuer, étre méme
trés léger, alors que l’algidité augmente et vice versa.
Les manifestations inlestinales, représentées notamment
par ce que l’on appelle la diarrhée prémonitoire, ont si peu de
connexions avec le syndrome algidité, se déclenchant & un
moment donné, que quelques anciens auteurs opinérent que
la diarrhée n’avait rien a faire avec la véritable maladie cholé-
rique! .
L’algidité a donc une physionomie clinique et anatomique
si marquée, qu'elle devrait se rencontrer toujours dans le
(1) Pathogénie du choléra. C. R. de ? Acad. des Sciences, 6 novembre 1916 et
49 mars 1919; La Presse Médicale, 6 novembre 1916, et Annali d'Igiene, 1916,
p. 685.
808 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR
tableau d'une véritable reproduction expérimentale da choléra.
Cliniquement, on le sait, Valgidité se résume dans cette
triade symptomatique non dissociable : hypothermie, dépres -
sion circulatoire et anurie. Particuli¢rement chez les sujets
jeunes et robustes, exempts de tares rénales ou hépatiques,
ainsi que d’involutions séniles, l’algidité est accompagnée
d’inquiétantes manifestations, telles que la cyanose, les
contractions musculaires, les accés de dyspnée, d’asphyxie, ete.,
aboutissant souvent & la mort subite, une mort brusque qui, &
V'autopsie, ne trouve aucune explication.
En effet, les lésions anatomiques des cholériques, morts dans
la période algide, c’est-a-dire en pleine évolution d'un syn-
drome terrifiant, dont Vintensité ferait penser a d’imposantes
altérations viscérales, profundes, sont la plupart des fois
insignifiantes. Dés leurs premiéres recherches sur le choléra,
effectuées & Toulon en 1884, Straus et Roux (1) avaient bien
remarqué cetle étrange discordance. En effet, & part l'état
plus ou moins diarrhéique de l’intestin et les banales autant
qu inconstantes lésions des reins et du foie, l’altération anato-
mique vraiment caractéristique et inséparable de la véritable
algidité cholérique se borne & la chute massive et soudaine
de tous les épithéliums et de tous les endothéliums, affectant
indistinctement l’intestin, les voies biliaires, la vessie urinaire,
les uretéres, les bassinets et toutes les séreuses. Cette altéra-
tion a bien peu attiré jusqu ici l’attention des savants. Toute-
fois, cette desquamation des surfaces muqueuses et séreuses
est bien loin de fournir une explication suffisante de l’algidité
cholérique.
D'autre part, on a vu dans mes précédents Mémoires
ce que l’on doit penser de l’action du protéide des vibrions.
Injecté par voie parentérale, il agit particuliérement sur les
muqueuses des voies digestives en produisant des gastro-
entérites, qui sont cependant banales et ne rappellent, pas
méme de loin, les symptémes de l’algidité cholérique. Quant &
la résorption du protéide par l’épithélium intestinal, méme
en admettant pour un instant l’hypothése invraisemblable que
(1) Exposé des recherches sur le choléra & Toulon. Bull. de Acad. de
Méd., 1884, p. 1047.
ALGIDITE ,CHOLERIQUE 809
les vibrions parviendraient & se développer dans !'intestin en
y produisant de fortes quantités de substances toxiques, on ne
peut pas y songer, car la muqueuse intestinale n’absorbe
les protéides toxiques que tres lentement et en toute petite
proportion.
Dans l’anse isolée d’un chien de 7 kilogrammes, opéré de
fistule intestinale, selon la méthode Thiry-Vella, j'ai injecté
tous les jours, pendant un mois, deux cultures de vibrions
digérés par Ja pancréatine. Ce chien n’a pas accusé le moindre
trouble, malgré la forte toxicité du produit injecté quotidien-
nement, et dont j’ai déja signalé les propriétés dans mes précé-
dents Mémoires. Au bout de l’expérience, il avait méme repris
son poids primitif, d'abord diminué de 1 kilogramme aussitdt
apres l’opération, et le dépassait de 300 grammes. Pendant ce
laps de temps, le pouvoir agglutinant de son sérum était
monté de 1:10 41:25, ce qui dénote qu'une petite partie seule-
ment du protéide introduit dans l’anse inteslinale isolée, pen-
dant trente jours de suite, avait été résorbée.
Chez les lapins, je n’ai pas obtenu des résultats différents. Au
moyen dune petite sonde cesophagienne, j’ai introduit tous
les deux jours, dams l’estomac de six robustes lapins, de
t kilogr. 1/2 environ, pendant deux mois, deux cultures de
vibrions, dissoutes par la pancréatine. Au bout de ces deux
mois de traitement, les lapins, qui n’avaient manifesté aucun:
signe de maladie au cours de |’expérience, avaient attemt le
poids de 2 kilogrammes et le pouvoir agglutinant de leur
sérum, vis-a-vis du vibrion de lIsonzo, allait: de 1: 200 4 4:500.
Pour éviter objection que la pepsine chlorhydrique pourrait
atténuer Ja toxicité du protéide vibrionien introduit dans
Festomac, je me décidai & injecter chez les lapins le protéide
a dose élevée, en une seule fois (jusqu’a vingt cultures dis-
soutes) directement dans bes anses intestinales. L’effet fat nul.
J’ews recours alors & un autre expédient. Je parvins a établir
une fistule appendiculaire chez une robuste lapine. L’acte opéra-
toire de cette fistule n’est pas trés difficile. On fixe, séreuse
contre séreuse, l’extrémité charnue du cul-de-sac de l’appendice
vermiforme, comme on pratique pour la fistule entérique, a
un lambeau de la paroi abdominale, sur la ligne médiane. Les
parois de l'appendice, bien ow’assez fragiles, se prétent tres
840 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR
bien pour les points de suture, élant considérablement épaisses.
Il faut employer, bien entendu, des aiguilles et de la soie
extreémement minces. Par un coup de ciseaux, on découvre
ensuite le fond du cul-de-sac et on laisse cicatriser, ayant soin
de savonner tous les jours les bords de la plaie et la peau envi-
ronnante, sujets a s’enflammer sous le suintement constant
des humeurs caecales. Peu & peu la piaie sv rétrécit et, au bout
de quelques jours, il ne reste plus quun tout petit trou,
presaue invisible, par ot l’on peut introduire, jusqu’a la pro-
fondeur nécessaire, une sonde élastique de petit calibre.
Par pareille fistule, j'ai pu injecter tous les jours, du 4 aodt
au 16 septembre, c’est-a-dire pendant quarante-deux jours,
directement dans l’ampoule cecale de la lapine en question,
une culture entiére de vibrions dissous dans de la pancréatine.
Les effets furent absolument. nuls. Méme le pouvoir agglu-
tinant du sérum monta trés peu, de 0 4 1:50. Bref, pas d'action
toxique, ni aigué, ni chronique, ni cumulative.
Aussi, aprés cetle conslalation, et ayant égard 4 tout ce que
lon connaissait déja sur cet important sujet, } écartal complé-
tement Uhypothése visant simplement l’action massive toxique
du protéide des vibrions s’accumulant dans le tube digestif.
Pour reproduire expérimentalement le tableau de l’algidité
cholérique, il fallait donc battre tout autre chemin que celui
suivi jusqu’alors,
Certes, il n’y avait pas lieu de comparer & l’algidité cholé-
rique cetle banale hypothermie faisant suite, chez les cobayes,
& linjection intrapéritonéale de vibrions, bien que Pfeiffer (1)
Yavait envisagée comme |’équivalent du stadium aigidum. Je
décidai alors de porter, avant tout, mon atlention sur les ani-
maux adulles, en m’inspirant des nouvelles méthodes décou-
lant de mes propres expériences.
Tous ceux qui se sont occupés de ce sujet savent bien que,
jusqu’ici, aucun expérimentateur n’est parvenu A reproduire
chez les animaux adultes un processus méme vaguement com-
parable & celui du choléra humain.
Certains artifices opératoires basés sur l'hypothese d’actions
antagonistes des sucs digestifs, les traitements les plus variés
(1!) Studien zur Choleraatiologie. Zeitschr. fiir Hygiene, 1894, 46, p. 227 et 286,
Hi"
ALGIDITE CHOLERIQUE 811
et les plus dangereux infligés & la muqueuse intestinale en vue
dy faire pulluler les vibrions cholériques, l’injection de ces
vibrions dans la vésicule biliaire el dans le tissu hépatique,
ainsi que d’autres expédients semblables imaginés par tant
d’ingénieux et patients chercheurs, peuvent avoir fait croire,
parfois, a une reproduction expérimentale du choléra. Mais, en
réalité, tout le monde est aujourd’hui d’accord pour recon-
naitre qu'il ne s’agissait, dans ces différents prétendus cas de
reproduction du choléra, que de banales entérites ou de septi-
cémies vibrioniennes.
II. — Vibrions cholériques et microbes « de sortie ».
Malgré que, depuis longtemps déja, le réle des vibrions
cholériques, dans l’étiologie du choléra, ne soit plus contesté,
le tableau bactériologique de ce processus continue 4 donner
lieu & de nombreuses objections et a des discussions trés
embarrassantes.
A part la question bien connue des cas de choléra ot l'on
n’arrive pas 4 isoler de vibrions des déjections, quoiquc cette
recherche soil devenue aujourd hui trés facile; & part la cons-
tatalion assez fréquente des vibrions dans le sang, dans les
différents organes, jusque dans le cerveau et dans le liquide
céphalo-rachidien des cholériques; 4 part la notion, désormais
bien élablie, que Ja gravité de la maladie n’a aucun rapport, ni
avec la virulence, ni avec le nombre de vibrions présents dans
Vintestin; il y a encore Ja circonstance de la fréquence particu-
liére avec laquelle on retrouve, dans Jes cadavres des cholé-
riques autopsiés tout de suite aprés la mort, des microbes
d’infections secondaires ou associées. Sue
Ces microbes « de sortie » sont presque toujours les mémes:
colibacilles, streptocoques, staphylocoques, paraltyphiques, etc.
De Rekowski (1) en a isolé des cadavres de cholériques, méme a
la distance de une heure et demie & deux heures de la mort.
(1) Sur les microorganismes dans les organes des morts cholériques. Arch.
des Se. Biol. de St-Pétersbourg, 1892, 1, p. 517.
8412 ANNALES DE L’'INSTITUT PASTEUR
Egalement, Lesage et Macaigne (1), dans 13 cadavres de cholé-
riques, morts dans la période algide et autopsiés entre la
deuxiéme et la quatrigme heure aprés le décés, ont trouvé le
foie et la bile envahis particuliérement par le colibacille. Ces
auteurs n’envisagent la présence de ces microbes que comme
le simple fait d’une invasion post morlem ascendante, non
comme due a une véritable infection secondaire.
Dans le choléra, méme dans la période de convalescence,
outre des « rechutes d’algidité » que quelques auteurs attri-
buent & une reprise de virulence des vibrions demeurés dans
Vintestin (2), les infections secondaires donnent origine aux
complications les plus différentes. Souvent, lorsque les signes
de l’algidité se sont déja effacés, lorsque les troubles de ]’appa-
reil digestif se sont atténués et que tout fait présager l’entrée
‘prochaine de la pleine convalescence, la fiévre se déclare avec
une forte prostralion et de adynamie.
La plupart des fois, ces états infectieux n'accusent pas de
localisations particuliéres, aucun orgame n’apparait atteint.
Le systeme nerveux et les principaux orgames se montrent
normaux.
On envisage généralement ces infections secondaires conmme
d’origine intestinale, quoiqu’on n’ail pu affirmer rien de précis
& cet égard. Le fait est que, & l’autopsie des cholériques, morts
au cours de ces infections secondaires, on a souvent conslaté la
présence de colibacilles en grande quantité dans le foie, dans
la rate, dans les reins, ete. La circonstance que des constata-
tions semblables ont été faites, méme dans des cas d’autopsies
pratiquées aussitot apres le décés, écarte tout & fait Vhypothése
trop simple d’une banale invasion cadavérique. Cette circon-
stance porte, au contraire, & penser que chez les cholériques
les infections secondaires ou paralléles, dues dans la plupart
des cas aux colibacilles, plus rarement aux microbes pyogenes,
peuvent se produire, non seulement pendant la maladie, mais
méme aussitot que le patient a surpassé la période algide (3).
Ce que l’on a appelé la « réaction typhoide », qui survient par-
fois pendant le eholéra, est provoqué par une imyasion abon-
(1) Etude bactériologique du choléra. Ces Annales, 1893, 7, p. 18.
(2) Lesace. Le choléra, p. 66, Paris, Masson.
(3) Ibtd., p. 135.
———
ALGIDITE CHOLERIQUE 813
dante (1) de colibacilles, favorisée, d’aprés tes auteurs, par la
disparition de l’épithélium intestinal.
Que le colibacille pendant l’accés cholérique devienne viru-
lent, se multiplie et tende souvent & représenter & lui seul la
totalilé de la flore microbienne cultivable de lintestin, personne
ne Vignore.
C’est depuis longtemps que l’on a signalé les cas nombreux
d’autopsies de cholériques dont le tube digestif ne donnait que
des cultures de colibacilles [Kirchner (2), Rénon(3), Lesage et
Macaigne (4)|. Pour Rénon (5), cette prédominance du colibacille
dans la flore intestinale des cholériques est l’indice de la plus
grande gravité et, pour Lesage et Macaigne, cette prédomi-
nance leur suggére Vidée de distinguer dans le choléra quatre
formes hactériologiquement différentes, en se basant sur
201 cas étudiés par eux sous ce rapport.
Dans la premiére forme seulement, le vibrion et le colibacille
seraient présents; dans la deuxiéme, on retrouverait & la fois
d’autres microbes; dans la troisiéme, figurerait le colibacille
seulement et, enfin, dans la quatriéme, le colibacille avec
d’autres microbes et pas de vibrions.
Nous savions bien, depuis quelque temps déja, que chez
Vhomme aussi bien que chez les animaux, dans toutes les
maladies intéressant l’intestin, ou étant compliquées d’altéra-
tions intestinales, on remarque toujours dans l’intestin lui-
méme une multiplication exceptionnelle du colibacilie avec
un rehaussement de sa virulence.
Mais dans l’infection cholérique de Vhomme ou expérimen-
tale des animaux, cette mobilisation colibacillaire ne se borne
pas & Vintestin. Elle s’étend également aux tissus, en prenant
un caractére particulier et assez significatif.
Nous avons vu, dans notre sixitme Mémoire, que dans
Vinfection cholérique des jeunes chiens, soit qu’eble ait été
provoquée par voie buccale, soit par voie sous-cutanée ou
(1) Kotte et Hetsca. La bactériologie expérimentale, 3¢ édit., frang., Genéve,
Paris, £918, 4, p. 340.
(2) Bacteriologische Untersuchungen bei Cholera nostras und Cholera
asiatica. Bertiner klin. Woch., 1892, n° 43, p. 1073.
(3) Etude sur quatre cas de choléra. Ces Annales, 1892, p. 621.
(4) Loc. cit. .
(5) Du rapport étiologique entre le choléra nostras et le choléra indien.
Arch. gén.:-de Méd., 1897, n°’ 7, p. 27.
814 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR
intraveineuse, le colibacille provenant des matiéres fécales de
la mere (qui, dés la naissance de ces animaux, contamine iné-
vitablement leurs muqueuses externes et pénétre, vraisembla-
ment, aussitot aprés, dans quelques organes internes) augmente
de virulence et se multiplie prodigieusement en faisant irrup-
tion dans le sang et dans les différents organes.
Ce n’est pas le cas de s’arréter sur le point de départ de ces
invasions colibacillaires. L’opinion Ja plus courante, c’est
qu’elles ont leur origine dans lintestin. Mais il s’agit d’une
_simple supposition, basée sur la croyance que le siége habituel
de ces microbes soit l'intestin. I] est, au contraire, bien avéré
que le colibaciile fait presque toujours partie de la flore de
toutes les muqueuses directement en rapport avec l’extérieur.
Grimbert et Choquet (1) ont rencontré dans 43 p. 100 des cas
étudiés par eux dans la bouche et, plus parliculiérement, sur
les amygdales, dont les nombreuses cryptes représentent,
comme l'on sait, la principale porte d’entrée pour toutes sorles
d’infections.
Ces infections colibacillaires, dans le choléra, constituent
un fait si typique et si fréquent qu’il doit appeler forcément
toute nutre attention. On voit bien que, dans ce cas, la vio-
Jente infection colibacillaire se déclenche sous Vinfluence immé-
diate du vibrion cholérique. Les rapports étroits entre vibrions
et colibacilles émergent encore plus clairs et frappants dans
les intoxications et dans les infections vibrioniennes aigués ou
chroniques, chez les cobayes et encore mieux chez les lapins.
Lorsque novs nous sommes occupé du mode d’action du
protéide des vibrions, nous avons vu que dans les intoxications
irés aigués, chez les cobayes ainsi que chez les lapins, il se
vérifie toujours, non seulement une multiplication immédiate
et extraordinaire du colibacille dans l’intestin, mais il se pro-
duit encore assez souvent, particuli:rement dans les cas d’in-
toxication chronique, une irruplion soudaine colibacillaire ou
streptococcique, etc., dans le sang, suivie de mort.
Nous avons vu, dans le précédent Mémoire, concernant les
lapins et les cobayes qui ont recu dans les cavités nasales des
insufflations répétées de vibrions, que ces animaux peuvent
(1) Doprer et Sacquépén. Précis de Bacté iologie, 1914, p. 496, Paris.
ALGIDITE CHOLERIQUE 815
mourir avec des lésions anatomiques intestinales ou pulmo-
naires et avec le tableau bactériologique de la colibacillose ou
de la streptococcie, plus ou moins généralisées.
Dans ce méme Mémoire, nous avons, en outre, signalé que,
dans les infections chroniques produites par les vibrions
injectés dans le péritoine, on rencontre parfois dans Ja vésicule
biliaire. des lapins les colibacilles assoeiés aux vibrions. Nous
avons rapporté un cas d’infection vibrionienne chez le lapin
a travers la muqueuse naso-pharyngienne, suivi de mort par
pneumonie bilatérale, avec un tableau bactériologique, dans
les poumons, de vibrions associés aux colibacilles. Presque
toutes les formes de cachexie intestinale, provoquées par les
vibrions, se terminent par une colibacillose plus ou moins
généra isée. Les lapins qui ont recu une injection de vibrions
vivants ou morts dans les parois de liléum, dans les plaques
de Peyer, dans les parois de l’appendice, du sacculus, etc.,
finissent tot ou tard par succomber, présentant souvent les
caractéres d’une colibacillose généralisée ou, tout au moins,
d’une cholécystite colibacillaire. Qu’il me soit permis de faire
remarquer une fois pour toutes, que les animaux dont je me
suis servi dans ces recherches ont été l’objet d'une surveil-
lance assidue, de sorte que leurs autopsies ont été praliquées
toujours avec la plus grande promptitude, dans la plupart des
cas aussitét apres la mort, souvent méme de nuit.
D’autre part, nous tenons, en passant, a rappeler les résultats
des recherches de Trombetta (1), concernant l’invasion micro-
bienne des tissus des lapins aprés la mort. Cette invasion est
tres tardive ; d’aprés Trombetta, elle ne débute que seize heures
apres la mort, les cadavres étant maintenus a la température
ordinaire. A la glaciére, elle se déclare encore un peu plus
tardivement, vingt heures apres la mort. Ce n’est donc pas le
cas, & propos des recherches dont nous nous occupons, de
songer & d’hypothétiques autant qu’invraisemblables invasions
cadavériques.
Aussi, pour pouvoir nous expliquer la constance et la pré-
cocité des infections colibacillaires dans les chiens nouveau-
(1) Die Faulnissbakterien und die Organe und das Blut ganz gesund
getddteter Thiere. Centralbl. fiir Bakt, 1891, 10, p. 664.
816 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR
nés, ainsi que la fréquence relative de ces infections secondaires
chez les autres animaux de laboratoire que nous soumettons 4,
la contagion vibrionienne, il faut penser que les vibrions
exercent sur les colibacilles et, parfois, sur quelques autres
microbes aussi, méme A distance, une action particuliére de
réveil ou de rappel.
Cette action apparait considérablement facililée si l’on fait
suivre aux injections de vibrions linjection intraveineuse
d'une petite quantité de culture de colibacilles tués par la cha-
leur, par le toluol ou simplement filtrée. Les cas vraiment
typiques, et curieux en méme temps, sont ceux qui se pro-
duisent chez les lapins, quelques jours aprés | insufflation
nasale des vibrions: ils meurent d’entérite chronique. A l’au-
topsie, on trouve que les vibrions sont complétement disparus
de la cavité nasale, et & leur place on constate la présence de
colibacilles trés virulents !
Méme lorsqu’on injecte des vibrions yivants par la trachée,
on constate, & la mort de l’animal, une colibacillose générale.
Celle-ci est favorisée d’une fagon toute spéciale si l'on injecte
simultanément dans la veine 1 & 2 cent. cubes de culture de
colibacilles simplement tués par la chaleur ou par le toluol.
Chez un lapin neuf, mort trois jours apres l’administration buccale de deux
cultures de vibrions, on trouve une pleurésie séreuse de nature vibrionienne
et, en outre, une péritonite exsudative (avec 5 cent. cubes de liquide) de
nature colibacillaire. Un autre lapin, mort quatre-vingt-cing jours aprés
l'administration bucecale de vibrions, présentait A l'autopsie le tableau de la
cachexie intestinale, et les ensemencements décelérent la présence de coli-
bacilles dams le sang et dans la bile.
Un autre lapin de 1.250 grammes, qui avait regu Vinjection péritonéale d'une
culture de vibrions le 19 avril, meurt soudainement le 410 juillet, c’est-a-dire
cent jours aprés. Il accuse a l’autopsie le tableau bactériologique d’une coli-
bacillose générale. La vésicule biliaire renfermait une culture mixte de
vibrions et de colibacilles. Vraisemblablement, c’est ce foyer biliaire qui
avail été le point d’attraction et, 4 la fin, @irradiation des colibacilles
devenus virulents. Le lapin était devenu porteur chronique de vibrions dans
la vésicule biliaire et c’est 1a que les colibacilles avaient été attirés.
Un autre lapin de 1.300 grammes, qui avait regu dans le péritoine une
demi-culture de vibrions et, seize heures aprés, une injection intraveineuse
de 2 cent. cubes de culture filtrée de colibacilles, meurt treize jours apres,
avec les caractéres anatomiques de la cachexie intestinale. Il ne fut possible
disoler de ce lapin une seule colonie de vibrions. On isola de la vésicule
biliaire le colibacille & l'état de pureté. Les colibacilles étaient done passés
dans Ja circulation.
Chez un autre lapin de 1.423 grammes, mort six jours aprés Vinjection
ALGIDITE CHOLERIQUE 817
intraveineuse d'une demi-culture de vibrions, le sang, ainsi que les organes,
sont stériles. L’urine renferme le colibacille a l'état de pureté. Dans la
vésicule biliaire et dans l'intestin, cependant, les vibrions sont encore pré-
sents.
On pourrait objecter que, dans ces cas, il s’agissait d’infec-
tions ou d’intoxications chroniques. La résistance des tissus et
des éléments cellulaires étant affaiblie, il était assez aisé aux
colibacilles d’envahir les organismes.
Mais lobservation démontre que de pareilles invasions par
les colibacilles peuvent se produire, également, dans les
formes aigués de vibrionémie. L’invasion de l’organisme par le
vibrion peut déclencher a son tour, et avec autant de soudai-
neté, invasion colibacillaire. Aussi, il arrive assez fréquem-
ment de trouver chez des lapins morts quelques heures seule-
ment aprés l’injection péritonéale de vibrions une septicémie
vibrionienne avec une quantité remarquable de colibacilles
ayant déja envahi la cavité péritonéale.
Voici quelques autres exemples, d’aprés le protocole de mes
expériences, de cette attraction exercée par les vibrions sur les
colibacilles @ travers les tissus, ainsi que de l’influence que ces
deux espéces de microbes exercent réciproquement |’un sur
Pautre, dans l’organisme animal.
Un Japin de 1.670 grammes, qui avait regu dans les veines une petite dose
non mortelle (1/10 de culture) de vibrions, meurt aprés cing heures seule-
ment, en présentant une infection généralisée mixte de vibrions et de coli-
bacilles. Ces derniers se trouvaient a] état de culture pure dans la bile et
dans lurine. Dans les ganglions mésentériques, au contraire, ils étaient asso-
ciés aux vibrions.
Chez un autre lapin.de 1.520 grammes, qui n’ayait regu dans la veine qu’un
centieme de culture de vibrions, quantité inoffensive, j’ai injecté vingt-
quatre heures aprés, également dans la veine auriculaire, 2 cent. cubes
dune culture filtrée de colibacille. 11 meurt deux heures aprés cette derniére
injection, en présentant des colibacilles trés virulents dans la rate.
Un autre lapin de 1.550 grammes qui, aprés avoir regu dans la veine une
dose non mortelle de vibrions, regoit au bout de vingt-quatre heures 2 cent.
cubes dune culture filtrée de colibacilles, meurt au bout de six heures. Dans
ce court laps de temps, les colibacilles avaient envahi tous les organes;
dans les reins, ils s’y trouvaient 4l’état de pureté. Dans le foie, on trouva le
colibacille associé aux vibrions qui provenaient évidemment de la vésicule
biliaire, ou ils se trouvaient a l’étal de culture pure, ainsi d’ailleurs que dans
le duodénum. Dans tout le resle de Vintestin, les vibrions se trouvaient
mélangés avec les colibacilles.
Un lapin de 1.700 grammes, qui avait requ dans la veine une dose non
mortelle (4/4 de culture) de vibrions, meurt dix-huit heures aprés. Il accuse
818 ANNALES DE LINSTITUT PASTEUR
le tableau bactériologique d’une septicémie vibrionienne et, a la fois, la pré-
sence de colibacilles dans les ganglions mésentériques.
Un autre lapin de 1.450 grammes meurt quelques heures aprés l'injection
d'une culture de vibrions dans la paroi de l’appendice vermiforme. A
l'autopsie, exécutée tout de suite, on conslata une infection générale mixte
de vibrions, slaphylocoques blancs et colibacilles.
Autre lapin de 1.420 grammes qui, vingt-quatre heures avant, avait recu
4/3 de culture vibrionienne dans la paroi du sac ulus, meurt quatre heures
apres injection intraveineuse de 2 cent. cubes d’une culture filtrée de coli-
bacilles. Pas de vibrions, ni dans le sang, ni dans les organes. On trouva
cependant que la rate et le foie étaient déja envahis par d’innombrables
colibacilles.
Dans un cas, j’ai trouvé que lorganisme avait été envahi par un para-
typhique. Il s’agissait d’un robuste lapin de 1.650 grammes: il avail regu dans
la veine 1/4 de culture de vibrions, dose habituellement non mortelle. La
mort, cependant, survint huit heures aprés. L’autopsie fut pratiquée trois
heures aprés la mort. Le sang, tous les viscéres et les ganglions lymphatiques
abdominaux élaient envahis par un bacille paratyphique B. Il ne dédoublait
pas le lactose, noircissait la gélose au sous-acétate de plomb et s'agglutinait
avec un sérum préparé avec un paratyphique B. On ne retrouva les vibrions,
et seulement en toute petite quantité, que dans liléum et dans le colon.
Cette influence des vibrions vivants sur les colibacilles est
exercée tout aussi bien par les vibrions tués.
Un lapin de 1.700 grammes meurt six heures aprés l’injection intraveineuse
d'une cullure de vibrions stérilisés par le toluol. A l’autopsie, le péritoine
le sang, le foie et les ganglions mésentériques se trouvent avoir élé déja
envahis par beaucoup de colibacilles.
Un autre lapin de 1.420 grammes, ayant recu également dans la veine une
culture stérilisée de vibrions, meurt au bout de huit heures, avec une forme
généralisée de colibacillose.
De pareils résultats, la mort particuliérement si précoce des
animaux & la suite de l’administration de doses trés faibles de
vibrions, habituellement trés bien supportées par les lapins,
ne peuvent pas étre attribués seulement aux vibrions.
Les vibrions de l’Isonzo, par injection dans la veine, ne tuent
pas, d’ordinaire, que par des doses supérieures & la demi-
culture. Les doses inférieures provoquent généralement de la
cacheyie intestinale et parfois méme la mort, mais longtemps
apres. Ce n’est que par exception que, dans ces circonstances,
la mort survient rapidement.
Il était, ainsi, raisonnable de penser que, dans ces cas, la
mort précoce des lapins devait étre attribuée plutot aux coli-
bacilles qu’aux vibrions eux-mémes. Le rdle pathogénique de
ces derniers se bornerait, dans les cas dont il s'agit, & rendre
ALGIDITE CHOLERIQUE 819
virulents les colibacilles et & en déclencher l'irruption dans
lorganisme, partant d'un foyer primilif inapercu, ignoré.
Et ce n’est pas sans une raison bien justifiée que je fais allu-
sion & de pareils foyers ignorés. Il est, en effet, peu vraisem-
blable que les colibacilles, dans les cas en question, provien-
nent toujours du contenu intestinal. Il est certain que les
colibacilles se trouvent habiluellement dans l’intestin des
lapins ou sur leurs muqueuses externes. Mais si les vibrions
injectés dans les veines devaient rendre virulents et provoquer
Virruption dans la circulation de ces colibacilles des surfaces
muqueuses, toute injeclion péritonéale, intraveineuse, trachéale
ou autre de vibrions, étant pratiquée a dose élevée, devrait
déterminer le méme effet, & savoir, exalter la virulence des
colibacilles et les altirer ensuite dans la circulation générale.
Or, les choses ne découlent pas ainsi. Mes observations, qui
visent plus d’un millier d’expériences les plus variées, me
conduisent, au contraire, 4 attribuer les colibacilloses qui sur-
viennent dans ces circonstances 4 une origine bien différente.
Comme nous avons dit, |’injection péritonéale ou intravei-
neuse de vibrions, a dose élevée, tue les lapins par septicémie
vibrionienne pure en douze, vingt-quatre heures. Si elle est
pratiquée, au contraire, 4 des doses inférieures, non mortelles,
alors elle est bien tolérée, ou conduit lentement & la mort par
cachexie intestinale.
L’infection & colibacilles qui entre en jeu, précocement ou
tardivement, apparait donc comme un accident qui n’a pas de
régles. Tout améne cependant a penser que le colibacille qui, a
un moment donné, envahit la circulation, provient de quelque
organe ow il est resté niché jusqu alors,
Voici les faits qui m’aménent a envisager dans ce sens I ori-
gine de ces colibacilloses.
J’ai réussi plusieurs fois a retirer, chez le lapin, du coélé
péritonéal, un peu de suc des parois appendiculaires ou sac-
culaires, au moyen de pipettes trés fines, aussi minces que des
aiguilles. Les parois de ces organes lymphatiques sont parfois
assez épaisses (jusqu’aé 2 millimétres environ chez le lapin) pour
permettre d’arriver, sans trop de peine, a ne puiser que le suc
qui suinte directement des follicules, sans souillures enté-
riques.
820 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR
~
*
Or, en ensemencant des tubes de gélose, avec le liquide
suinté de ces organes, j’ai obtenu, dans quelques cas particu-
lierement, de trés nombreuses colonies de colibacilles !
Dans quelques cas, ces ensemencements mont donné égale-
ment des colonies de streptocoques et méme de staphylocoques,
constatations qui m’aménent a rapporter que, bien des fois,
dans le cours de mes expériences, il m’a été donné d’enre-
gistrer que les vibrionémies se compliquent soudainement, chez
le lapin, d’infections & streptocoques ou & staphylocoques.
Il s’ensuit que l'existence cachée de microbes dans les
organes lymphatiques intestinaux représente un fait assez
fréquent, sinon constant.
D'ailleurs, depuis longtemps déja, Bizzozero (1) et Ribbert (2)
ont signalé, les premiers, la présence de bactéries dans |’ épais-
seur de l’appendice vermiforme et du sacculus rotundus des
lapins.
D’aprés ces auteurs, ces microbes proviendraient de |’intes-
tin, et, d’aprés Manfredi (3), ils seraient morts.
Je pense, au contraire, que ces bactéries ont une origine
tout autre : elles proviennent du sang et ne seraient pas toutes
mortes. Dés 1916 (4), j'ai cherché & démontrer, le premier, que
l’appendice vermiforme du lapin représente un organe excré-
teur de microbes, l’organe méme qui, plus précocement que
les autres émonctoires, déverse dans le tube digestif les microbes
arrivés, n’'importe comment, dans le sang.
Cette notion a été confirmée plus tard par Mac Means (5),
par Soli (6) et par d’autres encore.
D’autre part, aous savons, par les études de Marfan et Ber-
nard (7), que les microbes du contenu intestinal ne pénétrent
(1) Sulla presenza costante di batteri nei follicoli dell’ intestino di coniglio.
Arch. per le Scienze mediche, 1885, 9, p. 367.
(2) Ueber das Vorkommen von Spaltpilzen in der normalen Darmwand des
Kaninchens. Deut. med. Woch., 1885, p. 197.
(3) Sulla presenza di batteri morti nei follicoli dell’ intestino di coniglio.
Giorn. internaz. delle Scienze mediche, 1886, p. 348.
(4) La pathogénie du choléra. La Presse Médicale, 1916, p. 503.
(5) Experimental appendicitis. The Archiv. of intern. medicine, 1917, p. 109.
(6) Contributo allo studio della funzione dell’ appendice. Annali di clinica
meclica, 145 mars 1920.
(7) Sur absence des microbes dans la muqueuse normale des animaux et
le eae pathologique de leur présence. C. R. de la Soc. de Biol., 1899
p. 331. :
ALGIDITE CHOLERIQUE 824
a
jamais dans les parois du tube digestif des lapins sains, ni
méme vingt-quatre heures aprés la.mort, lorsque la muqueuse
est déja profondément altérée. Seulement, dans le cas de trés
graves altérations pathologiques de la muqueuse intestinale
(entérites arsenicales, etc.) on peut constater la présence de
microbes dans le tissu méme des parois intestinales (1).
Comment donc admettre, ainsi que beaucoup d’auteurs le
pensent, que les infections colibacillaires, appelées cryptogé-
nétiques, soient d'origine inteslinale ou entérogéne?
En ce qui concerne le colibacille, les expériences bien
connues de Birch-Hirschfeld (2) nient absolument qu'il puisse
traverser la muqueuse intestinale saine.
Par contre, j'ai eu dans maintes circonstances |’occasion de
noter, pendant mes expériences, que la muqueuse naso-bucco-
pharyngienne se laisse traverser par les microbes, beaucoup
plus facilement qu’on ne le pense en général.
En tout cas, que les microbes des tissus lymphatiques et
ganglionnaires proviennent de l'intestin ou plulét, comme je
suis amené a envisager, de la circulation générale, c’est-a-dire
de l’absorption bucco-pharyngienne, il est certain que nous
pouvons reproduire expérimentalement ces infections crypto-
génétiques, & colibacilles, streptocoques, etc., en injectant
directement, chez des lapins, dans un organe lymphoide quel-
conque ou sous la peau, des colibacilles et des pyogénes de
laboratoire, c’est-a-dire peu virulents et & des doses non mor-
telles, et en faisant suivre, un peu plus tard, cette premiére
injection par une seconde, dans le sang, dans la trachée, ou
méme dans un organe lymphatique avec une dose également
non mortelle de vibrions.
Séparément, aucune de ces deux injeclions n’aboutirait pas
a un résultat. Associées ou pratiquées a quelques heures
d’intervalle l'une de l'autre, elles déterminent réguliérement
(1) L’abondante litlérature sur ce sujet est trés bien résumée dans les
publications suivantes : A. Scuorr, Berechtigen experimentelle oder klinische
Erfabrungen zu der Annahme, etc.? Centr. fir Bakter., 1901, 29, p. 239, et
A. Veccar, Sul cosidetto microbismo latente. Arch. per le Scienze mediche,
1908, 32, p. 409.
(2) Ueber das Eindringen von Darmbakterien, besonders des Bacterium coli
commune in das Innere von Organen. Zieglers Beitriige 3. path. Anat., 1898,
24, p. 304.
822 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR
une infection plus ou moins généralisée et mortelle & coliba-
cilles, streptocoques ou staphylocoques.
Voici quelques exemples choisis parmi les plus démon-
stratifs de mes protocoles :
A un gros lapin de 2.310 grammes qui, vingt-quatre heures avant, avait
recu l’injection intraveineuse d'une dose non mortelle de vibrions, on a
injecté une petite quantité de colibacilles non virulents, dans l’épaisseur de
la paroi de l'appendice vermiforme. La mort survint cinq heures aprés. Le
sang était stérile, mais les colibacilles, devenus rapidement virulents,
s'étaient déjA répandus dans les organes: rate, reins, urine.
Dans les parois du sacculus de deux lapins, qui avaientrecu par la bouche,
douze heures avant, deux cultures de vibrions, furent injectées de petites
doses, isolémenttrés bien tolérées, de colibacilles non virulents de labora-
toire. Les deux Japins meurent, l’un cing heures apres, l’autre huit heures
apres, en présentant une migration abondante de vibrions le long des parois
intestinales, simultanément a une colibacillose générale.
Un autre lapin de 1.050 grammes, vingl-quatre heures aprés l’injection sous-
cutanée d’une petite dose, non mortelle, de colibacilles, regoit dans la veine
une dose également non mortelle de vibrions. Quelques heures apres, il est
mort en accugant une septicémie mixte, a vibrions et colibacilles.
J'ai observé plusieurs fois que si Von injecte des vibrions
dans une plaque de Payer et simultanément, ou, vingt-quatre
heures aprés, de faibles quantilés de streptocoques ou de staphy-
locoques, dans la paroi de l’appendice ou du sacculus, les
lapins meurent en un temps variable, présenlant toujours une
généralisation du streptocoque et du staphylocoque associés
parfois au colibacille, dont Vinvasion se déclenche a la der-
niére heure.
L’augmentation de la virulence, ainsi que la généralisation
du colibacille, peuvent se réaliser parfois indépendamment du
concours des vibrions. Il arrive, en effet, assez souvent, que de
simples injections de streptocoques ou de staphylocoques dans
la paroi de l’appendice ou du sacculus provoquent l’apparition
dans le sang du colibacille.
Mais ces cas sont extrémement rares en comparaison de
ceux déterminés par les injections de vibrions, ot |’on peut
affirmer que l’invasion & colibacilles est toujours favorisée.
Sous ce rapport, les résultats des injections trachéales de
vibrions, vivants ou morts, sont encore trés intéressants.
Un lapin de 1.380 grammes, qui avait regu linjection trachéale de deux
cultures de vibrions, meurt, aprés sept heures seulement, de colibacillose
généralisée.
ALGIDITE CHOLERIQUE 823
Dans la trachée de deux lapins sont introduits des vibrions morts et l'on
injecte simultanément, dans les parois de l’appendice, une petite quantité,
dose non mortelle, de colibacilles vivants. Les deux lapins meurent au bout
de six heures environ; al’autopsie, on constate la présence des colibacilles
dans les poumons seulement.
Dans un cas, la mort s’est produite au bout de trois heures seulement :
le lapin avait recu par la trachée deux cultures de vibrions tués par la
chaleur a 60° et, simultanément, dans la paroi de l’appendice, 1/10 de culture
de colibacilles non virulents. Des expériences préalables m’avaient assuré
que la dose de vibrions tués, aussi bien que celle de colibacilles vivants,
administrées séparément, étaient parfaitement tolérées Or, administrées
simultanément, elles provoquérent la mort du lapin en trois heures, apres
une période de convulsions. Les ensemencements du sang, prélevé du cceur
aussitot aprés la mort, demeurérent stériles, mais on rencontra une quantité
extraordinaire de colibacilles dans les poumons.
III. — Lvalgidité expérimentale chez les cobayes.
Nous yvenons de voir, chez les iapins adultes, que l’adminis-
‘tration, quelle qu’elle soit, de vibrions, méme & doses non
mortelles, suivie d’une injection de colibacilles ou de staphy-
locoques, ou bien des produits de ces microbes, 4 dose pareil-
lement inférieure 4 la dose mortelle, détermine quelquefois
une mort trés rapide avec diffusion plus ou moins grande de
microbes de sortie.
J'ai pu méme constater, dans quelques-uns de ces cas de
mort particuliérement rapide, presque foudroyante, que les
animaux ne présentaient & l’autopsie aucune trace d’invasion
microbienne, ni dans le sang, ni dans les différents organes.
Les cobayes se comportent de méme : un cobaye de
270 grammes, qui avait reeu dans le péritoine 3 cent. cubes de
cullure en bouillon filtrée de colibacilles, dose par elle-méme
bien supportée pour le cobaye, meurt au milieu de contractions
spasmodiques, en moins de deux heures, aprés avoir recu,
par la bouche, 4 la distance de quatre heures environ, trois
cultures de vibrions.
Dans ces cas, présentant assez souvent des symptomes parti-
culiers et des lésions anatomiques imposantes, il n’était pas
possible d’attribuer ni la mort ni les lésions graves & un pro-
cessus infectieux quelconque. Tout faisait, au contraire, pré-
sager qu'il pouvait étre question d’un phénoméne toxique dont
il restait a éclaircir la genése. Ce quia été précisément le but
de ces derniéres années de mes recherches.
824 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR
Ici, j'ai rencontré beaucoup de difficullés de nature diffé-
rente dont les principales ont été : la variation saisonniére de
la résistance des lapins, la différence de la maniére de se com-
porter, chez les animaux, des différentes souches de vibrions ;
ainsi que la fagon dont se comportent les animaux, selon leur
taille et leur Age, vis-A-vis des vibrions et des autres microbes
intervenant dans le phénomeéne.
L’effet combiné des deux administrations successives ou
simultanées de vibrions et de colibacilles, ou d'autres
microbes, que nous venons de décrire chez les lapins, et que
nous allons décrire chez les cobayes, par les symptomes qu'il
provoque et le tableau bactériologique et anatomique qu'il
reproduit, apporte une explication trés satisfaisante de la
nature de l’algidité dans le choléra humain, phénoméne
demeuré jusqu’ici trés obscur et qui n’a jamais été reproduit
expérimentalement chez les animaux.
Je préfere commencer par décrire de quelle maniére on
obtient chez le cobaye une suile de manifestations rappelant
de tres prés Valgidité du choléra humain. Chez le cobaye, ce
phénoméne se reproduit avec une plus grande facilité et régu-
larité, et, assez souvent, sous les yeux mémes de l’observateur.
Lorsque nous nous sommes occupé, dans notre quatriéme
Mémoire, du sort des vibrions cholériques injectés, & doses non
mortelles, dans le péritoine du cobaye, nous avons vu que le
passage de vibrions de la cavité péritonéale au tube digestif a
lieu tout de suite. Déj& quinze minutes aprés l’arrivée des
vibrions en contact avec la séreuse péritonéale commence leur
excrétion dans l’intestin. Cette excrétion augmente progressi-
vement et atteint son apogée six heures apres environ.
En sacrifiant les cobayes en série, on remarque que les pre-
miers symptémes de la réaction inlestinale se constatent rapi-
dement, & partir de la deuxitme heure aprés l'injection péri-
tonéale, et acquitrent les caractéres de l’entérite seulement
vers la sixiéme heure.
La sixiéme heure coincide donc, & peu pres, avec le maximum
de l’excrétion des vibrions dans l’intestin et des lésions que
ceux-ci provoquent, en s’arrétant et en se multipliant, dans le
tissu conjonclif de la sous-muqueuse intestinale.
Mais si la dose des vibrions injectés dans le péritoine n'est
ALGIDITE GHOLERIQUE 825
pas mortelle, le cobaye ne présente généralement aucun symp-
tome grave. Souvent méme, sa température ne baisse pas et il
garde sa vivacité normale.
A partir de la sixiéme heure débute, habituellement, la
phase résolutive du processus. L’excrétion des vibrions diminue
graduellement, parallélement avec l’atténuation progressive de
la réaction intestinale. Le lendemain, l’animal apparait com-
plétement rétabli.
Eh bien, si en coincidence avec la sixiéme ou septiéme heure
aprés l'injection péritonéale d’une dose non mortelle de
vibrions (4/3 ou 1/6 de culture), on injecte dans la veine jugu-
laire, ou directement dans le cceur, chez un cobaye de
300 grammes, une petite dose (0,5-0,1 cent. cube) de coli-
toxine (1), animal tombe bientét dans une prostration trés
profonde, souvent accompagnée de contractions, de mouve-
ments convulsifs, d’accés de dyspnée et cyanose.
Je me suis, d’autre part, convaincu que les cobayes neufs,
méme s'ils sont trés jeunes, supportent trés bien les injections
intraveineuses de colitoxine, relativement élevées, jusqu’a 2, 3
et méme 4 cent. cubes, sans manifester le moindre trouble.
Dans le péritoine, ils supportent aussi bien l’injection de 14 a
16 cent. cubes.
Cependant, la pénétration daus le sang d’une quantité
relativement insignifiante de cette colitoxine, chez un cobaye
dont les parois du tube digestif sont depuis quelques heures
sensibilisées par la présence des vibrions, provenant du péri-
toine ou d’autres yoies parentérales, déclenche une réaction de
tout Porganisme, comparable & un choc anaphylactique.
Cet accés est caractérisé par une hypothermie immédiate (la
température rectale descend de 37-38° 4 34-35°, et méme plus
has), par des gémissements, des contractures des membres,
une grande sensibilité abdominale, des convulsions, de la
tachycardie et de la cyanose, reconnaissable particuliérement
au niveau des ongles.
La mort survient, parfois, peu aprés; d’aulres fois aprés
quelques heures : une a deux heures, jusqu’a dix-huit heures.
(1) J’appelle ainsi, par briéveté, une simple culture de colibacille en bouil-
lon, tenue dans l’étuve pendant 2-3 jours et filtrée ensuite.
826 ANNALES DE L’INSTITUT PASTI-UR
Dépassé ce laps de temps, les cobayes se rétablissent comple-
tement.
Lorsqu’ils suecombent, ils présentent le tableau anatomique
suivant : le péritoine est presque sec et d’aspect normal,
Vestomac est généralement congestionné, ainsi que le duo-
dénum et tout l’intestin gréle qui, dans certains cas, a une
couleur de groseille. Le contenu intestinal, jaunatre, verdatre
ou rougeatre, est abondanl, d’aspect muqueux, souvent diar-
rhéigue, quelquefois méme hématique. Les capsules surrénales
sont hémorragiques, la vessie urinaire est fortement contractée
et vide. Lorsqu’on parvient & retirer quelques gouttes d'urine,
celle-ci apparait trés chargée d’albuinine. La vésicule biliaire
aussi est trés souvent vide et contractée. Le sang du ceeur a,
parfois, la couleur et l’aspect poisseux. La rate est toujours
d’aspect normal. L’examen microscopique du liquide intestinal
montre tous les signes d’une entérite desquamative trés aigué.
Le tableau bactériologique est des plus intéressants; bien
des fois il rappelle celui du choléra humain. I y a des cas dans
Jesquels le simple examen microscopique du contenu inles-
tinal décéle la présence d mnombrables vibrions. Les cultures
du sang sont toujours stériles, ou presque stériles, tandis que
celles du tube digestif montrent une excrétion intestinale trés
abondante, notamment du duodénum & liléum. Dans d'autres
cas, au contraire, bien que Ja mort ait été aussi précoce et
précédée par la méme symptomatologie trés caractéristique, la
recherche des vibrions le long du tube digestif, toujours conges-
tionné et diarrhéique, reste difficile. La décharge intestinale
des vibrions n’a aucun rapport avec lintensité des symptémes
qui ont accompagné l’accés d’algidité, provoqué par lVinjection
de la toxine colibacillaire. Néanmoins, dans les cas a plus
longue évolution (ot la mort survient entre 8 a 10 heures, aprés
injection aéchainante de la colitoxine), la décharge des vibrions
dans l’intestin est presque toujours trés imposante. Dans les cas
de mort beaucoup plus tardive, lorsque le péritoine et le sang
restent stériles, le contenu intestinal est transformé en une
culture presque pure de vibrions!
Les expériences de controle, elfectuées en injectant simple-
ment du bouillon stérile ou de l’eau physiologique & la place
de la colitoxine, ont douné toujours des résultats négatifs.
ALGIDITE CHOLERIQUE 827
‘Linjection de la colitoxine doit élre pratiquée dans le sang :
je la pratique habituellement dans une veine jugulaire externe.
Elle peut é6tre exécutée aussi dans le cour. Dans ce cas, lorsque
le choc se déclenche peu de temps apres, |’expérience est trés
démonstrative, particuliérement si l’on a soin de pratiquer
simultanément une expérience de controle sur un animal neuf.
Cependant, comme il arrive quelquefois, pour des raisons qui
nous échappent encore, que l’accés d’algidité que lon
déclenche par l’injection de la coliloxine dans le sang n’est
pas tres net, et que l’on peut attribuer celte insuffisance de
effet obtenu & ce qu’une partie seulement de la colitoxine
injectée ait pénétré effectivement dans le cceur, je conseille
d’injecter de préférence dans la jugulaire.
J’ai encore essayé d’injecter la colitoxine avant ou aprés
les six a sept heures correspondant a l’apogée de l’excrétion
des vibrions dans l’intestin. Dans quelques cas, l’on oblient
également la reproduction de l’accés d’algidité. Une fois, je Vai
oblenu méme 8 Ja distance de trois jours de l’injection de
vibrions. A lautopsie de ce cobaye, mort quelques heures
apres, je trouvai que le péritoine était déja stérile; tout le tube
digestif, au contraire, depuis l’estomac (a réaction alcaline)
jusqu’au cecum, renfermait dinnombrables vibrions, presque
en culture pure.
Pratiquement, les résultats les meilleurs et les plus constants
s obtiennent en opérant les injections intraveineuses de coli-
toxine entre la sixiéme et ]a seplitme heure aprés l’injection
périfonéale de vibrions.
En vue de donner une idée encore plus précise de ces expé-
riences, je crois utile de transcrire ci-aprés les protocoles de
quelques-unes d’entre elles.
I. Copaye ps 280 GramMugs. — 9h. 30: injection péritonéale de 1/3 de culture,
sur gélose, de vingt-quatre heures, de vibrions de I'Isonzo.
16 h. 30 (aprés sept heures): injection dans le cceur de 0 c.c. 5 de colitoxine.
L’animal meurt tout de suite.
Autopsie. — Tableau abdominal] imposant; entérite tres aigué, tout
lintestin est diarrhéique et congestionné; le contenu est une bouillie épaisse
de cellules épithéliales desquamées. Vessie urinaire et vésicule biliaire
rétractées et vides.
Ensemencements. — Quelques vibrions encore dans le sang; beaucoup de
vibrions dans le péritoine: absence de vibrions dans le duodénum ; ils se
trouvent nombreux dans le jéjunum, liléum et le caecum. —
828 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR
Nole. — Un cobaye témoin, du méme poids, injecté dans le péritoine,
avec une dose égale de vibrions, survil. Un deuxieme cobaye témoin, injecté
dans la veine avec 2 cent. cubes de colitoxine n’a donné aucun signe de
maladie. Un troisitme cobaye témoin, injecté dans le cceur avec 1 cent. cube
de colitoxine, ne présente, également, aucun trouble.
II. Cosaye pe 320 crammes. — 11 heures: injection péritonéale de 41/3 de
culture de vibrions ec. s.
17 heures (aprés six heures): injection intraveineuse de 1 cent. cube de
colitoxine. L’animal meurt peu de temps aprés.
Autopsie. — Tableau abdominal imposant; estomac trés congestionné,
recouvert de points hémorragiques; duodénum dilaté, enflammé et diar-
rhéique; tout le jéjunum rougeatre, plein de liquide jaune rougeatre avec
une quantité énorme d’éléments épithéliaux en suspension; liléum, égale-
ment trés congestionné et diarrhéique; de méme le cecum. Les capsules
surrénales ecchymosées ; vessie urinaire rétractée et vide; poumons avec
foyers congestifs.
Ensemencements. — Quelques vibrions dans le sang du cur, beaucoup
dans le péritoine, tres rares dans tout lVintestin, du duodénum au cecum.
Note. — Les cobayes témoins, de méme poids, injectés dans le péritoine
avec la méme dose de vibrions, ou, dans les veines, avec 3 cent. cubes de
colitoxine, ont survécu sans présenter de symptomes morbides.
III. Copaye pE 350 GrammEes. — 10 h. 30: injection péritonéale de 1/3 de
culture de vibrions c.s.; 17 h. 30 (Sept heures apres) : injection dans le cceur de
4 cent. cube de colitoxine. L’animal meurt une heure et demie aprés, ayant
présenté immédiatement: hypothermie, dyspnée, cyanose, tremblements,
crampes, accés conyulsifs et violente émission d’urine peu avant la mort.
Aulopsie. — Tableau abdominal imposant; péritoine presque sec, tout
Vintestin gréle est de couleur lie de vin, dilaté, diarrhéique; son contenu est
constitué par un liquide muqueux et sanguinolent (hématique); au micro-
scope, pas d’hématies, mais beaucoup de détritus épilhéliaux et mucus;
capsules surrénales hémorragiques; vessie urinaire contractée et vide.
Ensemencements. — Beaucoup de yibrions dans le périloine; quelques
vibrions dans le sang du cceur et le long de l’intestin gréle. Ici se sont con-
sidérablement multipliés les colibacilles.
Note. — Les cobayes témoins, de poids égal, traités comme les précédents
cobayes témoins, survivent sans présenter de symptoOmes graves.
1V. Copays pe 310 GRAMMES. — 9 heures: injection péritonéale de 1/6 de cul-
ture de vibrions c. s.
46 heures (sept heures aprés): injection intraveineuse de 1 cent. cube de
colitoxine. L’animal meurt deux heures et demie aprés, avec la méme symp-
tomatologie : hypothermie, dyspnée, prostration, extréme sensibilité abdo-
minale, cyanose, etc.
Aulopsie. — Tableau abdominal trés imposant; exsudat légerement héma-
tique dans le péritoine; tout l'intestin couleur lie de vin, dilaté et plein d’un
liquide 6pais, muqueux, rougedtre, le cecum normal; épiploon congestionné;
vessie urinaire contractée et vide; vésicule biliaire rétractée.
Ensemencements. — Beaucoup de vibrions dans le péritoine; une seule
colonie dans l’ensemencement du sang du coeur; quelques vibrions dans.
Vintestin gréle, pas de vibrions dans le ceecum.
ALGIDITE CHOLERIQUE 829
Note. — Les cobayes témoins, de poids égal, traités comme les précédents,
survivent.
V. Cosayve bE 300 GRamues. — 8h. 30: injection péritonéale de 1/6 de
culture de vibrions c. s.
13 h. 30 (sept heures aprés) : injection intraveineuse de 0c. c. 5 de coli-
toxine. L’animal meurt au bout de deux heures et demie, aprés avoir pré-
senté les phénoménes habituels : baisse rapide de la température, dyspnée,
cyanose, crampes, tachycardie, etc.
Autopsie. — Tableau abdominal imposant; peu d’exsudat péritonéal avec
quelques vibrions; estomac trés congestionné, rouge, avecun contenu fluide ;
tout Vintestin gréle de couleur rouge groseille, efflanqué, plein de liquide
diarrhéique avec beaucoup d’hématies; ceecum a contenu fluide; capsules
surrénales congestionnées; vessie urinaire avec trés peu d'urine chargée
dalbumine.
Ensemencements. — Quelques vibrions dans le sang; encore d’abondants
vibrions dans le péritoine; absence dans le duodénum; en quantité discréte
dans tout le reste de l’intestin gréle et dans le cecum.
Note. — Les cobayes témoins, de poids égal, traités comme les précé-
dents, survivent.
VI. Cosaye bE 220 Gramugs. — 10 heures : injection péritonéale de 1/2 culture
de vibrions c. s.
17 heures (sept heures aprés): injection intraveineuse de 1 cent. cube de
colitoxine. L’animal meurt.en quatre heures, apres avoir accusé des suffoca-
tions, contractures, sensibilité douloureuse du ventre, émission d’urine, etc.
Autopsie. — Tableau abdominal caractéristique. Tout le tube digestif con-
gestionné; Vintestin gréle rouge lie de vin, plein de mucosités denses,
troubles et rougedtres. Au microscope, pas d’hématies; ;cependant, la
réaction a Ja benzidine décéle la présence d'hémoglobine ; capsules surrénales
hémorragiques; vessie urinaire contractée et vide.
Ensemencements. — Quelques vibrions dans le péritoine; sang stérile ;
duodénum stérile; de rares vibrions le long du jéjunum; abondance dans
Viléum.
Nole. — Les. cobayes témoins, traités comme les précédents, survivent.
VIi. Cosaye pe 280 GramMes. — 8h. 30: injection péritonéale de 1/6 de culture
de vibrions c. s.
15 h. 30 (aprés sept heures) :] injection intraveineuse de Oe. c. 4 de coli-
toxine. L’animal meurt en quatre heures, comme d’habitude, avec baisse de
température de 37° 4 3593, dyspnée, prostration, acces de suffocation, etc.
Autopsie. — Tableau abdominal habituel.
Ensemencements, — De rares vibrions dans le péritoine; sang stérile; une
certaine quantité de vibrions dans le jéjunum et dans liléum, vessie urinaire
contractée avec quelques gouttes d’urine chargée d’albumine.
Note. — Les cobayes témoins survivent.
‘VILL. Cosaye pve 300 cGrammes. — 8 h. 30: injection péritonéale de 1/6 de
culture de vibrions.
15 h. 30 (apres sept heures) : injection intraveineuse de 0 ¢. c. 25 de coli-
toxine. Mort en cing heures. Mémes symptomes; la température baisse a
3505, dyspnée, etc.
- Autopsie.— Tube digestif congestionné, estomac avec contenu liquide, mais
acide; intestin diarrhéique ; vessie urinaire contractée et vide.
830 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR
Ensemencements. — Quelques vibrions dans le péritoine; sang stérile ;
beaucoup de vibrions dans l’intestin gréle et le cecum.
Note. — Les cobayes témoins survivent.
IX. Cosaye pr 280 crawmes. — 9 h. 30: injection péritonéale de 1/2 culture
de vibrions c. s. ; Dae:
146 h. 30: injection dans le cour de 1 cent. cube de colitoxine. L’animal
meurt cing heures et demie aprés, avec les symptomes habituels.
Autopsie. — Tableau de l’entérite trés aigué; tout le paquet intestinal trés
congestionné, dilaté, diarrhéique; le contenu fluide renferme des masses
épithéliales desquamées; la vessie urinaire et la vésicule biliaire contractées
et vides.
Ensemencements. — Les préparations microscopiques, colorées par la
fuchsine, décélent la présence de vibrions dans le duodénum, tres abon-
dants dans le jéjunum diarrhéique et dans liléum. Les ensemencements
directs sur gélose, effectués avec le contenu diarrhéique des différents
segments de l’intestin, donnent lieu a la formation de vérilables voiles de
vibrions mélangés a des streptocoques; les vibrions dans le sang sont trés
rares,
Note. — Les cobayes témoins survivent.
X. Copayr pe 300 GkAmMes. — 9h. 15: injection péritonéale de 1/6 de culture
de vibrions c. s.
16 h. 15: injection intraveineuse de 0 c. c. 20 de colitoxine.
L’animal meurt en six heures avec la symptomatologie habituelle.
Aulopsie. — Une certaine quantité d’exsudat dans le péritoine, inlestin tres
congestionné, diarrhéique, capsules surrénales hémorragiques. Vessie uri-
naire contractée et vide.
Ensemencements. — De rares vibrions dans le péritoine; sang stérile;
duodénum stérile; beaucoup de vibrions dans le jéjunum, liléum et le
cecum.
Note. — Les cobayes témoins survivent.
XI. Copaye vE 300 Grammes. — 9 h. 45: injection péritonéale de 1/2 culture de
vibrions ¢. s. :
15 h. 45 (six heures aprés): injection dans le cceur de 1 cent. cube de coli-
toxine. Quelques minutes aprés, le cobaye apparait tres malade; le ventre
se distend et devient trés douloureux au toucher; le poil se hérisse et la
température s’abaisse rapidement 4 34°; les pattes et les ongles apparaissent
cyanosées, l'animal ne se tient plus sur ses paltes, mais change souvent de
place ; a la fin, il est pris de contractures et meurt au bout de huit heures.
Aulopsie. — Tableau abdominal Caractéristique; entérite violente, esto-
mac, duodénum, jéjunum et iléum trés congestionnés; tout l’intestin gréle
est plein de liquide diarrhéique. La vessie urinaire est rétractée et vide. La
vésicule biliaire est également presque vide.
Ensemencements. — Le simple examen microscopique décéle !a présence
de pas mal de vibrions le long du jéjunum et de lViléum. Les ensemence-
ments du péritoine donnent quelques colonies de vibrions; le sang est
stérile; les ensemencements du contenu intestinal, par contre, donnent de
véritables voiles, tres purs, de vibrions sur gélose ; le faible contenu de la
vésicule biliaire provoque le développement de vibrions dans l’eau de con-
densation.
Note. — Les cobayes témoins survivent.
Ne
ALGIDITE CHOLERIQUE 831
Méme injectée dans le péritoine, toujours a doses de beau-
coup inférieures & la dose mortelle, la colitoxine tue les
cobayes qui ont déja l’intestin sensibilisé par les vibrions.
Mais l’absorption par le péritoine de la colitoxine est plus
lente, plus difficile et partielle, car |’épiploon retient par
adsorption la colitoxine et la neutralise en grande partie.
L'action de cette derniére résulte donc moins prompte et
moins énergique. Les effets sont, par conséquent, moins
démonstratifs, comme le montrent les deux cas suivants :
XII. Copaye pe 280 GramMes. — 9 h. 30: injection péritonéale de 1/2 culture de
vibrions ¢.s.
16 h. 30: injection péritonéale de 1 cent. cube de colitoxine. La mort se
produit dans la nuit, dix heures environ apres.
Autopsie. — Abondent exsudat hémorragique dans le péritoine; entérite
tres aigué intéressant toutes les anses intestinales, avec un contenu cré-
meux, formé de guantités énormes d’épithéliums, tombés en grands lam-
beaux.
Ensemencements. — Sang avec quelques vibrions ; voile pur de vibrions a
la surface des tubes de gélose ensemencés avec les différentes portions du
contenu intestinal.
Note. — Les cobayes témoins survivent.
XIII. Copaye pr 300 crammes. — 10 h. 30: injection péritonéale de 4/2 cul-
ture de vibrions ¢. s.
17 h. 30: injection péritonéale de i cent. cule de coliloxine. La mort sur-
vient dans lanuit, douze heures environ aprés l'injection déchainante.
Autopsie. — Tableau abdominal quelque peu atténué, entérite de moyenne
intensité ; le jéjunum seulement est diarrhéique; les capsules surrénales
congestionnées; la vessie urinaire contractée et vide.
Ensemencements. — Encore quelques vibrions dans le péritoine; sang
stérile; d’innombrables quantités de vibrions le long de tout le jéjunum et
Viléum, m4langés a des streptocoques.
Nolte. — Les cobayes témoins survivent.
J'ai voulu voir si d’autres souches de vibrions, en dehors de
la souche de l'Isonzo, constamment employée par moi, se com-
portaient également. J’ai employé a cet effet (1920) une souche
de vibrions isolés en 1919 & Constantinople (1). Les résultats
ont été identiques, comme il résulte du cas suivant, extrait de
mes protocoles.
XIV. Cosaye pe 300 caammes. — 9 heures: injection péritonéale de 1/6 de
culture de vibrions de Constantinople.
(1) Il n’en est pas de méme d’une autre souche isolée également a Constan-
tinople en 1924 et d’une autre souche itsolée en Egypte en 1917.
832 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR
16 heures: injection intraveineuse de 1 cent. cube de colitoxine. L’animal
meurt trois heures aprés, avec les phénoménes habituels.
Autopsie. — Entérite imposante, avec un contenu intestinal abondant,
hémorragique. L’exsudat péritonéal méme est hémorragique ; Vépiploon et
toute la membrane mésentérique sont tachetés de foyers hémorragiques.
Vessie urinaire rétractée A demi, avec quelques gouttes d'urine faiblement
albumineuse. La vésicule biliaire également rétractée,
Ensemencements. — De rares vibrions dans le sang, trés abondants dans le
duodénum ; en trés grande quantité dans la bile et dans tout le jéjunum et
Viléum.
Note. — Les cobayes témoins survivent.
Au cours de ces expériences, je n’al pas manqué d’apporter
quelques variations dans le procédé opératoire, en substituant,
par exemple, aux cultures filtrées de colibacilles, celles
d’autres microbes, du sltaphylocoque notamment. J’ai trouvé,
en effet, que ces cultures filtrées du staphylocoque doré déter-
minent, chez les cobayes, des résultats identiques & ceux pro-
voqués parla colitoxine. Voici le protocole de Pun de ces essais :
XV. Cosaye pt 280 crammes. — 10 heures: injection péritonéale de 1/6 de
culture de vibrions de l’lsonzo.
17 heures: injection intraveineuse de 1 cent. cube de staphylotoxine. L’ani-
mal meurt au bout de trois heures, aprés avoir présenté une longue baisse
de la température ; accés de dyspnée et phénoménes d’asphyxie.
Autopsie. — Gastrite trés aigué ; la paroi gastrique au niveau de la grande
courbure est parsemée de taches hémorragiques violacées. Entérite hémor-
ragique violente; tout Vintestin gréle couleur rouge vif, plein d’un flux
hémorragique, accusant la rupture de capillaires. La vessie urinaire compleé-
tement rétractée ; les quelques gouttes d’urine qu’on en retire coagulent en
bloc par la chaleur.
Ensemencements. — Rares vibrions dans le sang; énorme prolifération
de colibacilles dans tout le tube digestif.
Note. — Un cobaye témoin de 280 grammes, qui avait recu dans la veine
2 cent. cubes de filtrat de staphylocoques, ne présente aucun trouble. Méme
le cobaye de contrdle, qui avait recu la méme dose de culture cholérique
dans le péritoine, survit.
Enfin, j'ai cru utile de remplacer linjection de cultures
vibrioniennes vivantes par l’injection de cultures tuées a 58°.
L'injection péritonéale de deux cullures entiares chauffées,
méme a de petils cobayes de 220 grammes, ne produit, les
jours suivants, qu'un amaigrissement léger et passager. L’in-
jection de quatre cultures chauffées tue au bout de trois jours ;
l’injection de six cultures chauffées tue apres douze heures. |
Mais si, environ sept heures aprés Vinjection de deux cul-
ALGIDITE CHOLERIQUE 833.
tures chauffées 4 58°, on injecte dans la veine 1 vent. cube de
colitoxine, les cobayes présentent souvent une baisse immé-
diate de la température, tombent en convulsions et meurent.
Voici le résultat de l’une de ces expériences.
XVI. CoBave vE 220 Gramugs. — 10h. 30: injection péritonéale de2 cultures
de vibrions tués & 58°.
16 heures : injection intraveineuse de 1 cent. cube de colitoxine. L’animal
meurt trois heures aprés, ayant présenté hypothermie, sensibilité abdomi-
nale, dyspnée, convulsions, etc.
Autopsie. — Gastrite et entérite trés aigués. Tout l’intestin, du duodénum
a Viléum, efflanqué, couleur lie de vin, rempli de mucosités couleur lie de
vin. La benzidine y décéle la présence de beaucoup d’hémoglobine, mais, au
microscope, on n’apercoit pas d’hématies. La vessie biliaire est contractée et
vide.
Ensemencements. — Le sang et les viscéres sont stériles.
Note. — Les cobayes de contréle, de poids égal, qui avaient, respective-
ment et séparément, regu linjection péritonéale de 2 cultures de vibrions
tués a 58° et linjection intraveineuse de 1 cent. cube de colitoxine, ont
survécu.
Quelle valeur devons-nous donner & ces résultats, et quels
rapprochements nous autorisent-ils & envisager entre eux et les -
phénoménes qui accompagnent et constituent le choc anaphy-
lactique et, enfin, entre eux et l’algidité du choléra humain?
Pour le moment peut-étre, ce n’est pas le cas de tirer des
conclusions. Cependant, nous ne pouvons pas nous empécher
de considérer, dés maintenant, comme vraisemblable le méca-
nisme pathogénique suivant : les vibrions parvenus, par voie
sanguine, au niveau des parois intestinales y exerceraient une
action diarrhogéne (diarrhée prémonitoire). La diarrhée, & son
tour, rendrait virulents les colibacilles, ou quelques autres
microbes nichés éventuellement dans les follicules lymphoides
de l’intestin (plaques de Peyer, appendice, etc.). Ce qui d’ail-
leurs se produit dans toutes les entérites.
L’effet immédiat de pareille exaltation de la virulence du
colibacille et de sa multiplication serait la brusque diffusion
d’une toxine nouvelle qui, & son tour, déclencherait lalgidité
avec toute sa symptomatologie. Kt, comme dans toutes les
réactions anaphylactiques, la répercussion dont il s’agit serait
ressentie a la fois dans l’organisme enlier et Jocalement.
D’ailleurs, les phénoménes etles constalations que nous venons
de décrire évoquent de siprés le tableau clinique et anatomique
834 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR
des cholériques qui meurent dans la période algide, quil ne
nous parait pas s’agir entre eux d’une simple analogie.
Nous reviendrons prochainement sur ce rapprochement, avec
de nouveaux faits expérimentaux a l’appui.
RESUME
1° Le protéide des vibrions introduit dans le canal digestif
des animaux, & doses massives ou réilérées, pendant plusieurs
jours de suite, soit par la voie de l’estomac, soit directement
dans l’intestin gréle ou le cecum, n’est absorbé par les parois
intestinales qu’en trés faible proportion et sans déterminer
aucun symptéme morbide. Méme l’action pathogéne que les
vibrions, ou leur protéide, exercent par la voie indirecte de la
circulation sur les muqueuses digestives, chez les animaux &
qui on les injecte sous la peau ou dans les veines, ne rappelle
nullement les symptémes et les lésions qui caraclérisent le
choléra humain et, tout particuligrement, Valgidité cholé-
rique.
2° Il est avéré que la présence des vibrions, ou de leur
| protéide, dans l’organisme des animaux d’expérience provoque
facilement le réveilet l’exaltation dela virulence des colibacilles
et souvent, encore, des slreptocoques et des staphylocoques
pyogénes. Ces microbes de sortie produisent, dans beaucoup de
cas, des infections générales ou des septicémies mortelles.
3° Attendu que de semblables invasions a colibacilles ou &
microbes pyogénes ne se produisent qu’en certaines circon-
stances, il faut penser que le point de départ de ces microbes de
sortie nest pas le contenu intestinal. Au contraire, il parait
plus vraisemblable qu’ils proviennent des organes lymphatiques
du tube digestif (follicules intestinaux de l’appendice vermi-
culaire, du saceulus rotundus, etc.) qui, méme al’état normal,
les hébergent ou leur livrent passage dans la cavité entérique
en leur servant démonctoire, ainsi que nos travaux l’ont &
présent bien élabli. De ces organes lymphatiques, en effet, on
parvient assez fréquemment & iso!er des colibacilles, des
streplocoques, des staphylocoques, trés vraisemblablement de
provenance bucco-pharyngienne. Cette constatation s’accorde
—
<=
ALGIDITE CHOLERIQUE 835
encore avec le fait que le déclenchement des microbes de sortie
peut se reproduire expérimentalement et trés facilement chez
les animaux de Jaboratoire.
4° Chez les lapins qui ont recu dans les veines de petites
doses de vibrions ou qui, & certaine distance d'une premiére
faible injection de vibrions, ont regu Vinjection dune dose
insignifiante de culture, en bouillon, de colibacilles ou de
staphylocoques filtrée, ou bien de petites doses, non mortelles,
de colibacilles on de staphylocoques, se produisent souvent des
effets presque foudroyants, accompagnés d’invasions colibacil+
laires plus ou moins étendues.
Ces effets peuvent s’expliquer en admettant le déclenchement
‘soudain d'un trouble de nature humorale, ayant beaucoup de
points de ressemblance avec le choc anaphylactique.
5° Si, chez le cobaye, a la distance de six 4 sept heures de
Vinjection péritonéale d’une dose non mortelle de vibrions, on
injecte directement dans la circulation une petite quantilé, par
elle seule absolument dépourvue d'action pathogéne, d’une
culture en bouillon de colibacilles filtrée, l’'animal est pris tout
de suite de malaise et meurt souvent en trés peu de temps,
parfois méme subilement, aprés avoir accusé une baisse trés
sensible de la température, de la polypnée, des phénoménes
dasphyxie, contracture des membres, cyanose, tachycardie,
etc., bref un acces comparable, 4 différents égards, a celui qui
caractérise la phase algide du choléra humain.
6° Le déclenchement de ces accidents, qui sont l’expression
d'un phénoméne général et qui, dans leur ensemble, peuvent
tout aussi bien étre assimilés & ceux du choc anaphylactique,
s’accompagne de multiples altérations anatomiques et humo-
rales trés caractéristiques, quise constatent a l’autopsie : gastro-
entérite desquamative trés aigué, souvent hémorragique,
accompagnée de forte congestion du tube digestif, néphrite
aigué, contraction de la vessie urinaire, albuminurie, épaissis-
sement du sang.
7° Chez les cobayes, entre l’injection de |’antigéne prédis-
posant(vibrions) et l'injection du second antigéne’ qui déclenche
l’accés (filtrat de culture de colibacilles), doivent passer environ
six ou sept heures. Cet intervalle, qui coincide avec le moment
de l’apogée de l’excrétion intestinale des vibrions injectés dans
57
836 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR
le péritoine, parait généralement nécessaire pour que se
produise une sensibilisation suffisante de |’animal.
8° Les abondantes décharges de vibrions dans l’intestin, qui
se vérifient dans ce cas, sont dues au processus de desqua-
mation de la muqueuse, mais elles ne sont pas toujours en
relation avec la gravité de l’accés d’algidité. Lorsque la mort
tarde 4 se produire aprés l’'injection de l’antigéne déchainant,
la quantité de vibrions que l’on rencontre dans l’intestin est
beaucoup plus grande. Dans certains cas, le contenu diarrhéique
de Vintestin apparait transformé en une culture pure de
vibrions, tandis qu’a ce moment le péritoine en est presque
débarrassé et le sang devient stérile. Mais, lorsque la mort
survient apres plusieurs heures, le tableau anatomique abdo-
minal est tres peu accentué et la gastro-entérite hyperaigué
fait défaut, malgré l'abondance: de vibrions que l'on constate
dans l’intestin gréle.
9° L’injection préparante peut étre également pratiquée
avec des vibrions tués. Dans ce cas cependant, il est nécessaire
d’employer une dose plus élevée. Le choc qui se produit est,
néanmoins, moins stiret moins accentué qu’avec les vibrions
vivants.
10° Les nombreux points de contact que l’on constate entre la
symptomatologie et les lésions anatomiques de cette espéce
d’algidité que l’on obtient expérimentalement chez les cobayes
et la phase algide qui s’observe dans le choléra humain autori-
sent, ce mesemble,a ranger dés maintenant l’algidité cholérique
parmi les phénoménes anaphylactiques. L’algidité cholérique
ne serait qu’un accés survenant brusquement, aprés une phase
préparatoire de sensibilisation ou dincubation, représentée par
Vaction simple et directe des vibrions sur la muqueuse de
Vintestin et déclenchée ensuite par le concours imprévu, autant
qu’indispensable, d’autres microbes, ou de leur protéide. Il
sagit, en général, de colibacilles, de staphylocoques, etc., hdtes
de passage, mais presque habituels des organes lymphatiques
de Vappareil digestif. Par la suite du processus entéritique
vibrionien ces derniers se réveillent, exaltent leur virulence,
déversent dans le sang leur antigéne déchainant et envahissent,
bien souvent, les différents visctres,
SENSIBILITES INSOLITES ET HYPERSENSIBILITES
par
M. NICOLLE et E. CESARI
Une espéce (nous ne parlerons ici que des animaux supé-
rieurs) se montre, au regard de facteurs morbides variés,
tantdt susceptible (senszbilité normale naturelle, qui sort de
notre sujet), tant6t non. Dans le premier cas, elle peut étre
rendue plus susceptible (Aypersensrbiltté artifictelle) ou contenir
des individus qui le sont par eux-mémes (Aypersensibilité
anormale naturelle); dans le second, elle peut étre rendue
susceptible (senszbilité artificielle) ou contenir des individus qui
le sont par eux-mémes (senszbzlité naturelle anormale). Tout
cela parait simple, verbalement; rien de plus compliqué,
en fait. Les mots « sensibilité » et « hypersensibilité » ne
caractérisent pas toujours des états homologues. On aurait
beau changer les expressions, il en serait encore de méme;
nous ne voyons donc aucun inconvénient sérieux & les prendre
lun pour l’autre (ce que l’on fait communément), pourvu
qu’on spécifie bien de quoi il s’agit, dans chaque cas parti-
culier (nous aurons soin, cependant, d’éviter toute confusion
de forme). Mais la difficulté principale vient d’ailleurs : les
problémes sont multiples et leur solution souvent fort lacu-
naire. Il faut pourtant s’efforcer de les classer et d’en sur-
prendre le mécanisme.
Les facteurs morbides envisagés appartiennent, soit au
groupe des corps (inconnus) appelés antigénes, soit au groupe
des composés chimiques proprement dits (de constitulion
définie); il est néanmoins parfois délicat de discerner si
l'on se trouve en présence de l’une ou de l’aulre catégorie
(d’autant que cerlaines substances « antigénes » ne se com-
portent peut-étre point forcément comme antigénes, dans telles
circonstances que nous rencontrerons).
838 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR
SENSIBILITE AUX PROTEINES
(Humeurs et sécrélions; cellules et extraits cellulaires ;
protéines plus ou moins purifiées, voire cristallisées). Selon les
circonstances, sensibilité, soit naturelle, soit artificrelle ;
commencons par la seconde.
I
On prendra, pour exemple, la susceptibilité artificielle aux
sérums normaux, habituellement au sérum équin, que mani-
festent les animaux de laboratoire. Celle-ci (comme la sensibi-
lité & tous les albuminoides) se montre active ou passive.
Voyons d’abord la forme active.
L’antigéne peut étre intreduit par des voies différentes.
Chez le cobaye (réactif dans ces études), une trace rend déja
le sujet vulnérable; chez les autres espéces, il en faut davan-
tage. Chez le lapin, on se trouvera bien de renouveler le trai-
tement. L’incubalion (constante) et la durée de l’élat anormal
dépendent de l’animal choisi et des conditions expérimentales.
L’épreuve peut se réaliser, ainsi que la préparation, par
diverses voies; on préfére, d'habitude, la voie intraveineuse,
trés sévére. Les accidents observés (toujours rapides) sont liés
simplement a l’espéce et au temps de survie (on n’envisagera,
ici, que les cas mortels, absolument caractéristiques). Chez le
cobaye, c'est tantdt la suffocation brutale, révélatrice d’un
emphystme aigu, dtii au spasme des muscles bronchiques
(post mortem: congestion des organes abdominaux, coagulation
du sang retardée) — tantdt le coma progressif, accompagné
du ralentissement croissant de la respiration (post mortem :
mémes modifications que précédemment, mais emphyséme
modéré). Chez le lapin, tantOt asphyxie rapide, traduisant le
spasme des artérioles pulmonaires (post mortem : encore
congestion des viscéres de l’abdomen et retard de la coagulation
du sang) — tanlot asphyxie lente et narcose (post mortem :
mémes altérations que tout & l’heure, mais plus acceniuées).
Chez le chien, enfin, tantot collapsus, dyspnée croissante et
chute considérable de la pression artérielle (post mortem :
SENSIBILITES INSOLITES ET HYPERSENSIBILITES 839
congestion violente des organes abdominaux, notamment du
foie, sang incoagulable) — tantdt excitation puis dépression,
narcose et ralentissement progressif de la respiration (post
mortem : foie moins congestionné, mais veines abdominales
trés distendues). Chez le lapin, si l’on remplace J’injection
sensibilisante et lépreuve par quelques injections sous-cuta-
nées, on note un cedéme local de plus en plus étendu, amenant
finalement la nécrose (phénoméne d’Arthus).
Quand on administre & des sujets neufs (de la méme espéce
ou d’espéce différente) le sérum d’individus fortement sensibi-
lisés, on provoque l'état de susceptibilité passive, signalé
d’abord par l’un de nous. Cet état ne s’élablit, chez le cobaye,
qu’aprés plusieurs heures; il apparait, immédiatement, chez le
lapin et le chien. Sa durée varie beaucoup selon les circon-
stances. — A la sensibilité passive, se rattache la sensibilité
héréditaire.
Chez les sujets, activement ou passivement sensibilisés,
lorsque l’épreuve ne cause pas la mort ou qu'on réinjecte le
sérum, soit par une voie inoffensive (telle la voie sous-cutanée),
soit avec ménagement, par une voie dangereuse (doses
progressivement croissantes — introduction lente d’antigéne
suffisamment dilué), les animaux deviennent vite et pour un
certain temps réfractaires : on les dit désensibilisés. Ils peuvent,
dailleurs, étre resensibilisés tout de suite, passivement.
Schultz, Dale, Launoy..., ont éludié la susceptibilité des
organes isolés et lavés. Citons comme exemple les expériences
de Dale. On prend l’utérus d’un cobaye femelle préalablement
traité par le sérum équin; on y fait circuler, d’abord du liquide
de Ringer, ensuite de l’antigéne tres dilué : l’organe se
contracte, puis cesse de réagir (désensibilisation). D’autre part,
on prend l’ulérus d’un cobaye femelle neuf; on y fait circuler,
d’abord du liquide de Ringer, ensuite, pendant queique lemps,
du sérum d’un sujet fortement sensibilisé (dilué dans ce
Jiquide) : Vorgane « répond », lors d’introduction ultérieure de
Vantigéne. |
Active ou passive, la susceptibililé se montre, en gros, spéci-
fique. Quelles que soient les « communautés antigénes » de
deux sérums, celui avec lequel le cobaye a été primitivement
traité le tuera, l’autre ne pourra que le rendre malade.
840 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR
De toutes les sensibilités, la sensibilité artificielle aux
sérums (et aux protéines, en général), chez les animaux de
laboratoire, représente de beaucoup la « mieux » connue — et,
cependant, le mécanisme en reste obscur sous bien des
rapporis. Comment expliquer la genése des divers symptomes,
lesquels traduisent : la comtraction des fibres lisses viscérales,
la chute de la pression artérielle, la stase dans le systeme porte,
l'incoagulabililé du sang et de la lymphe, avec hypersécrétion
de cette derniére...?
Dans la susceptibilité active, chacun admet, comme cause
premiere, la réaction de l’antigéne, introduit lors de l’épreuve
et de l'anticorps, dont la premiére injection du méme antigéne
a provoqué la formation. Cette opinion se trouve confirmée par
histoire de la susceptibilité passive, ainsi que par les expé-
riences ot lon tue les animaux, dans les veines, avec le
complexe antigéne-anticorps. Donc, point de difficulté la-
dessus ; mais que résulte-t-il, au juste, de la formation 2m vivo
de ce complexe? Pour les uns, une simple rupture d’équilibres
colloidaux, laquelle rendrait suffisamment compte des modpfi-
cations anatomiques et fonctionnelles observées. Cette concep-
tion, proposée par Nolf, nous parait bien incompléte et nous
préférons incriminer, a |’exemple des autres auteurs, la forma-
tion de produits toxiques. Voici comment nous schématisons
le phénoméne (pour tous les détails, lire : ces Annales,
juin 1922) ; les compléments (que l’on voit disparaitre,au cours
de l’épreuve) se fixent sur les systeémes antigénes-anticorps et
en disséminent les micelles; aprés quoi, les enzymes albumino-
lytiques présents digérent l'ensemble.
Quelques réflexions, maintenant. Nous avons, jadis, divisé les anticorps en
deux types » coagulines et lysines. L’existence de ces derniéres expliquait
facilement les accidents dont on parle ici; mais le dualisme supposé restail,
malgré tout, choquant. Il y a trois ans, alléguant de nombreux faits, nous
avons admis Tlunicité des anticorps; néanmoins, si les faits allégués
demeurent incontestables, leur interprétation nous semble aujourd'hui
un peu spécieuse et nous préférons poser la notion unitaire comme
ressortissant au « principe de simplicité ». D’ailleurs, quand on remplace
les mots « coagulines et lysines » par les mots « actions coagulantes
et actions lytiques », on conserve une distinction, que nous croyons utile
davoir introduite dans Vhistoire des anticorps et on ne change rien & la
nalure des mécanismes que l’on vise. — Nous considérions, primitivement,
les modifications caractéristiques de la sensibilité comme résultant de
latlaque des antigénes par les lysines (aidées des compléments). Fried-
SENSIBILITES INSOLITES ET HYPERSENSIBILITES 841
berger, qui postulait J’wnicité des anticorps, pensa, a la suite de ses
nombreuses recherches sur les « anaphylotoxines », que Je poison « anaphy-
lactique » reconnait la méme origine. Cependant, en y réfiéchissant bien, il
nous a paru assez difficile de supposer que l’antigéne (dont la lyse ne saurait
étre discutée) constitue la source, au moins unique, des substances toxiques
formées. Nous incriminons, depuis pas mal de temps, le complexe antigéne-
anticorps tout entier, chez lequel, nous l’avons montré, l’anticorps repré-
sente la portion dominante (d’autant qu'il entraine avec lui beaucoup de
globulines du sérum, globulines sans doute banales) et nous recherchions
conséquemment l’origine des produits nuisibles dans une attaque des globu-
lines. Les travaux de Jobling et Petersen et surtout ceux de Bordet et Zunz
sont venus préciser notre conception, a laquelleil semble bien qu’on doive
se tenir actuellement, malgré ses lacunes. Il s’ensuil done que, si la
formation des, complexes antigénes-anticorps apparait indubitablement
spécifique, tout ce qui se trouve ensuite déclenché par cette formation
comporte un caractére nettement banal. C’est pourquoi les symptomes,
_ comme nous le disions, ne dépendent que de l’espéce animale intéressée
et de la durée de la survie chez chaque individu.
Demandons-nous, pour continuer, ot se passe le confit
entre l’antigéne et l’anticorps, ainsi que ses suites obligées.
Selon les uns, dans les humeurs; comment, alors, expliquer la
susceptibilité des organes isolés et lavés? — selon les autres,
dans les cellules; alors, dans quelles cellules et de quelle
fagon? Cherchons a y voir clair, en nous basant sur des faits
certains et en procédant méthodiquement. Chez les cobayes,
activement sensibilisés avec de faibles doses de sérum, il
n’existe que peu d’anticorps circulant, mais il en existe cepen-
dant, d’aprés les recherches antérieures de l’un de nous. Des
qu’on introduit lantigéne, il fixe ce « peu », provoquant, zpso
facto, Varrivée d’une nouvelle quantité d’anticorps, issue des
éléments formateurs et supérieure a la premiére (suivant la
loi d’accélération). Et ainsi de suite. Gest done dans les
humeurs que s’opére le conflit, mazs au fur et & mesure de
Varrivée de Vanticorps venu des cellules; voil&é qui accordera
tout le monde. Et l’expérience de Dale (avec l’utérus, rendu
activement susceptible)? Ici, l’antigéne, que lon fait circuler,
fixe lV’anticorps qui, sous l’influence de l'injection, sort des
éléments formateurs (des endothéliums vasculaires, vraisem-
blablement) et le poison engendré (par |’effondrement du
complexe antigéne-anticorps) ira, au passage, exc?ter les fibres
lisses. — Envisageons, maintenant, des sujets fortement sensi-
bilisés (quelle que soit leur espéce) : la masse d’anticorps
« disponible » devient alors notable et la réaction correspon-
842 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR
dante plus marquée, comme on s’en rend comple sans peine :
ainsi, on remarquera que I’e@déme local survient, chez le
cobaye, dans ces seules conditions.
I] ne faut pas, néanmoins, s’attendre & trouver ici des concor-
dances « impressionnantes » ; par exemple, les rapports entre la
proportion d'anticorps décelable in vitro et les effets observés
in vivo manquent volontiers d’harmonie; d’autre part, la quan-
tité d’antigéne injecté joue un role important : des sujets qui
résistent, lors de l’épreuve, & des doses modérées de sérum,
succomberont souvent & des doses supérieures. De tres nom-
breux facteurs compliquent les choses, comme il fallait s’y
atlendre. — Encore deux mots. D’ot viennent, dans l’expé-
rience de Dale, le complément et les enzymes protéolytiques?
De l’endothélium vasculaire? Probablement, mais les preuves
manquent. .
La sensibilisation passive se concoit bien, en gros; toute-
fois, comment interpréler le probleme de lV incubation, obligée
chez le cobaye et inexistante chez le lapin et le chien? Ques-
tion fort obscure.
Pour la désensibilisation, chacun y voit le résultat de la
saturation de l’anticorps par l’antigéne, conception satisfai-
sante d’une facon générale. C’est, en somme, |’ « immunilé
d’épuisement » de Pasteur.
>
Il
Nous allons aborder, a présent, l’étude de la maladie sérique,
commune, on le sait, chez ’homme auquel on injecte des
sérums thérapeutiques, mais rencontrée aussi chez les grands
animaux (bovidés, cheval), avec des signes analogues. Elle
apparait, aprés une incubation de durée variable, se traduisant
par de la fiévre, des éruptions locales et générales (le plus
souvent orliées), des arlhralgies, de l’cedéme facial, de la tumé-
faction ganglionnaire, de la leucopénie... On Ilattribue a
action de l'anticorps formé sur les restes de l’antigéne intro-
duit, opinion fort juste; mais pourquoi la maladie n’est-elle
pas constante? Chez les individus qui échappent aux accidents,
tout se passe comme dans l’immunité (phénoméne de destruc-
lion silencieuse d’un antigéne); chez ceux qui en sont alteints,
SENSIBILITES INSOLITES ET HYPERSENSIBILITES 843
comme dans la sensibilité (phénoméne de destruction bruyante).
La raison? Une prédominance de l’action lytique ici, de l’action
coagulante 1a. La cause intime? On Vignore; les auteurs indi-
quent bien des différences dans la production de l’anticorps et
dans |’élimination de l’antigéne, mais cela n’est guére suffisant
et l’on se représente mal ce qui peut faire pencher la balance,
tantot & droite, tantot 4 gauche. Aussi sommes-nous incapables
de prévenir l’affection sérique. La désensibilisation échoue
(on s’en doutait d’avance); seul, l'emploi des sérums concen-
trés semble atténuer les: accidents et surtout abréger leur
durée.
Chez les sujets qui recoivent préalablement du sérum
étranger, von Pirquet et Schick ont signalé, selon les cas, lors
de la réinjeclion, les réactions immédiate (maximum des
symploémes aprés vingt-quatre heures) ou accélérée (accidents
éclatant aprés incubation trés courte). Nous retrouvons sim-
plement ici des effets étudiés dans le chapitre précédent.
Ill
On observe éventuellement, quand on injecte un sérum
thérapeutique pour la premiére fois par Ja voie intraveineuse
(et méme par la voie sous-culanée), l’apparition rapide de
signes fort graves (dyspnée, anxiélé, tendance a la syncope)
pouvant amener la mort. Il s’agit d'une haule senszbilité au
regard de l'antigéne introduit, laquelle doit étre considérée
comme naturelle (du moins ordinairement) et traduisant l’in-
gérence d’un anticorps « normal ».
Désireux d’éviler de tels troubles, certains médecins prati-
quent d’abord l’intradermc-réaction avec le sérum donné et,
quand elle se montre positive, administrent ce sérum en com-
mencant par des doses intimes et en augmentant trés lente-
ment celles-ci. La méthode, excellente, n’est cependant pas
pratique, car elle prend trop de temps, désavantage a tous
égards. Nous préférons la technique suivante, que nous avons
toujours vu réussir. Supposons l’injection intraveineuse de
20 cent. cubes; on les dilue avec 180 cent. cubes d'eau physio-
logique chaude (37°) et ’on met un quart d’heure pour intro-
duire le tout.
844 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR
IV
Rien de plus facile que de reproduire, chez les petits animaux,
des expériences de sensibilisation active et passive, non seule-
ment avec des sérums variés, mais encore avec du blanc
dceuf, du lait, des protéines animales ou végétales (cristal-
lisées, le cas échéant), des cellules, des extraits cellulaires :
les signes observés et leur explication restent les mémes que
plus haut. Parmi les cellules, retenons les cellules bacté-
riennes, qui se prétent trés bien, comme nous l’avons prouvé
jadis, aux recherches en question.
Nous désirons, X ce propos, insister sur l'analogie frappante
de la maladie sérique et des crises, qui caractérisent certaines
infections humaines. Le mécanisme apparait de tout point
comparable : réaction del’'anticorps formé, soit avec le microbe
(fiévre récurrente), soit avec une « solution » de celui-ci
(pneumonie — voir le travail de Cotoni), Jesquels encombrent
les humeurs. Méme incertitude, quant aux causes intimes qui
« déclenchent » le phénomene.
Dans la sensibilité aux protéines (administrées par la yoie extra-digestive),
nous trouvons un méme mécanisme réalisé de deux maniéres différentes.
Tantot, ’économie réagit a l’antigene introduit, au moyen d’anticorps tout
préts, tantot, il faut qu’elle les prépare d’abord (maladie sérique et crises).
— Quwarrive-t-il, maintenant, quand on injecte, non des antigénes mais des
anticorps? Nous ne pouvons queffleurer (par syméirie) cette question, que
nous avons traitée ailleurs. Si l’anticorps est actif contre des parasites qui
ont envahi l’organisme, il peut détruire ceux-ci sans bruit (cas ordinaire) ou
bruyamment (cas moins fréquent, mais non exceptionnel, bien qu’on n’en
dise rien d’habitude) : la destruction s’opére de la facon indiquée plus haut.
Si l'anticorps est actif contre les cellules ou humeurs de l’animal injecté, la
destruction sera, naturellement, toujours bruyante. Ces divers cas, malgré
la similitude du mécanisme, ne sauraient se ranger parmi les « sensibilités »,
sous peine de compliquer (illogiquement) un sujet déja assez ardu.
Une question mal élucidée, c'est celle de la senszbelité que
montrent des individus prédisposés aux protéines alimentaires :
ceufs, lait, viandes..., lesquelles déterminent, chez eux, des
accidents variés, surtout des éruptions (ortiées, d’habitude) et
des accés d’asthme. Les expériences de transmission échouent
et la recherche des anticorps ne donne rien de net. Comme il
s'agit de substances antigénes, on doit suspecter, naturelle-
ment, les actions d’anticorps. IL semble exister ici une per-
SENSIBILITES INSOLITES ET HYPERSENSIBILITES 845
méabilité anormale du tube digestif; faut-il en conclure & une
sensibilité acquise? L’influence indéniable de lhérédité rend
lhypothése peu vraisemblable. Pagniez et Pasteur Vallery-
Radot ont désensibilisé, per os, des malades avec la peptone ;
cela parait confirmer l'idée de Vander Veer, que de tels
malades sont sensibles aux produits de décomposition des
albuminoides et non aux albuminoides eux-mémes. Le pro-
bléme demeure bien obscur.
SENSIBILITE A LA TUBERCULINE
(Et produits analogues). Divers auteurs ont fait, avec le
bacille tuberculeux, des expériences de sensibilisation et ont
obtenu les mémes résultats qu’avec les autres bactéries. Rien
de singulier; mais la susceptibilité 4 la tuberculine est chose
différente. On sait que cette sensibilité se manifeste par la
triple réaction, locale, générale et au loin, que présentent,
apres incubation, les sujets tuberculeux, sous influence de la
substance dont nous parlons. La réaction locale se montre
typique, lors des épreuves oculaire et cutanée; la réaction
générale se traduit par la fiévre et les symptomes concomitants
habituels; la réaction au loin varie selon le nombre et le
siége des foyers (aussi la nomme-t-on focale). Parlout, les
apparences sont celles d'une inflammation banale; cependant,
la cause reste, pratiquement, spécifique, d’ot la valeur que
Yon reconnait aux épreuves. Ajoutons que les malades avancés
demeurent souvent réfractaires, comme ceux qui ont subi des
injections répétées de tuberculine (méme anomalie, au cours
de la grossesse, de Ja rougeole...).
Que penser de tout cela? Nous sommes stirement en pré-
sence d’un effet particulier, que l’on retrouve, identique, dans
d’autres infections lentes, quand on injecte, soit les microbes
correspondants, soit les extraits de ces germes. Le mot sensibi-
lité convient aussi bien ici que pour les cas envisagés précé-
demment, mais il ne définit pas desaspects réellement sembla-
bles. Faut-il encore admettre un conflit antigéne-anticorps,
avec des conséquences quelque peu spéciales? D’abord, la
tuberculine est-elle anligéne? On s’accorde, communément,
846 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR
& penser qu’au-dessous des protéoses primaires le pouvoir
antigéne semble inexislant; or, si les bacilles vivants ou
morts et leurs extraits riches en albuminoides provoquent la
réaction spécifique, des extraits ne recélant vraisemblablement
que de simples polypeptides la provoquent de méme. On doit
se demander, alors, la sensibilisation avec la tuberculine (non
avec les hacilles morts) restant douteuse, s'il existe bien,
comme on le croit actuellement, un parallélisme strict entre
la faculté antigtne active (ou pouvoir d’engendrer les anticorps)
et la faculté antigene passive (ou pouvoir de leur répondre) :
grave question, qui peut conduire & des remaniements considé-
rables de nos idées et de nolre pratique.
Second point. Trouve-t-on trace de l’ingérence d’anticorps
dans |’histoire de la tuberculine? Des substances semblant
bien telles ont été rencontrées chez des sujets sensibles, rare-
ment par la précipitation, communément par la fixation du
complément; mais la fixation parait s’opérer ici en présence de
lipoides (Boquet et Négre), ce qui pose un probleme au lieu
d’apporter une indication. D’autre part, la transmission de la
susceptibilité ne se réalise point aussi aisément que dans les
cas déja connus (loin de 14); toutefois, les expériences de Bail
nous semblent indiscutables (l’un de nous les a d’ailleurs répé-
tées avec succes, sous une forme quelque peu différente).
Nous estimons, pour notre comple, qu'il s’agit bien d’une
réaclion « antigéne-anticorps », dont les traits spéciaux recon-
naissent comme motif la composition chimique de lantigéne.
L’ensemble des caracteres du phénoméne autorise-t-il cette
maniére de voir? L’incubation ne signifie rien, ni d’un sens,
ni de l’autre. Les divers effets observés s’expliquent aisément
par le conflit supposé, qui détermine ici des altérations nette-
ment inflammatoires, moins brutales, mais plus tenaces que
précédemment; il convient de penser que les foyers, rectlent
abondamment de l’anticorps; lors de l’affaiblissement terminal
de l'économie, on ne doit pas cependant s’étonner de voir fléchir
la production de cet anticorps. Comment, maintenant, inter-
préter l’accoultumance & la tuberculine? Il s’agit 14 d’un de ces
équilibres, qui tendent toujours a s’établir 7m vivo, mais qui
sont précaires : qu’on augmente nettement la dose de tubercu-
line et le malade répondra tout de suite. Enfin, la réaction
SENSIBILITES INSOLITES ET HYPERSENSIBILITES 847
locale, petit foyer créé par lintroduction de l’antigéne, ne
s’éteint que fort lentement; aussi, lors de réinjection, les
parties sont-elles volontiers le siége d’une poussée « focale »,
ainsi qu’on le note fréquemment.
L’histoire de la tuberculine se « réédite » dans celle de la
malléine et dans celie de divers produits microbiens, révéla-
teurs d’infections (lentes, généralement). Inutile d'insister.
On ne saurait oublier que la tuberculine fut d’abord prénée
par Koch, son inventeur, comme reméde spécifique de la tuber-
culose — reméde incertain et dangereux, dont, on le sait,
l'emploi se trouve actuellement bien limité. Elie n’en offre pas
moins un grand intérét, car elle représente, selon nous, le
prototype des vaccins thérapeutiques.
En dehors de la propriété de prévenir certaines maladies
(affections typhique et paratyphique, choléra....), les mi-
crobes (injectés morts) interviennent plus ou moins heureu-
sement pour activer la guérison de plusieurs d’entre elles
(infections staphylococcique et gonococcique, lymphangites
équines...). Dans ce dernier cas, il nous semble évident quils
agissent comme antigénes, chez les organismes que |’invasion
des germes donnés a rendu sensibles. L’effet curatif résulle
alors du conflit antigéne-anticorps, qui provogue une réaction
salutaire, tant6t bruyante, tantot silencieuse, au niveau des
lésions existantes. Qu’il y ait ensuite augmentation de la résis-
tance, par augmentation de Ja teneur de I’écvonomie en anti-
corps, rien de plus vraisemblable, mais c’est ]& une consé-
quence accessoire de la méthode (qu’on devrait done appeler
antigénothérapie et non vaccinothérapie).
A la sensibilité au regard de la tuberculine, de ]a malléine...
s’associe toujours, chez les sujets malades, la sensibilité au
regard des protéines microbiennes concomitantes (mais la réci-
proque n’est pas vraie). Rien de moins singulier; ainsi, les
cobayes tuberculeux peuvent mourir d’emphyséme brutal,
aprés injection intraveineuse de bacilles ou d’extraits bacil-
laires riches en albuminoides. Le « phénoméne de Koch », ainsi
que les lésions décrites par l’un de nous, apres injection sous-
cutanée de germes homologues chez les cobayes morveux, ne
sauraient laisser non plus aucun doute sur cette coexistence
obligée.
848 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR
HYPERSENSIBILITE AUX TOXINES
1
Chaque toxine produit, on le sait, chez les espéces sensibles,
des effets définis, parfois aprés incubation. D’autre part, toules
les toxines paraissent capables d’engendrer des troubles dif-
férents des précédents, troubles constamment pareils entre
eux et sans période incubatoire véritable. Dans ce dernier cas,
on dit que les animaux sont devenus hypersensibles. Voici de
quoi il s’agit. Behring, le premier, observa que certains che-
vaux, fortement immunisés contre le tétanos par la voie sous-
cutanée, présentaient des cedémes croissants et « un beau jour »
offraient, & la suite de Vinjection, des accidents inhabituels,
pouvant entrainer la- mort (tuméfaction locale volumineuse,
dyspnée, titubation, frissons, chute,... arrét respiratoire final).
Semblable tableau clinique s’est retrouvé chez des chevaux
immunisés contre la diphtérie (L. Martin). On l’évite stre-
ment, en n’employant, pendant le traitement, que des poisons
iodés ou des mélanges toxine-antitoxine. Nous avons observé
souvent, de notre cété, des symptémes identiques, fréquem-
ment mortels, chez des chevaux quirecevaient (d’habitude dans
la veine) des microbes tués ou des extraits bactériens (les uns
et les autres toujours toxiques). Debains et Nicolas ont fort
bien établi la nature du phénoméne et nous avons montré avec
eux que l’on empéche aisément sa production en diluant beau-
coup Vantigéne (quel qu’il soit). Le mécanisme de Vhypersen-
sibilité aux toxines n’est point douteux; nous le connaissons
déja : formation d’un complexe antigéne-anticorps, puis action,
sur ce complexe, du complément et des ferments protéoly-
tiques. Pourquoi, alors, la majorité des sujets s'immunisent-ils,
tandis que la minorité deviennent hypersensibles? Méme igno-
rance que précédemment, quant A la cause intime de cette
différence.
On se demandera, sans doute, si la susceptibilité aux protéines.micro-
biennes ne joue pas ici un role plus ou moins important. L’effet irés net des
antitoxines, chaque fois qu’on y eut recours, semble bien démontrer le con-
traire. Ce qui n’exclut pas, théoriquement, la sensibilité en question; mais
il faudrait prouver son existence (les suites seraient d’ailleurs les mémes).
SENSIBILITES INSOLITES ET HYPERSENSIBILITES 849
II
Le nom d’hypersensibilité aux toxines qualifie aussi, abusi-
vement, un groupe de faits distincts des précédents, par leurs
signes et leur nature.
Quand on injecte, chaque jour, chez des animaux variés, une fraction de
la dose mortelle de poison (tétanique, diphtérique, botulique), ces animaux
succombent fréquemment avant d’avoir recu la totalité de ladite dose, pré-
sentant (fait capital) tous les signes de lintoxication correspondante. Nous
avons prouyé jadis que leur sérum contient des anlicorps spécifiques (ce qui
nest pas singulier), mais nous ne voyons plus la d’hypersensibilité réelle.
Adoptant opinion de Lewin, nous accusons sans hésiter I’. « accumulation
fonctionnelle »; nous pensons donc que chaque réinjection affecte les cel-
lules sensibles, avant qu’elles n’aient repris leur équilibre et que ce « contre-
temps » suffit pour déterminer une sommation mortelle.
Ill
Arrivons & Ihistoire de la fiévre des foins. Chez des gens
prédisposés, divers pollens (variables, selon les sujets) provo-
quent, pendant la floraison des plantes correspondantes, une
violente poussée congestive oculaire et nasale, ainsi que, (res
souvent, des accés d’asthme. Il est aisé de reproduire ces acci-
dents, toute l'année, quand on dépose les pollens sur les
muqueuses des individus sensibles ou qu’on les leur fait
inhaler. Les frictions sur la peau engendrent des plaques
ortiges ; Vinjection sous-cutanée d’extrait occasionne |’attaque
complete, avec cedéme local trés volumineux et urticaire géné-
ralisée. Chez certains chevaux, habituellement de race perfec-
tionnée, la méme injection sous-culanée détermine de gros
cedémes, de la fiévre et parfois de l’urticaire ; la conjonctive se
montre moins vulnérable.
On combat la maladie par la vaccination et la sérothérapie.
Aprés que la cuti-réaction ou lintradermo-réaction ont indi-
qué l’espéce de pollen dangereux, on peut immuniser le patient
avec les extraits, dont on administre des doses croissantes sous
la peau ; les résultats semblent assez satisfaisants. Dunbar, lui,
vaccine fortement des chevaux et utilise leur sérum. Ce sérum,
mélé au pollen, en neutralise expérimentalement les effets
850 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR
chez ’homme prédisposé; il prévient également et « coupe »
les accés de l'affection naturelle.
Avons-nous affaire & une toxine et & son antitoxine? La
« toxine pollinique » serait alors inoffensive pour la majorité
des hommes (et immense majorité des chevaux) : c’est admis-
sible en rigueur. Elle ne se traduirait que par l’hypersensi-
bilité et jamais par la sensibilité simple : c’est plus singulier
(pourtant, l’observation d’Alilaire — dans le cas de Ja ricine
— indique de telles possibilités). Nous voyons, la, une grave
anomalie; aussi ne nous prononcerons-nous pas sur la nature
de l'antigéne pollinique. Quelles sont, maintenant, les pro-
priétés du sérum des malades ? Il ne contient l’anlicorps spéci-
fique qu’exceptionnellement pour Dunbar et ne transmet point
la sensibilité. Et le sérum des chevaux traités ? I] ne sensibilise
pas non plus; la présence d’anticorps, admise par Dunbar, n’a
pu étre établie dans nos recherches. Nous pensons donc
que, pour le moment, la question se présente comme il suit.
Certains individus, fort souvent des « héréditaires » (Cooke et
Vander Veer), offrent une susceptibilité générale et locale aux
pollens. Cet état est peut-étre lié (en dehors de la vulnérabililé
particuliére de plusieurs muqueuses) & la production d’un anti-
corps naturel, production tenace qui constituerait une véri-
table « sécrétion normale » pour les gens batis sur ce type.
Le sérum des chevaux traités agit stirement, On n’en saurait
dire davantage aujourd hui.
[histoire de la sensibililé aux « toxines ascaridiennes », aux liquides
hydatiques..., ainsi qu’aux débris épidermiques de divers animaux, étant
encore moins claire que celle de la sensibilité aux « toxines polliniques »,
nous laisserons ces questions de coté.
HYPERSENSIBILITE AUX MEDICAMENTS
Observée chez Vhomme seul et homme prédisposé (souvent
par hérédité), ce qui élimine toute étude expérimentale sur les
animaux — circonstance trés facheuse pour la recherche du
mécanisme des accidents. Ici, contrairement 4 leur action nor-
male, si variée, toutes les drogues occasionnent des effets
semblables, autant qu’inhabituels, effets qui nous sont déja
7
SENSIBILITES INSOLITES ET HYPERSENSIBILITES 851
connus : fiévre, éruptions diverses, accés d’asthme. II existe,
pour chaque malade, une susceptibilité & tel médicament ou a
tel groupe de médicaments; les épreuves cutanées permettent
d’analyser ce point et de pratiquer rationnellement la « désen-
sibilisation », laquelle peut donner d’excellents résultats (Pas-
teur Vallery-Radol).
Nous ne saurions insister sur le c6té clinique; demandons-
nous, par contre, quelle idée on doit se faire de ces curieux
accidents. Reprenant la conception de Nolf, Widal et ses colla-
borateurs voient la un simple trouble des équilibres colloi-
daux ; nous répeterons que celle conception nous parait incom-
plete et que nous préférons, ici encore, incriminer la formation
de produits toxiques, laquelle serait ainsi le grand facteur
commun 4 tous les phénomeénes étudiés dans notre travail.
Mais, avec les drogues (et peut-étre les protéines alimentaires,
les pollens,...), il ne saurail s’agir de réactions antigéne-anti-
corps; alors, quel mécanisme imaginer? Le suivant. Chez les
gens prédisposés, comme | 'indiquent les recherches de Widal et
de ses collaborateurs, le mode de réponse des humeurs offre
d'évidentes anomalies; on note, spécialement, une hypercoagu-
labilité, qui nous parait essentielle. Et l’on se représentera,
croyons-nous, assez bien les choses (hypothése pour hypothése),
de la maniére suivante. Sous l’influence des composés chimi-
ques indiqués, les micelles albuminoides les moins stables des
humeurs éprouvent une condensation brutale, laquelle déclenche
le jeu du complément et des enzymes proléolytiques. Ce jeu
pourrait ainsi étre mis en branle, non seulement par la furma-
tion 7 vivo du complexe antigéne-anticorps ou par !injection
de colloides divers, mais encore (chez les sujets prédisposés)
par l’introduction de cristalloides non moins variés.
[Nous renvoyons, pour tous détails, aux innombrables travaux
des Auteurs et, en ce qui nous concerne, aux publications sui-
vantes (principalement) : M. Nicolle, Abt et Pozerski, Une con-
ception générale des anticorps et de leurs effets, ces Annales,
1907 — M. Nicolle, Césari et Jouan, Toxines et antitoxines,
Paris, 1919 — M. Nicolle, Antigénes et anticorps, Paris, 1920
— M. Nicolle et Césari, Colloides, catalyse, antigénes, anti-
corps, ces Annales, 1922. |
58
SUR DES ACCIDENTS OBSERVES EN SERIE
CHEZ LES LAPINS DE PASSAGE
(DESTRUCTION PROBABLE DU VIRUS FIXE
PAR UN MICROBE ADVENTICE)
par P. REMLINGER.
Guidé par cette idée que les erreurs de diagnostic ou les
insucces chirurgicaux courageusement exposés comportent un
intérét et un enseignement bien supérieurs 4 ceux des plus
beaux suecés cliniques ou opératoires, nous n’avons pas hésité
en 1905 (1) & publier un cas trés grave de paralysie observé &
Constantinople au cours du traitement antirabique et a étudier
au grand jour ces accidents plus ou moins dissimulés jus-
qualors dans la plupart des Instituts. I] ne semble pas que ce
travail ait été inutile. L’exemple a été suivi, et des quelques
deux cents observations publiées & la date d’aujourd’hui il
ressort nettement que les paralysies ne sont nullement — ainsi
qu’on l’avait avancé — de la rage canine modifiée par le trai-
tement, mais un accident de celui-ci et — fait extrémement
important — que la méthode de Calmette a la glycérine permet
d’éviter de facon complete cette redoutable complication.
Nous n’hésitons pas davantage 4 faire connaitre des accidents
trés curieux observés & Tanger pendant les mois de juillet et
d’aotit 1922 sur les lapins de passage destinés au traitement
des mordus, accidents qui nous ont mis & deux doigts de la
perte compléte du virus. Ou nous nous trompons fort ou —
particuliérement l’été et dans les pays chauds — des faits ana-
logues ont été observés dans d’autres Instituts. De leur com-
paraison avec les nétres pourrait résulter, pour le plus grand
bien de la prophylaxie, une notion plus précise de leur patho-
(1) P. Remiivcrr, Phénoménes paralytiques au cours du traitement anti-
rabique. Ces Annales, 1905, p. 625-646.
DESTRUCTION DU VIRUS FIXE PAR UN MICROBE ADVENTICE 853
génie, au sujet de laquelle nous ne pouvons plete aujourd’hui
que formuler une hypothése.
Le virus rabique employé a ]’Institut Pasteur de Tanger est
Je virus fixe de l'Institut Pasteur de Paris. Depuis 1912, date
de la fondation de l'Institut, i] a toujours, avec une régularité
parfaite, déterminé chez les lapins de passage l’apparition des
premiers symptémes de la rage le septi¢me ou le huitiéme jour
et entrainé la mort Vhiver du dixiéme au onziéme, 1’été
du douzitme au quatorziéme jour ainsi qu’il est classique.
Les lapins sont mis a la glaciére dés que la paralysie est
complete.
Pendant les mois chauds, nous avons en outre l’habitude
‘de couper court & une agonie interminable en sacrifiant
Vanimal par section des vaisseaux du cou plusieurs heures
avant le moment supposé de la mort. Ajoutons que les
trépanations sont toujours effectuées par nous-méme, que
la disposition des locaux permet une observation incessante
des animaux inoculés et que l’élevage qui suffit largement
aux besoins de l'Institut n’a jamais présenté la moindre
épizootie...
Le virus fixe était arrivé & son 195° passage 4 Tanger et —
nous le répétons intentionnellement — n’avait jamais donné
liea 4 la moindre irrégularité lorsque, Je 11 juillet, nous inocu-
lons sous la dure-mére deux lapins qui, ni l’un ni 1’autre,
ne présentent consécutivement !a moindre manifestation
rabique (1). A partir de ce moment la grande majorité des ani-
maux trépanés, oune montre aucun symptéme de rage (7 lapins),
ou meurt de méningite le lendemain ou le surlendemain de
Pinoculation (7 autres lapins), ou (5 lapins) présente a Ja suite
de Vopération des symptomes trés particuliers que nous allons
tout d’abord retracer.
x
(1) Le fail que 2 lapins présentaient simultanément une absence de réaction
au virus rabique devait — cela va de soi — exclure l’hypothése de lapins
naturellement réfractaires 4 la rage. On sait que cet élat réfractaire peut
a titre tout a fait exceptionnel, s’observer dans les Instituts antirabiques
(J. Viana, 1 cas, Paris, 1912; P. Remnincer, 2 cas, Constantinople, 1903,
Tanger, 1917). Nous avons, toutefois, pour éviler une objection possible,
yenu a inoculer A nouveau avec un virus neuf les animaux qui avaient
résisté al inoculation intracérébrale du virus habituel. Tous ont pris la rage
dans les délais classiques.
854 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR
Ossrrvation 1. — Inoculation intracérébrale de virus fixe. Torticolis.
Chorée (1). Aucun symptéme rabique. Aucune immunité anti-
rabique.
Un lapin de robe noire est inoculé par trépanation, le 10 aout 1922, avec un
virus de 197°, passage qui avait déterminé normalement Ja mort en onze jours.
Deux ou trois jours aprés Vinoculation, l’animal attire l'altention par une
attitude particuliére de la téte qui demeure abaissée et repliée sur le coté
gauche au point de venir au contact de ] épaule correspondante. Cette sorte
de torlicolis paralytique persiste les jours suivants et s’'accompagne d'un
peu d’incertitude de la démarche. Contrairement a toute attente, les 17 et
18 aout — c’est-d-dire aux sepliéme et huilieme jours — il ne se greffe sur
les symptomes précédents aucune paralysie des membres. Le 19 aout, appa-
rilion de symplomes choréiques. La léte tombe toujours sur le cété au point
de venir toucher parfois le sol de la cage, mais elle se reléve brusquement
et décrit de grands mouvements d'oscillation ou de giration. Un tremblement
spasmodique apparait dans les quatre paltes, ce qui donne a la démarche
un aspect trés spécial, mais nullement paralytique. On arrive facilement a
renverser l’animal. Aprés quelques efforts, il parvient de lui-méme sans trop
de difficultés A se remettre d’aplomb. Bien que par suite de la paralysie des
muscles du cou l’animal ne puisse saisir commodément les aliments, l’appétit
est tout a fait normal. Les jours suivants, les mouvements choréiques aug-
mentent d'intensité. La téte est animée — entre autres choses — d'un fréquent
mouvement de léchement de la face antérieure de l’'abdomen. Les membres
présentent des secousses choréiformes dune grande amplitude qui font que
l'animal tombe, se releéve, retombe, se reléve encore, ceci sans que son élat
général et méme sa bonne humeur paraissent touchés le moins du monde.
Il continue de manger d’excellent appétit.
Le lapin est photographié le 30 aout, vingt jours aprés l'inoculation,
8-9 jours aprés celui ot, normalement, l'animal aurait did succomber a la
rage. Les clichés ci-joints (fig. 1 et 2) fixent tant bien que mal deux de ses
attitudes. La téte inclinée sur le coté gauche touche le sol. Les quatre
membres vont présenter des secousses qui entraineront la chute de l’animal
(fig. 1). Le lapin s’est relevé et la Léte est en train de décrire un grand mou-
vement giratoire qui se terminera par sa chute le long de l’épaule comme
dans la figure 4 (fig. 2). Les jours suivants, la chorée augmente encore
dintensité. Le 4 septembre — vingt-cing jours aprés sa premiére trépanation
— l'animal est inoculé & nouveau sous la dure-mére avec le virus fixe d’un
Institut voisin. L’opération trés bien supportée n’exerce aucune action sur
les phénoménes choréiques. Inappétence le 4 septembre (7° jour). Paralysie
du train postérieur le 12. Rage paralytique classique le 13. Mort le 45 (14° jour).
Aucune immunilé antirabique par conséquent.
Le 10 aout, en méme temps que ce lapin, il en avait été inoculé deux autres.
Lun deux est demeuré complétement indemne. L’autre, aprés ne sétre
signalé pendant cing jours par aucune particularité, a présenté tout A coup
(1) Les expressions de torticolis, de chorée, qui vont se répéter le long de
ces cing observations, ont paru commodes parce qu’elles font, en quelque
sorte, image et qu’elles donnent une idée assez eyacte des faits observés.
Nous ne sommes nullement persuadé, par contre, qu’elles soient irrépro-
chables au point de yue scientifique pur et faisons, par conséquent, cer-
taines réserves a leur sujet.
DESTRUCTION=
Fioures 1 et 2.
MICROBE ADVENTICE 855
Se
856 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR
au début. du sixieme des phénoménes méningitiques (fiévre, accélération de
la respiration, excitation générale, inappétence, grincement des dents, éclat
spécial du regard, ete.) auxquels il succombe en quelques heures. Deux
lapins inoculés avec son bulbe succombérent de méme quelques heures
apres Vinoculation a des phénoménes analogues. Les ensemencements du
bulbe inoeulé comme de l’exsudat méningé ont donné a la fois des staphylo-
coques blane et citrin et du coli-bacille.
Osservation II]. — Inoculation intracérébrale de virus fixe. Aucune
manifestation rabique. Parésie spasmodique des quatre mem-
bres. Phénoménes choréiques. Pas dimmunité antirabique.
Le 3 aodt 1922 meurt un lapin qui, inoculé le 22 juillet avec un virus de
196° passage, avait présenté les premiers symptomes de rage le 29 au sep-
tiéme jour et était mort au douziéme, ce qui l’été est parfaitement normal :
done virus nullement suspect. Le cerveau est mis en glycérine. Sous
linfluence du besoin on l’en tire les 13, 16 et 17 ao&t pour procéder a des
passages. Disons de suite que sur six lapins inoculés deux n’ont présenté
aucun symptome morbide, rabique ou autre; deux ont succombé a une
méningite le jour méme de l'opération. Le cinquiéme — inoculé le 16 aout
en méme temps qu’un camarade dont Vhistoire est rapportée plus loin
(obs. V) — a présenté les symptdémes suivants : aucune particularité jusqu’au
21 aott (5° jour), date a laquelle animal attire lattention par de la dimi-
nution de l’appétit et surtout une démarche trépidante trés curieuse. Il se
déplace tout d’une piéce. Au lieu de marcher, il saute comme certains jouets
et lapins mécaniques. Les membres sont raides, contracturés en extension
et on éprouve quelque difficulté 4 obtenir la flexion des différents articles.
Les jours suivants, l'état est stationnaire. Quand on ne force pas ]’animal
a se déplacer, il demeure immobile dans son coin, raidi sur ses pattes. Si
on le contraint a quitter ce coin, il saute en se déplacant tout d'une piéce.
On se demande avec curiosité si aux septiéime et huitiéme jours des phéno-
meénes paralytiques ne vont pas se greffer sur ces symptOmes spasmodiques.
I] n’en est rien et aucune modification — pas méme une simple diminution
de lappétit — n’est notée & ce moment dans l'état de l'animal. Si on le fait
tomber, il arrive 4 se remettre d’aplomb bien qu’avec un peu d’hésitation et
de difficulté. Le 26 aowt, au dixiéme jour, les phénoménes spasmodiques
s’atténuent. Apparition d'une sorte de torticolis. Le lapin tient sa téte
inclinée et comme repliée sur le cété gauche du thorax. Par instants, elle est
animée de grands mouvements d’oscillation verticale, comparables aux
mouvements d’encensement du cheval. Le 27 aout, ces mouvements s’accen-
tuent. L’animal a des mouvements de léchement du bas-ventre, analogues a
ceux du lapin précédent, puis, plus ou moins brusquement, il rejette sa téte
en arriére jusqu’au contact de Ja colonne dorsale. I] est photographié le
30 aout, quatorze jours aprés la trépanation. La téte est prise au moment
ou elle se rejette en arriére dans une attitude intermédiaire a la flexion sur
le bas-ventre et au renversement sur le dos (fig. 3). Dans les premiers jours
de septembre, tous ces mouvements persistent. Le 4, dix-neuf jours apres
la premiére trépanation, deuxiéme trépanation avec un virus neuf (1). L’opé-
(4) Nous ne nous dissimulons pas que ces trépanations d’épreuves ont été
effectuées un peu prématurément et que les animaux auraient pu, avec
DESTRUCTION DU VIRUS FIXE PAR UN MICGROBE ADVENTICE 857
8 et 4.
FIGURES
858 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR
ration est trés bien supportée et, les 5 et 6 septembre, on ne note aucune
modification dans l'état de I'animal. Le 7 et le 8, on remarque qu'il ne releve
plus la téte et qu’au contraire il la tient en permanence en flexion exagérée,
le nez venant au contact de la paroi abdominale antérieure. Le 9 et le 10 sep-
tembre (5° et 6° jours aprés la deuxiéme trépanation), le lapin se tient encore
debout dans la méme attitude et il continue a manger en dépit des difficullés
qu’entraine cette position. Le 141 septembre (7* jour) début d'une rage para-
lytique classique. Mort le 17 (43° jour) aprés une interminable agonie d’été.
Osservation III. — Inoculation intracérébrale de virus fixe.
Aucun phénoméne rabique. Torticolis paralytique.
Deux lapins sont trépanés le 11 juillet 1922 avec un virus fixe provenant
d'un 195¢ passage. Ils ne présentent consécutivement aucun symplome
rabique, en sorte que le 8 aout on les inocule 4 nouveau en méme temps
qu'un troisiéme lapin destiné a servir de témoin et qui succombe le surlen-
demain A des phénoménes méningiliques (staphylocoques et coli-bacilles dans
lexsudat). L’un de ces lapins fait l'objet de l’observation IV. L’autre est
celui dont histoire est rapportée présentement. Les jours qui suivirent
Vinoculation, on n’observe ancune particularité. Le sixiéme, par contre, on
note l’apparition d’un torticolis paralytique trés net, L’animal tient la téte
légerement tombante et inclinée, repliée sur le cété droit du thorax. Il
existe en méme temps un peu d’inappétence, de tristesse, d’incertitude de la
démarche, en sorte qu’on croit que l’animal ya prendre la rage. Il n’en est
rien. Les jours suivants, la maladie demeure stationnaire; l’'appétit, létat
général sont bons. Tout se borne, en somme, & une démarche un peu hési-
iante et a un torticolis dont la photographie ci-jointe (fig. 4) donne une idée
peut-étre un peu imparfaite et atténuée, Le 31 aout et le 1°" septembre
(23e et 24e jours aprés la trépanation), on assiste & une aggravation considé-
rable du torticolis. La téte est tout a fait tombante sur le cdté droit du
corps. L’animal continue néanmoins de s'alimenter, &4 peu prés comme si de
rien n’était. Le 4 septembre (26¢ jour) on Vinocule sous la dure-mére avec
un virus neuf. Le 5, il parait avoir bien supporté lopération, mais la para-
lysie des muscles de la nuque a encore augmenté et la téle tombante est
maintenue au contact du plancher de fa cage. Le 6 septembre, méme état.
L’animal continue de s’alimenter. Le 7 septembre, état stationnaire. Le
lapin se tient toujours recourbé sur lui-méme, le nez collé au sol. Il par
vient néanmoins 4 manger. Le 8 seplembre (4° jour aprés la troisiéme
trépanation), aggravation trés nette. Ne mange plus. Troubles de I’équilibre.
L’animal a les plus grandes difficultés A se tenir debout, bien qu'il ne
paraisse y avoir aucune paralysie des membres. Mort a 5 heures du soir.
L’autopsie ne révéle aucune lésion macroscopique des organes thoraciques,
abdominaux, non plus que du systéme nerveux. Deux passages sont immé-
diatement pratiqués dans le cerveau de deux lapins. Bien que l'’ensemence-
ment de l’émulsion du bulbe sur gélose inclinée ainsi que sur plaques de
gélatine et de gélose ait fourni des colonies non rares de staphylocoque
et de coli-bacille, on n’observe aucun phénoméne méningitique. Méme
résultat négatif au point de vue de la rage.
avantage, élre observés quelques semaines de plus. Ces trépanations
hatives nous ont été imposées par la nécessilé absolue d'un déplacement
prochain et de longue durée.
DESTRUCTION DU VIRUS FIXE PAR UN MICROBE ADVENTICE 839
Ozservation IV. — Inoculation intracérébrale de virus rabique. Au
quatriéme jour parésie des membres et kératite double suppurée,
mort au onziéme jour. Myélite dorso-lombaire A lautopsie.
Présence dans les centres nerveux de staphylocoques, de coli-
bacilles et de virus rabique. Torticolis paralytique chez une
lapine inoculée avec le bulbe.
Ce lapin est, ainsi qu’il a déja été dit, un camarade d’inoculation du lapin
de Yobservation IIL; comme lui, il est trépané au virus fixe le 11 juillet et ne
prend pas la rage. En méme temps que lui et un troisitme animal qui
meurt de méningite le lendemain, il est inoculé 4 nouveau dans le cerveau
le 6 aout; aucune particularité 4 noter pendant: les trois premiers jours qui
suivent linoculation. Le 12 aott (4° jour), apparition brusque, en méme
temps que d'une parésie des quatre membres, d’une kératite double sup-
purée. Inappétence, amaigrissement. La kératite s’étend rapidement a toute
ia cornée et aboutit en 3-4 jours & une cécité compléte. En méme temps
la parésie devient une véritable paralysie rabique. Le 17 aout (9¢ jour),
Vanimal couché sur le cété ne peut plus se relever. Le lendemain il agonise
comme un lapin rabique. Mort le 19 (14¢ jour). L’autopsie, immédiatement
pratiquée, ne montre aucune lésion dans les organes thoraciques. A l’ouver-
ture de abdomen, on est frappé, par contre, par l’existence d’une énorme
rétention de lurine (65 cent. cubes) et des matiéres fécales. Aucune autre
particularité 4 signaler du coté des organes abdominaux. Aucune lésion de
la colonne yertébrale, mais particulitrement dans les régions dorsale et
lombaire la moelle apparait trés congestionnée et semée de plaques hémor-
ragiques. La moelle lombaire — et la moelle lombaire seulement — est
ramollie, presque diffluente. L’existence d’une myélite est évidente. Rien a
noter du coté de l’encéphale. Le cerveau est mis en glycérine. Le sang du
ceur, la pulpe hépatique, les moelles dorsale, lombaire et le bulbe rachi-
dien sont ensemencés en bouillon sur plaques de gélatine et de gélose.
L’émulsion bulbaire est, en outre, inoculée immédiatement sous la dure-
mére de trois lapins. Chez tous, des symptomes méningitiques font leur
apparition quelques heures aprés l’opération. Mort le lendemain. Ceci ne
surprend nullement, les ensemencements du bulbe et de la moelle donnant
naissance a de trés nombreuses colonies de staphylocoque blanc et citrin,
ainsi que de coli-bacilles. Ensemencement du sang du cceur et de la pulpe
hépalique négatifs.
I] était possible cependant que, derriére le coli-bacille et les staphyloco-
ques, ie virus rabique se dissimulat. On sait que le séjour en glycérine finit
par atténuer la virulence, puis la vitalité de la plupart des germes, fandis
que le virus rabique demeure intact.
Le 25 aout — aprés sept jours d’enrobage par conséquent — de nouvelles
inoculations sous-dure-mériennes sont pratiquées avec une émulsion du
cerveau.
Des le lendemain, des signes évidents de méningite se manifestent chez
les deux lapins qui sont isolés immédiatement dans une piece obscure et
silencieuse (1): Le 28 aout au matin, lun d’eux est trouvé mort tandis que
l'autre est franchement amélioré. Le 29 (3¢ jour), apparition d'un: torticolis
(1) Remuincer, Résistance des méninges a infection. Sec. de Biol., 1906,
pe 2i223.
860 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR
de tout point comparable a celui qui a été décrit dans les observations
précédentes (1).
30 aout. Tout sywptome de méningite a disparu. La parésie des muscles
du cou, entrainant la chute de la téte le long de Ja partie droite du thorax,
persiste. :
31 aout. Le torticolis augmente et dans la chute de la téte le nez vient au
contact du sol.
2 septembre (7¢ jour). Inappétence. Parésie du train postérieur, Le lapin
parait commencer une rage paralytique,
3 septembre (8¢ jour). Est couché sur le coté. La rage paralytique ne fait
plus de doute.
4 septembre (9¢ jour). Agonise. Afin d’éviter les infections agoniques,
l'animal est sacrifié par section des vaisseaux du cou. Deux passages sont
immédiatement pratiqués sous la dure-mére de deux lapins, L’un et l'autre
commencent une rage paralytique classique le 11 septembre au septieéme
jour et succombent l'un le 15 (11e jour), l'autre le 46 (12° jour) (2).
Oxzssrnvation V. — Inoculation sous-dure-mérienne de virus fixe.
Apparition au onziéme jour en méme temps que dun tremble-
ment choréique de phénoménes paralytiques rapidement mor-
tels. Présence dans les centres nerveux de coli-bacille et de
staphylocoque en méme temps que de virus rabique.
Il s’agit d’un camarade d’inoculation du lapin de lobservation II. Comme
lui, il est inoculé le 16 aout sous la dure-mére avec un virus qui n’éveillait
pas le moindre soupcon et était conservé en glycérine depuis treize jours.
Aucune particularité n’est notée les jours qui suivent la trépanation.
Les 22, 23 et 24 aout, six, sept et huit jours aprés Vinoculation, on
n’observe, d’autre part, aucun phénoméne paralytique. Le lapin conserve
son habitus ordinaire et mange de bon appétit.
*
(1) IL n’est pas exceptionnel, chez les lapins de passage, de voir la rage
débuter par une paralysie des muscles de la nuque et se traduire, par con-
séquent, tout d’abord par une chute de la téte. Cette attitude n’apparait
jamais avant le sixiéme ou le septiéme jour qui suit la trépanation, De plus,
la téte tombante se trouve dans le prolongement de l’axe du corps et non
repliée sur l’un des cétés du thorax comme Ilindique le terme de « torti-
colis » intentionnellement employé.
(2) Pour achever lhistoire de cette purification du virus rabique par
lYimmersion en glycérine, nous dirons que le 13 septembre, aprés vingt-cing
jours dimmersion par conséquent, ce méme cerveau du 19 aott sert a
Vinoculation sous-dure-mérienne de 3 lapins. L’émulsion ensemencée sur
gélose inclinée fournit de nombreuses colonies de staphylocoque et de coli-
bacille. L’un des Japins présente des symplémes de méningite le lendemain
de la trépanation et meurt le surlendemain. Les deux autres n’accusent
aucune réaction méningée. Début de la rage le 20 septembre (sepliéme jour),
mort les 25 et 26 (douziéme et treizieme jours). Le cerveau, qui avait été
remis en glycérine, en est retiré une derniére fois le 7 novembre aprés
quatre-vingts jours dimmersion. Les ensemencements donnent encore nais-
sance 4 des colonies non rares de coli-bacille et de staphylocoque. Néan-
moins, 3 lapins trépanés ne présentent, cette fois, ni les uns ni les autres
de phénoméne méningitique. Début d'une rage paralytique classique le
24 novembre (septiéme jour). Mort de rage aux onziéme douziéme et
treiziéme jours.
DESTRUCTION DU VIRUS FIXE PAR UN MICROBE ADVENTICE 864
Cest seulement le 27 aovt au matin (14° jour) qu'il attire Vattention par
de grands mouvements choréiques de la téte, sorte de mouvements d’encen-
sement analogues a ceux qui ont été décrits chez le lapin de observation I,
et par une légére parésie des membres. L’animal reste immobile dans un
coin de sa cage, ne se déplace que si on l’y contraint et le fait assez gau-
chement. On est surpris, au début de l’aprés-midi, de le trouver déja couché
sur le coté. Les yeux sont exorbités et brillants. Les membres sont agités
de secousses convulsives. L’amplitude des mouvements respiratoires est
exagérée. L’aspect nest pas du tout celui du lapin rabique. A 17 heures,
Tétat s'est encore aggravé et l’animal ne parait plus avoir que ‘peu d’heures
4 vivre. Afin d’éviter les infections agoniques, il est sacrifié par section des
vaisseaux du cou et immédiatement autopsié. Aucune lésion macroscopique
des organes thoraciques, abdominaux, non plus que du systéme nerveux.
Ensemencement du sang du ceur et de la pulpe hépatique négatif. Quoique
les ensemencements sur plaque de gélose et de gélatine d’une émulsion
du bulbe aient donné des colonies non rares de staphylocoque blanc et de
coli-bacille, deux lapins, inoculés dans le cerveau avec cette émulsion, n’ont
présenté aucun symptéme d'encéphalite ou de méningite. On assiste le
3 septembre (7¢ jour) au début d'une rage paralytique qui évolue de facgon
classique. L'un d’eux meurt le 7 septembre au onziéme jour, l'autre le 8 au
douziéme.
En résumé 5 lapins inoculés dans le cerveau avec du virus
rabique fixe ont présenté, aprés une incubation trés courte
(3, 4, 5, 6 jours), concurremment avec des troubles plus ou
moins accentués de la démarche, des symplomes dont le
moins qu’on puisse dire est quils sont en l’occurrence com-
plétement insolites : un torticolis paralytique .entrainant le
repliement puis la chute de la téte le long d’un des cétés du
thorax (obs. I, I, III et IV), des secousses choréiques ou
choréiformes de la téte ou des membres (obs. I, Il et V), une
kératite double suppurée... Ou ces lapins ont échappé complete-
ment a la rage (obs. I, Il et III) et une inoculation ultérieure
a montré que, cependant, ils n’avaient aucune immunité (obs. I
et I1) ou ils ont succombé (obs. IV et V) et les recherches de
laboratoire ont mis en évidence dans le systeme nerveux la
présence du virus rabique & cété de celle de nombreux staphy-
locoques et coli-bacilles. Pour essayer de saisir la pathogénie
de ces accidents, il importe de ne pas les considérer isolément,
mais de les situer dans le temps et de les étudier conjointement
avec deux autres phénoménes tout aussi insolites avec lesquels
ils ont coincidé : préservation compléte de 7 lapins inoculés
dans le cerveau avec le virus fixe, mort de 7 autres lapins au
862 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR
milieu de phénoménes de méningo-encéphalite aigué le lende-
main et le surlendemain de la méme inoculation. Le tableau
ci-joint qui donne la liste complete des trépanations effectuées
pour les besoins du service antirabique du 10 juillet au 22 aout
1922 permet de relever les particularités et coincidences sui-
vyantes :
1° 3 lapins sont inoculés sous la dure-mére le 8 aoiit avec le
virus du lapin 579 sacrifié au onziéme jour d’une rage paraly-
tique classique qui n’avait par aucune parlicularité attiré
attention. L’un d’eux meurt de méningite le surlendemain.
Un autre (obs. III) présente pour tout symptéme, & dater du
sixiéme jour, un torticolis paralytique et lorsqu’il succombe
trente jours plus tard soit & ce torticolis méme, soit au choc
opératoire déterminé par une sévére inoculation d’épreuve
pratiquée avec un nouveau virus, les passages sont impuissants
& déceler dans le bulbe l’existence de la rage. Le troisiéme a
présenté quatre jours aprés l’inoculation une parésie des mem-
bres, une kéralite double et est mort au onziéme jour. L’au-
topsie a révélé une myélite dorso-lombaire et les ensemence-
ments de substance nerveuse ont démontré la présence — A
coté du virus rabique — de nombreux staphylocoques et coli-
bacilles ;
2° 3 lapins sont inoculés le 10 aot avec le bulbe d’un lapin
n° 578, mort le 5 aotit (11° jour) d’une rage paralytique
classique qui n’avait éveillé l’attention par aucune particula-
rité. L’un (obs. I) présente & la suite de l’inoculation un torti-
colis paralytique et de la chorée; un deuxiéme meurt de ménin-
gite et un troisitme ne présente de phénoméne morbide
d’aucune sorte;
3° Les 13, 16 et 17 aott, 6 lapins recoivent sous la dure-
mere, apres dix, treize et quatorze jours d’ immersion en glycé-
rine, le bulbe d’un lapin 577, qui sacrifié au douzitme jour
d'une rage paralytique classique n’avait lui non plus éveillé
attention par aucune particularité. Deux d’entre eux meurent
de méningo-encéphalite le jour méme de Vinoculation. Deux
autres demeurent complétement indemnes. Les deux derniers,
enfin (lapins des obs. I et V), présentent l'un des secousses
choréiformes et une paralysie spasmodique des quatre mem-
bres, l'autre, onze jours seulement aprés l'inoculation, des
DESTRUCTION DU VIRUS FIXE PAR UN MICRORE ADVENTICE 863
secousses choréiques et une paralysie généralisée mortelle en
quelques heures (virus rabique décelé par les passages).
4° Parallélement le 13 aott, 2 lapins recoivent dans le cer-
veau le virus d’un Japin 580, mort le 11 aofit au quatorziéme
jour d'une rage paralytique classique, et demeurent tous deux
complétement indemnes, tandis que le 19 aot trois lapins
inoculés avec le virus du lapin de l’observation 4 meurent
tous trois de méningite le lendemain de !’inoculation.
Si on ajoute a ces trois ordres de choses un quatriéme fait,
a savoir que — pour la premiére fois depuis six ans — trois
des mordus qui suivaient le traitement antirabique pendant
que ces incidents se déroulaient chez les animaux inoculés ont
présenté un abcés de la paroi abdominale qui a dt étre incisé
(staphylocoques et coli-bacilles aux ensemencements); si on
considére également que toutes ces manifestations anormales
ont disparu comme par enchantement aussitdt le virus fixe
remplacé par un autre venu du dehors, on acquerra, croyons-
nous, la conviction que les accidents observés ont élé la consé-
quence d’une contamination du sysl@me nerveux central des
lapins de passage par des germes étrangers au virus rabique.
A ce qu’une contamination de cette nature puisse s’effectuer
il ne saurait y avoir matiére & surprise que pour ceux qui n’ont
jamais ensemencé sur plaques de gélose ou simplement sur
gélose inclinée les émulsions de bulbe destinées aux inocula-
lions sous-dure-mériennes ou Jes émulsions de moelle pré-
parées en vue du traitement. Alors mémeé que les lapins n’ont
jamais présenté & la suite de la trépanation de manifestations
autres que celles de la rage, alors méme que la paroi abdomi-
nale des malades en cours d’immunisation ne montre ni rou-
geur, ni tuméfaction, ni réaction d’aucune sorle, ces émulsions
renferment presque constamment — el indépendamment,
naturellement, de toute faute de technique — des microorga-
nismes qui par leur abondance, leur variété et leur nature
(staphylocoques, streptocoques, coli-bacille) pourraient & bon
droit émouvoir un observateur non averti. Bien que ces germes
soient plus abondants été, tous ne paraissent pas provenir
d’infections agoniques car bien des ensemencements sont
positifs alors que les animaux ont ¢élé sacrifiés plusieurs heures
avant la mort naturelle.
864 ANNALES DE L°INSTITUT PASTEUR
A ces microbes des moelles rabiques, Kiihne (1) a consacré
récemment un travail d’ensemble. I] a isolé des sarcines, de
nombreux coccus, des streptocoques, des microbes du groupe
coli....., etc., rend ces germes responsables des accidents soi-
disant anaphylactiques qui s’observent parfois au point d’ino-
culation et 6met l’hypothése qu’ils peuvent rendre le virus de
passage plus agressif. Nous pensons qu'ils sont également sus-
ceptibles de l’atténuer et de le détruire. Les deux opinions
sont loin d’étre inconciliables... Cependant, ce germe capable
d’exercer sur le virus rabique une action comparable 4 celle
du pyocyanique ou du pneumo-bacille a l’égard du bacille du
charbon, quel est-il? Les seuls microorganismes que Jes ense-
mencements en bouillon sur gélose inclinée ainsi que sur
plaques de gélatine et de gélose aient réussi & mettre en évi-
dence dans le systeme nerveux central des lapins sont les diffé-
rentes variétés de staphylocoques et le coli-bacille. Il ne sem-
ble pas que ces germes puissent étre incriminés. Alors méme
que, dans les cerveaux en état de putréfaction par exemple,
leur action s’exerce longuement sur le virus rabique, elle est
sans action sur sa virulence et sa vitalité. N’étaient les lacunes
considérables de nos recherches bactériologiques — .lacunes
indépendantes de notre volonté et que nous sommes le premier
a regretter — on pourrait, semble-t-il, avancer qu'il s’agit
d’un microbe non cultivable sur les milieux usuels ou d’un
virus filtrant, et, 8 'appui de cette derniére hypothése, on pour-
rait faire valoir l'analogie clinique entre les accidents présentés
par nos lapins et ceux que déterminent le virus de la poliomyé-
lite (paralysies, parésies diverses) et celui de l’encéphalite
léthargique (tremblement, chorée, paralysies localisées), Ce
n'est toutefois qu'une hypothése. Lorsque des accidents tels
que ceux qui viennent d’étre décrits se produisent dans un
Institut antirabique, ils ne sont pas sans provoquer une vive
émotion qui devient méme une véritable angoisse si des
mordus graves se trouvent en traitement. On vaau plus pressé.
c’est-’-dire que l’on se préoccupe avant tout des moyens
d’assurer la continuité des inoculations et le cété purement
(1) Kiinve, Ueber den Bakteriengehaltdes Riickenmarkes der Witkaninchen
und seine mégliche Bedeutung fiir die wihrend der Schutzimpfung auftre-
tenden Impfschadigungen. Zetischrift fiir Hygiene, 1920, p. 372-385.
ay
DESTRUCTION DU VIRUS FIXE PAR UN MICROBE ADVENTICE 865
scientifique est forcément laissé un peu & I’arriére-plan (4).
En plus du fait que nous avons réussi une fois, semble-t-il, a
réaliser un deuxidme passage de lapin & lapin (obs. V), la seule
notion tant soit peu précise que tous ayons au sujet de cet
agent destructeur a trait & son mode de résistance a la giycé-
rine. Le cerveau de lobservation IV est mis en glycérine le
19 aottt; sept jours plus tard, le 26 aoidt, il est inoculé & un
lapin qui présente un torticolis paralytique le troisiéme jour
en attendant de prendre larage le septi¢me jour. Les lapins des
observations | et II sont inoculés le 16 aotit avec un cerveau
conservé en glycérine depuis treize jours. Deux lapins inoculés
le lendemain avec le méme cerveau — aprés quatorze jours
d’immersion par conséquent — demeurent indemnes. Le virus
semblerait ainsi présenter a la glycérine une résistance
moyenne.
L’hypothése d'un germe ou d’un virus destructeur du virus
rabique est toutefois passible de certaines objections que nous
allons envisager.
1° Ce virus envahit l’encéphale des lapins en méme temps
que le coli-bacille et les staphylocoques et grace & eux peut-
étre. Dés lors, comment les animaux inoculés dans le cerveau
ou sur la dure-mére ne succombent-ils pas tous & une méningo-
encéphalite staphylococcique ou coli-bacillaire?
La cause parait en étre dans la résistance plus grande qu'il
nest admis que les méninges, et sans doute aussi le cerveau
(car dans la pratique actuelle des trépanations on ignore le plus
souvent si linjection est poussée dans les méninges, dans le
cerveau ou dans les deux a la fois) du lapin présentent & l’in-
fection, résistance sur laquelle nous avons, il y a longtemps
déja, attiré l’attention (2).Un lot de lapins étant trépanéavec un
(1) Seize personnes ont suivi le traitement antirabique a l'Institut Pasteur
de Tanger pendant les mois de juillet et d’aout 1922. Trois d’entre elles ont
eu un abcés de la paroi abdominale qui a dt étre incisé et a guéri rapide-
ment sans la moindre complication. Deux ont eu simplement, au point
dinoculation, un peu de rougeur et dinduration qui a cédé 4a l’application
de ‘compresses d@’eau bouillie, refroidie. Onze n’ont eu absolument aucune
lésion locale. Dés qu’il fut possible Wutiliser les moelles des lapins inoculés
avec le nouveau virus, on calcula tres largement le nombre des injections
qui pouvaient étre soupconnées détre demeurées inopérantes et il fut
procédé a une série dinoculations de remplacement. Aucun accident, ni
pendant le traitement ni apres lui.
(2) Loc. cit.
866 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUK
virus rabique impur ot les cultures décélent la présence de
nombreux microorganismes, quelques-uns meurent de ménin-
zite le lendemain ou le surlendemain de l’inoculation; d’autres
présentent les mémes symptémes, mais, isolés dans une caisse
obscure placée elle-méme dans une piéce silencieuse, s’amé-
liorent peu & peu et finissent par guérir; d autres enfin n’ac-
cusent aucun signe de réaction méningée cliniquement appré-
ciable. On remarquera que cette tolérance des méninges et du
cerveau aux microorganismes est éminemment favorable a la
contamination du virus rabique par un germe étranger ainsi
qu’a son atténuation et finalement & sa destruction par lui.
Cette atténuation, celte destruction ne seraient guére possibles
si, dl ‘introduction d'un microbe surajouté au virus, les méninges
et le cerveau réagissaient nécessairement par une attaque de
méningite ou d’encéphalite mortelle. Dans |’éventualité con-
traire, un germe introduit accidentellement dans l’encéphale
avec l’émulsion bulbaire par exemple peut y sommeiller, voire
méme s’y reproduire plus ou moins sans éveiller le moins du
monde l’attention de l’observateur. Extrait avec le bulbe et
réinoculé avec lui, il va passer de lapin a lapin, s’adapter au
systeme nerveux central tout comme le virus, se développer
de plus en plus facilement et finalement ouvrirla portea d'autres
microorganismes parmi lesquels se glissera peul-étre un germe
antagoniste, destructeur du virus. On peut faire valoir a l’ap-
pui de cette conception qu’ainsi que nous l’avons déja fait
remarquer les germes isolés des centres nerveux des lapins
rabiques ne proviennent pas tous d’infections agoniques ou
post mortem puisque les ensemencements du cerveau et du
bulbe sont parfois positifs (obs. V) alors que ceux du sang du
coeur et de la pulpe hépatique ne décélent la présence d’aucun
microorganisme.
2° Un méme cerveau étant inoculé sous la dure-mére d'un
certain nombre de lapins, comment se fait-il que quelques-uns
d’entre eux présentent pour toute manifestation une chorée ct
un torticolis curables, tandis que d’autres accusent, en plus de
ces symplomes, des troubles paralytiques mortels dont les pas-
sages apres un séjour plus ou moins long du bulbe en glycérine
démontrent la nature rabique? Ainsi, deux lapins sont inoculés
le 8 aoft avec le méme virus. L’un deux (obs. IIT) présente un
DESTRUCTION DU VIRUS FIXE PAR UN MICROBE ADVENTICE 867
simple torticolis qui aurait, selon toute vraisemblance, persisté
indéfiniment siau dix-neuviéme jour les circonstances ne nous
avaient obligé a inoculer & nouveau ce lapin avec un virus
neuf pour voir sil n’avait pas quelque immunilé. L’autre
(obs. 1V)montre quatre jours aprés l’inoculationune parésie des
quatre membres, une kéralite suppurée, une myélite dorso-
lombaire el, aprés épuration par la glycérine, on parvient &
isoler du cerveau le virus rabique. De méme encore, deux
lapins recoivent sous la dure-mére le 16 aodt le méme virus
197-577. L’un présente une chorée et une paralysie spasmodi-
que des quatre membres indépendante de !a rage; l'autre, des
secousses choréiformes et une paralysie mortelle en quelques
heures dont les passages démontrent la nature rabique. Il
parait assez vraisemblable d’admettre que l’alténuation et la
destruction du virus rabique par son commensal ne s’effectuent
pas d’une facon uniforme dans toute l’étendue du systéme ner-
veux central des animaux inoculés, soit parce que ce commensal
se cultive de proche en proche a partir du point ot il a été
déposé, soit parce qu’en certaines régions de l’encéphale (corne
d’Ammon, protubérance, cervelet) le virus rabique plus abon-
dant offre au germe antagoniste une résistance plus grande,
soit que, par un mécanisme inverse, ce soit ce germe qui se
développe plus activement en quelques points du systéme ner-
veux. On congoit que, dans ces conditions, l'inoculation d'une
émulsion imparfaitement homogéne puisse provoquer dans un
méme lot d’animaux des manifestations différentes.
Dans l’hypothése de la contamination du virus de passage
par un germe capable de l’atténuer et de le détruire, la pro-
phylaxie des accidents sur lesquels nous venons d’attirer l’at-
tention ne laisse pas que de présenter cerlaines difficultés. Ils
se sont en elfet produits & Tanger malgré une observation
incessante des animaux inoculés, comme malgré la précaution
de mettre les lapins 4 la glaciére dés qu’ils sont couchés sur le
cété et de les sacrifier bien avant le moment présumé de leur
mort naturelle. 1 pourrait venir a l’idée d’ensemencer systéma-
tiquement les bulbes et les moelles des lapins de passage et de
n'utiliser pour les trépanations et pour les traitements que ceux
d’entre eux qui seraient demeurés stériles. Outre que le virus
destructeur ne parait pas se développer dansles milieux nutri-
59
ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR
868
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DESTRUCTION DU VIRUS FIXE PAR UN MICROBE ADVENTICE 869
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870 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR
tifs habituels, ce serait 1A une complication assez grande, la
plupart des ensemencements donnant, particuliérement été,
naissance a des colonies. Cette complication ne semblerait
pas au surplus devoir comporter en retour un grand avantage
puisque ces microbes adventices paraissent étre dans l’immense
majorité des cas sans inconvénients pour la dure-mére du lapin
comme pour la paroi abdominale des personnes en traitement.
L’attention étant altirée sur ces accidents, le mieux parait étre
de changer de virus de passage aussildt qu’un lapin vient a ne
pas prendre la rage ou & présenter quelques-uns des symptomes
choréiques ou parétiques plus haut décrits. Si, au point de vue
pratique, il importe d’abandonner le plus tot possible un virus
devenu suspect, au point de vue scientifique pur, il convient
au contraire de le conserver et de |’étudier avec le plus grand
soin. Ni 27 vitro, ni in vivo, on n’a pu jusqu’a aujourd hui réaliser
avec aucun germe l’atténuation et a fortiore la destruction du
virus rabique, eton concoit, sans qu’il soit nécessaire d’insister,
toutes les conséquences que pourrait comporter l'isolement d’un
tel agent. Le cas échéant, il importerait donc au plus haut point
de mener de front les passages du virus destiné au traitement
des mordus et ceux du virus mixte soupconné de renfermer le
microbe antagoniste ou germe rabiophage. Ainsi que nous
Pavons déja indiqué, peut-étre es!-ce du cdté des virus filtrants
que la solution du probleme devrait avec préférence étre
recherchée?
Nous ferons remarquer en terminant que les médecins qui,
tel Heckenroth, ont dirigé un Institut antirabique dans les
pays tropicaux ont insisté sur des particularités fort curieuses
qu’y présente le virus rabique. I] existerait sur le chien un
virus indigéne non susceptible, comme le virus importé, de se
transmettre & homme par morsure. Le virus'de rue ne se
moatre pas toujours virulent pour le lapin. La proportion des
réfractaires peut s’élever & un sur neuf (Heckenroth), 4 un sur
six (Bouffard). Quant au virus fixe, il détermine la mort apres
untemps trés irrégulier : dix-sept, dix-neuf et jusqu’& cinquante-
ciaq joursaprés inoculation intra-cérébrale (1). Des expériences
(1) Heckennorn, Contribution a l'étude de la rage en Afrique occidentale
francaise. Ces Annales, 1918, p- 389-398,
DsSTRUCTION DU VIRUS FIXE PAR UN MICROBE ADVENTICE 871
comparatives, qu’avec MM. Marcel Léger et Teppaz nous avons
entreprises 8 Dakar et & Tanger avec le virus du Sénégal et du
Maroc, n’ont peut-étre pas pleinement confirmé tous ces faits (1).
Il semble toutefois quils pourraient trouver une explication
dans l’adjonction au virus rabique d’un virus antagoniste.
Notons encore, coincidence fort curieuse, qu’a Dakar un grand
nombre de lapins inoculés sous la dure-mére ou dans le cer-
veau succombent le lendemain ou le surlendemain de l’opéra-
tion (2).
(1) Remtincer, MArcer Liécer et Terpaz, Contribution a l’étude de la rage
au Sénégal. Bull. de la Soc. de Path. exotique, t. 1923, 16, p. 4-6.
' (2) Communication personnelle de M. Teppaz.
LA REACTION DE DEVIATION DU COMPLEMENT
APPLIQUEE
AU DIAGNOSTIC DE LA TUBERCULOSE BOVINE
par BROCQ-ROUSSEU, A. URBAIN et CAUCHEMEZ.
La grande yaleur pratique de la tuberculine n'est plus a
démontrer lorsqu’il s'agit du diagnostic de la tuberculose
bovine; elle s’est imposée par sa simplicité et conservera
longtemps la préférence des praticiens. Mais il existe d’autres
méthodes de diagnostic, d’une valeur réelle, qui ne doivent
pas étre délaissées d’une facon systématique; parmi elles, la
fixation du complément est & l’ordre du jour.
Cette réaction a fait l’objet de récents et nombreux travaux
en médecine humaine. Tous les auteurs n’ont pas la méme
opinion sur sa valeur : certains la préconisent comme un moyen
str de diagnostic; d’autres, au contraire, la délaissent et méme
la condamnent impitoyablement comme étant une réaction
non spécifique, incapable d’éclairer un diagnostic douteux.
Cependant, il est parfois difficile au médecin d’affirmer qu’un
malade est réellement tuberculeux, en dehors de cas cliniques
bien définis, lorsque, par exemple, il trouve des bacilles dans
les crachats. Quel est donc le critérium sur lequel on s’appuie
pour dire que la réaction de fixation n’est pas spécifique dans
tous les cas oti le diagnostic de tuberculose n’est pas posé
dune facon certaine?
Cetle difficulté n’existe pas en médecine vélérinaire, car
nous pouvons choisir & abattoir des animaux macroscopique-
ment tuberculeux et vérifier si leur sérum contient des anti-
corps spécifiques. La réaction de fixation acquiert donc, dans
ces conditions, une valeur considérable, car ses résultats sont
établis sur des bases certaines qu’on ne peut avoir en méde-
cine humaine.
Le résultat des recherches que nous publions actuellement
sur la valeur de cette réaction dans le diagnostic de la tuber-
_
= % 3 F 7 os ee
DEVIATION DU COMPLEMENT 873
culose hovine nous parait devoir apporter dans ce débat des
arguments probants.
Un certain nombre d’auteurs ont essayé de mettre en
évidence des anticorps dans le sérum des bovidés tuberculeux.
A. Calmeltte, L. Massol et M. Breton (41) ont trouvé des
anticorps dans 50 p. 100 des sérums de bovidés reconnus
tuberculeux a l’abattoir, en utilisant comme antigéne des
bacilles bovins, ou de la tuberculine d’origine bovine préparée
a froid.
Henneppe (2), examinant des sérums de veaux soumis &
Vaction du tauruman, du bovo-vaccin ou de bacilles humains,
a constaté l’existence de sensibilisatrices fixant l’alexine en
présence des anligenes correspondants.
Ruppel et Rickman (3) eurent, avec 60 sérums de bovidés
suspects de tuberculose, 51 réactions positives et 9 négatives.
Weber et Dieterlen (4) ont toujours obtenu une réaction de
fixation négative avec les sérums des bovidés sains, alors qu’avec
ceux des bovidés tuberculeux la réaction a toujours été positive.
Bach (5), au contraire, nie toute spécificité a la réaction;
les sérums des bovidés sains ont fixé le complément en pré-
sence d’antigéne tuberculeux, au méme titre que les sérums
provenant de bovidés tuberculeux.
R. Letulle (6) a mis en évidence des anticorps dans des
sérums de bovidés hyperimmunisés par injections intravei-
neuses de bacilles bovins et, dans 6 sérums sur 9, de bovidés
reconnus tuberculeux a l’abatage. Il n’a pas trouvé d’anticorps
dans 18 sérums de bovidés reconnus sains 4 l’abattoir.
Hammer (7) a constaté la présence dune sensibilisatrice
spécifique dans 46 sérums de bovidés reconnus tuberculeux
(100 p. 100). _
1) C. R. de la Soc. de Biol., 19 décembre 1908, p. 648.
2) Inaug. Dissert., Berne, 1909.
3) Zeitsch. f. Immunitdtsforsch., 1910, p. 344.
4) Arb. a.d.k. Gesundheitsamtes, 1940, 40, p. 247.
5) Inaug. Dissert., Leipzig, 1909.
6) Etude des réactions humorales dans linfection tuberculeuse. Thése,
Paris, 1912.
(7) Deut. tier. Woch., 1912, n° 39, p. 598.
874 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR
Borrel et Boez (1) trouvérent, avec 20 sérums de bovidés
tuberculeux, 16 réactions positives et 4 négatives. Avec
50 sérums de bovidés sains, ils enregistrérent 47 réactions
négatives.
Hruska et Pfenniger (2), en utilisant l’antigene a l’cuf de
Besredka, obtinrent les résultats suivants : chez les bovidés
tuberculeux, 84,5 p. 100 de réactions positives; chez les
animaux sains, 97,8 p. 100 de réactions négalives.
Brocq-Rousseu, Urbain et Cauchemez (3) trouvérent 95 p. 100
de réactions positives avec 100 sérums de bovidés tuberculeux
et 100 p. 100 de négatives avec 31 sérums d’animaux sains.
Panisset et Verge (4), examinant 60 sérums de bovidés sains
et 148 d’animaux tuberculeux, arrivérent aux conclusions sut-
vantes: 90,5 p. 100 de réactions positives chez les tuberculeux
et 11 p. 100 de réactions positives chez les animaux sains.
Bang et Andersen (5) et Panisset et Verge (6) ont montré
aussi que la réaction de fixation était positive chez les animaux
infectés avec des bacilles acido-résistants, et particulitrement
avec le sérum des bovidés atteints d’entérite chronique hyper-
trophiante.
*
* *
‘Liensemble de nos recherches a porté sur 203 sérums de
bovidés reconnus tuberculeux & l’autopsie et sur 74 sérums
d’animaux macroscopiquement indemnes de tuberculose.
Les préleévements ont été faits sur des animaux dont lage
variait de dix-huit mois & quinze ans, et présentant toute la
série des lésions, depuis une seule granulation récente du
ganglion bronchique gauche, jusqu’aux lésions massives, &
divers stades, des viscéres et des séreuses des deux grandes
cavités. Le sang pris dans le ceeur, sitdt aprés l’éviscération,
était centrifugé dés que possible. Nous avons observé, comme
Hruska et Pfenniger (7), qu'un grand nombre de sérums
1) C. R. de la Soc. de Biol., 17 juillet 1920, p. 1430.
2) Ces Annales, 19241, p. 96.
(3) C. R. de la Soc. de Biol., 15 juillet 1922, p..502.
(4) Ces Annales, 1922, p. 690.
(5) Centralb. f. Bakter., 1918, p. 517.
(6) Bull. Soc. centrale de méd. vét., 1922, p. 384.
(7) Loe. cié.
DEVIATION DU COMPLEMENT 875
oblenus par centrifugation se coagulaient & nouveau et qu'il
est difficile d’obtenir, par ce procédé, une quantité notable
de sérum; il est donc préférable de laisser le sérum se former
de lui-méme a la température du laboraloire.
Tous ces sérums ont été chauffés a 60°, température néces-
saire pour faire disparaitre les substances anticomplémentaires,
si fréyuentes dans les sérums des animaux, et particulitrement
abondantes chez les bovidés.
Nous avons empioyé la technique de Calmette et Massol, qui
consiste en l'emploi de doses croissantes d’alexine, et de doses
constantes de sérum et d’antigéne. L’antigéne utilisé a été
celui de Besredka. .
Le sérum des bovidés étant, dans la majorilé des cas, peu
riche en anticorps, la dose de sérum hémolytique que nous
avons employée n’a jamais dépassé deux fois la dose hémoly-
tique limite. En augmentant de cing & dix fois cette dose
limite, comme certains le font, nous avons constalé que beau-
coup de réactions faiblement positives et quelques réactions
positives devenaient négatives.
Nous avons adopté la notation suivante pour les réactions :
0 réaction négative.
+ réaction faiblement positive (2 tubes non hémolysés).
++ réaction positive (3 ou 4 tubes non hémolysés).
+++ réaction trés positive (plus de 4 tubes non hémolysés).
L’ensemble des résultats obtenus se résume ainsi :
0 12 sérums.
2 MS ee
+4 500 —
tS
soit, pour 203 sérums examinés:
491 épreuves positives ..... 550 SOD joe OD
12 épreuves négatives.......+. 5,91 p. 100
A titre de contrdle, nous avons soumis & l’épreuve de la
déviation du complément 72 sérums de bovidés sains qui ont
fourni 71 réactions négatives contre 4 posilive, et 2 sérums de
bovidés atteints d’actinomycose qui ont donné dans les deux
cas une réaction de fixation négative.
876 ANNALES DE LINSTITUT PASTEUR
De sorte que, avec 74 sérums de bovidés indemnes de tuber-
culose, nous avons eu:
.
73 réactions négatives, soit. ..... . 98,64 p. 100
A réactionmpositive; sollte.) .0sl= 2 le 1,36 p. 100
A cette occasion, nous ferons remarquer que l’examen de
Vanimal gui a donné cette réaction positive n’a peut-étre pas
été poussé assez loin, et ilse peut qu'une lésion discréte, d’un
ganglion par exemple, ait échappé aux investigations de l’ins-
pecteur. L’un de nous, qui dans sa longue pratique de vétéri-
naire sanitaire a examiné des milliers de bovidés tuberculeux,
a dai se livrer parfois & de longues et minutieuses recherches
pour découvrir une lésion ohee un animal ayant réagi a la
tuberculine. La lésion peut étre trouvée dans un des yaetione
médiastinaux ou mésentériques, ou méme dans un ganglion
rélro-pharyngien, préscapulaire ou précrural, et elle échap-
perait & toute inspection si une tuberculination positive préa-
lable n’attirait Vattention sur ce point. Il se peut que nous
ayons eu affaire & une lésion de cet ordre, qui expliquerait Ja
réaction positive enregistrée.
Le tableau suivant indique le rapport entre la nature des
lésions tuberculeuses et la fixation de l’alexine :
NATURE DE LA LESION
a a ee us
2 go i=)
ial o C3) o a wn
eo 3 Loe oO ro) oD oO <s
Bf ops BOM B+ 280 ORS Eee ae Rie ee eee leas
S ® = oS eS gS oe = oso i
3 ne Se ee es es
zB, S o ites
= [odio 28 fort (ee eee alates oe
= of
0 0 0 0 m 0 4 4 0 12
+ 7 8 3 43 3 V4 slut 0 by)
SII 4 8 2 14 1 13 6 2 50
past ace 17 2 17 2 14 12 12 82
Totaux.
La lecture de ce tableau montre que les résultats négatifs
correspondent a des Iésions caséeuses ou calcifiées, et que les
réactions faiblement positives ou positives se rapportent & des
lésions aux stades les plus divers. Dans tous les cas, il n’ ya
DEVIATION DU COMPLEMENT 877
aucune corrélation entre l’dge des animaux. et l'imtensité de la
réaction.
*
* *
Nous avons recherché si les Iésions des animaux ayant donné
une réaction négative étaient virulentes, en ensemencant ces
lésions sur milieu de Petrof (1) et en inoculant des cobayes.
Le 30 oclobre 1922, nous ensemencons, suivant la méthode habituelle, des
fragments d'une lésion calcifiée d’un ganglion bronchique, sur milieu de
Petrof; deux cobayes sont inoculés avec le produit du broyage de cette
lésion. Nous obtenons une culture en quarante-cing jours, et les cobayes
deviennent tubereuleux; leur autopsie, pratiquée cinquante-cing jours apres
Yinoculation, montre des lésions multiples de la rate, du foie et du poumon.
Le 15 février 1923, nous ensemencons une parcelle d’une lésion fibro-cal-
cairé, ef nous inoculons deux cobayes; nous n’obtenons pas de culture, et les
cobayes sacrifiés cing mois aprés linoculation sont reconnus indemnes de
tuberculose.
Les 19 février, 5 mars et 13 avril, nous opérons de méme avec des parti-
cules de iésions calcifiées. Dans les trois cas, nous n’obtenons pas de culture,
et inoculation du 43 avril, seule, tuberculise les cobayes.
Le 16 mai, une Iésion caséeuse d’un ganglion bronchique rend deux
cobayes tuberculeux et donne une culture.
Done, dans trois cas sur six, nous n’avons pas trouvé de
lésions virulentes. Ces trois cas, dans lesquels la réaction de
fixation avait été négative, sont done bien en faveur de la
sensibilité et de la spécificité de la réaction. Quant aux trois
autres cas, oi les cultures et les inoculations ont été posilives
malgré une déviation négative, nous estimons qu’ils doivent
étre portés au compte des erreurs inhérentes & toute méthode
biologique.
A titre de controle, douze lésions aux stades les plus divers,
provenant d’animaux ayant donné des réactions faiblement
positives (4), positives (3), et tres positives (5), ont été expéri-
mentées de la méme facon : toutes les inoculations ont rendu
les cobayes tuberculeux, et dans dix cas nous avons obtenu
une culture sur le milieu de Petrof.
*
* *
Nous avons enfin examiné sept sérums d’animaux ayant
réagzi a la tuberculine; cing d’entre eux (un tuberculiné par
(1) Trois de ces ensemencements ont été faits par notre ami le Dt Limousin
que nous remercions ici de son obligeance.
878 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR
voie sous-culanée, et quatre par intradermo-réaction) ont pré-
senté une réaction trés positive. Ce fait a déja été signalé par
Calmelte, Massol et Mézie (1), Brocq-Rousseu, Urbain et Cau-
chemez (2), Panisset et Verge (3).
Les sixiéme et septiéme sujets,ayant subi ’intradermo-réaction
depuis plu’ de trois mois, ont présenté une réaction légére.
CONCLUSIONS.
1° Les sérums des bovidés tuberculeux fixent Valexine en
présence de l’antigene de Besredka dans 94,09 p. 100 des cas;
2° Les sérums des bovidés macroscopiquement indemnes de
tuberculose 4 un examen rapide donnent une réaction de fixa-
lion négative dans 98,64 p. 100 des cas;
3° L’dge n’a aucune influence sur la réaction ;
4° Chez les animaux dont le sérum a fourni une réaction
négative, les lésions ont été trouvées avirulentes dans trois cas
sur six;
5° Douze lésions provenant de douze bovidés dont le sérum
a fixé le complément en présence d’un antigéne tuberculeux
ont rendu le cobaye tuberculeux ;
6° Les réactions faiblement positives ou positives ne laissent
pas préjuger du caractére et de l’étendue des lésions;
7° Les tuberculoses généralisées ont donné, dans douze cas
sur quatorze examinés, une réaction trés positive ;
8° Une injection préalable de tuberculine augmente beau-
coup la richesse en anticorps du sérum des bovidés tubercu-
leux;
9° L’entérilte hypertrophiante étant mise & part, la réaction
de déviation du complément est spécifique, et peut étre appli-
quée au diagnostic de la tuberculose bovine.
(Instilul Pasteur, laboratoire militaire de recherches vétérinaires, et
laboratoire de l’abattoir de Vaugirard.)
(1) C. R. de la Soc. de Biol., 13 juillet 1912, p. 122.
(2) Loc. cit.
(3) Loc. cil.
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