Sébastien Lecornu, ministre des Armées: "Nous n’avons jamais mis à mal notre système de défense"

Menace terroriste, aide à l’Ukraine, nécessaires économies, agressions sexuelles dans les armées… Sébastien Lecornu, sur tous les fronts, n’a éludé aucune de nos questions.

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P.-L. P. Publié le 27/03/2024 à 20:20, mis à jour le 27/03/2024 à 20:24
interview
Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, lors de son déplacement dans le Var ce mercredi 27 mars. Photo Valérie Le Parc

En marge de son déplacement dans le Var au cours duquel il a visité les installations de la société Exail, spécialisée dans les drones sous-marins, avant de se rendre dans la base navale de Toulon, puis au 54e régiment d’artillerie d’Hyères, le ministre des Armées nous a accordé une interview exclusive.

Pensez-vous que la France sera au rendez-vous des drones sous-marins? Ce qu’elle n’a pas su faire avec les drones aériens.

On n’est pas dans la même situation sur les drones maritimes que sur les drones aériens. Sur ces derniers, nous avons été en retard pendant longtemps. Aussi, plutôt que de chercher à rattraper ce retard, je fais le pari d’un saut de technologie qui nous permettra d’être en avance à l’horizon 2030. Sur les drones maritimes en revanche, grâce à des entreprises comme Exail que nous avons visitée ce matin, nous suivons le rythme de l’innovation.

On fait même partie d’un club très resserré de quelques nations qui maîtrisent parfaitement ces technologies. C’est lié aux réflexions que l’on a sur la protection de nos grands ports militaires, comme de nos grands ports de commerce (Marseille et Le Havre) et c’est lié aussi au fait que depuis de nombreuses années, des entreprises conçoivent du matériel capable d’aller sous l’eau. Le programme de guerre des mines de nouvelle génération mené par la Belgique et les Pays-Bas, qui nous intéresse au plus haut point, en est la parfaite illustration. Au fond, l’intérêt d’un drone pour la guerre des mines est évident: plutôt que d’exposer la vie d’un plongeur démineur, la technologie permet de repousser la létalité. C’est, en mauvais français, un énorme game changer.

Le récent attentat à Moscou nous rappelle que le djihadisme est toujours une menace bien réelle. Où en est-on sur le terrain dans la lutte contre le terrorisme djihadiste?

On est toujours très engagés. Je vous rappelle qu’à la fin du mois d’août 2023, on a perdu trois soldats en Irak, engagés dans l’opération Chammal qui lutte contre les dernières cellules de Daesh disséminées sur le territoire et fait de la formation auprès des forces armées irakiennes pour leur permettre justement de lutter contre le terrorisme. Les armées françaises ainsi que tous nos services de renseignement continuent donc d’être très engagés dans l’antiterrorisme. La réalité, c’est qu’il y avait des foyers très régionaux du terrorisme qui n’obéissaient pas forcément à la même gouvernance et aux mêmes logiques: au Sahel, au Levant, dans le Caucase et évidemment en Afghanistan. Ce qui est nouveau, c’est qu’on constate de plus en plus des systèmes d’allégeance qui connectent les différents groupes armés terroristes islamistes, soit autour de la mouvance Al Qaeda, soit autour de la mouvance de l’État islamique. Et ça évidemment, c’est une préoccupation majeure. Cela nous rappelle qu’en plus de la guerre en Ukraine, en plus de la prolifération nucléaire en Iran ou en Corée du Nord, en plus des menaces hybrides que nous connaissons, cette menace terroriste est toujours bel et bien présente. Pour nous Français, à l’approche des Jeux olympiques, c’est évidemment un enjeu.

Le fait d’avoir été poussé hors des pays du Sahel rend-il plus difficile cette lutte?

Je note que ce que beaucoup d’observateurs considéraient comme un problème franco-français se sont trompés puisque, par exemple, la base américaine au Niger fait l’objet d’une demande de déménagement de la part de la junte nigérienne. On a des juntes dont la logique est avant tout d’arriver à gagner du temps sur celui qu’ils ont pour leur propre pouvoir. Pour ces juntes, la lutte contre le terrorisme passe désormais au second plan. Ce qui est pour nous, comme pour les pays d’Afrique du Nord d’ailleurs, un point de préoccupation majeur: au nord du Sahel, très vite vous avez l’Algérie, très vite vous avez la Méditerranée, très vite vous avez Toulon. C’est un enjeu sur lequel on échange également beaucoup avec les pays de la région, tels que la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Bénin, qui, eux, restent engagés dans la lutte contre le terrorisme.

Pouvez-vous nous dire où sera déployé le porte-avions Charles-de-Gaulle ? Participera-t-il, comme par le passé, à la lutte contre le djihadisme?

À partir du mois d’avril ou mai, il sera engagé dans des missions maritimes en Méditerranée, dans des exercices qui sont importants car ils se feront à plusieurs avec des alliés grecs, espagnols, portugais, américains, italiens… En fait, on est dans un moment où entre alliés de l’Otan, on durcit à nouveau les entraînements entre nous, pour être parfaitement interopérables et capables de planifier des missions et de les mener ensemble. La sécurisation de la Méditerranée est un enjeu clé en matière de trafic en tout genre, y compris d’armes, de lutte contre l’immigration et les différentes filières de passeurs. Et aussi parce qu’on y retrouve des tentatives d’intimidation ou d’interactions agressives de la part de la fédération de Russie. N’oublions pas que les Russes disposent de bases en Méditerranée, en tout cas d’accès depuis la Syrie: c’est quelque chose que nous surveillons de très près.

L’opération Sentinelle va être renforcée pour passer à 7.000 militaires déployés sur le territoire national. Cela remet-il en cause toute intervention extérieure?

Jean-Yves Le Drian, en tant que ministre de la Défense avait pris une excellente décision: réaugmenter la cible des effectifs de l’armée de Terre pour permettre à Sentinelle de ne pas avoir d’impact sur les différentes capacités à mener d’autres missions ou d’autres opérations. Donc vous avez en permanence une capacité à aller temporairement jusqu’à 10.000 hommes. Après, en fonction du niveau d’alerte terroriste, en fonction également du dialogue entre policiers gendarmes et militaires, on a des jauges qui peuvent augmenter. On était à 3.000 militaires engagés sur Sentinelle, depuis le début de la semaine, 4.000 militaires supplémentaires peuvent être mobilisés. D’ailleurs, vendredi et samedi, qui sont des journées particulières (Vendredi Saint, suivi du week-end de Pâques, Ndlr) sur lesquelles notre vigilance s’accroît à la demande du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, on aura une mobilisation de sections Sentinelle beaucoup plus importante.

Quel événement militaire pourrait-il pousser le président de la République à envoyer des troupes en Ukraine?

Il n’y a pas de plan fiction de notre côté, mais on ne peut pas ne pas voir que la fuite en avant du président Vladimir Poutine n’a pas forcément de limite. Et donc, ce que le président de la République a dit c’est que, comme on ne sait pas jusqu’où cette fuite en avant peut aller, il est compliqué pour nous de fixer des limites a priori. C’est aussi simple que ça. Et 2024 est une année sensible dans la suite de ce qui va se passer en Ukraine, d’où les initiatives diplomatiques que nous menons pour regarder ce que l’on peut faire de plus, ce qu’on peut faire autrement pour l’Ukraine, ce qui n’a pas encore été tenté. Dès lors que la contre-offensive n’a pas fonctionné comme nous le souhaitions, il est indispensable de réfléchir à ce que nous pouvons faire autrement, différemment.

Toujours à propos de l’Ukraine, on entend des critiques sur les livraisons d’armes prises sur nos stocks. Que répondez-vous à ceux qui affirment qu’on affaiblit ainsi les armées françaises?

Les critiques sont sous différents registres, entre ceux qui pensent qu’on en donne trop, et ceux qui pensent qu’on n’en donne pas assez. On voit bien qu’on est dans un propos un peu superficiel, et parfois politisé parce que la campagne des élections européennes a démarré. Si je me tiens loin de ce débat politicien, et si je suis le plus clinique possible, il y a une ligne rouge qu’on n’a jamais franchie: c’est de mettre à mal notre système de défense. Jamais! Sur des armements qu’on a pu prélever dans nos armées, comme les canons Caesar, ils ont certes perturbé les plannings d’entraînement de nos artilleurs, à Canjuers notamment, mais au-delà, cela n’a jamais mis à mal notre système d’artillerie. Puisqu’on réinvestit massivement pour nos armées avec ce plan de 413 milliards d’euros pour 2024-2030, on a beaucoup de matériels qui fonctionnent encore et qui vont être sortis de nos armées. Plutôt que de les mettre à la poubelle ou de les donner à d’autres pays, on les donne à l’armée ukrainienne. Mais je le répète: il n’y a jamais eu d’abaissement de notre modèle de défense. Nous sommes le gouvernement qui depuis 2017 a le plus investi dans la Défense. Ceux qui veulent nous critiquer devront choisir un autre angle que le désarmement du pays au regard des sommes importantes que nous demandons aux contribuables de mobiliser pour notre défense nationale.

Les économies que cherche à faire Bruno Le Maire font-elles peser une menace sur le budget de la Défense? Sur l’aide accordée à l’Ukraine?

Le parlement a voté la loi de programmation militaire. Elle fait l’objet d’engagements qui ont été publiés au Journal officiel. Les engagements, ce n’est pas tant l’argent que le nombre de bateaux, le nombre d’heures d’entraînement, le stock de munitions, de missiles, etc. qui sont attribués à chaque armée. Ce qui compte, c’est le physique, c’est le réel. Ce n’est certainement pas ce pouvoir et cette majorité qui vont abîmer l’effort de réarmement. Il est clairement un des éléments d’identité de ce que nous faisons pour la France. Après est-ce que le ministre des Armées peut gérer l’argent du contribuable encore plus efficacement? Oui, et c’est ma responsabilité. L’inflation ralentit, il y a donc des opportunités de renégociation de contrats qui peuvent se faire et peuvent aussi permettre d’aider l’Ukraine. Je serais un mauvais gestionnaire si je ne le faisais pas. Les crédits augmentent pour notre défense et c’est une bonne nouvelle, mais ce n’est pas parce qu’ils augmentent qu’il ne faut pas avoir une gestion saine et rigoureuse de l’argent du contribuable dans le ministère des Armées.

Des plaintes pour agressions sexuelles au sein des armées se font plus nombreuses. La protection de l’institution plus que des victimes est pointée du doigt. Comment comptez-vous renforcer les mesures de lutte contre les agressions sexuelles?

Aucun agresseur potentiel ne sera protégé et toute victime présumée sera entendue, respectée, protégée et accompagnée. C’est un ministère où la jeunesse et la promiscuité entraînent en effet des défis pour le commandement pour faire en sorte que les présumées victimes soient toujours protégées. J’ai signé une instruction pour rappeler le cadre qui est le nôtre en la matière. Florence Parly, ma prédécesseure, avait fait beaucoup en la matière. La parole de la présumée victime doit toujours être entendue et toujours faire l’objet d’un accompagnement le plus précis, le plus respectueux, et le plus humain possible. Quelle que soit la victime, c’est-à-dire quel que soit son âge, son sexe, son grade. Dans l’autre sens, le présumé agresseur doit systématiquement faire l’objet d’une enquête de commandement ou administrative si c’est un civil de la défense. J’ai donné des instructions précises aux chefs militaires pour que systématiquement, le parquet compétent soit saisi, que la victime ait ou non déposé plainte. C’est le point clé de la réponse que je vous fais, qui montre bien que ce n’est pas le commandement militaire qui décide des faits ou de la culpabilité, mais bel et bien, dans notre République, l’autorité judiciaire et elle seule.

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Var-Matin

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