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Société

Les hommes blancs sont responsables de tous les maux de la terre !

CHRONIQUE. Xavier-Laurent Salvador, maître de conférences et membre de l’Observatoire du décolonialisme, dénonce le comportement des wokes qui se retranchent trop facilement derrière les facilités de l’anathème avec l'équation couple marié = patriarcat = blancs = domination.

Xavier-Laurent Salvador , Mis à jour le
« Les hommes blancs sont dans l’inconscient collectif responsables de tous les maux de la terre », assurait en 2021 Camélia Jordana.
« Les hommes blancs sont dans l’inconscient collectif responsables de tous les maux de la terre », assurait en 2021 Camélia Jordana. © AFP

Peu importe la réalité du « patriarcat » quand on parle de la société française aujourd’hui : les wokes nous expliquent qu’il est constitutif de la société tout entière. Sa critique s’acharne sur les bases de notre société, c’est-à-dire la société occidentale fondée sur ses institutions antiques et médiévales – comme le droit ou le mariage. Rappelez-vous la formule de Camélia Jordana dans L'Obs du 15 janvier 2021. Elle s’exclamait avec enthousiasme : « Les hommes blancs sont dans l’inconscient collectif responsables de tous les maux de la terre […] Le but est d’obtenir l’égalité des droits entre les hommes et les femmes. […] Pour y parvenir, nous devons interroger le masculin, ce ne peut pas être un combat exclusivement féminin, d’autant plus que le pouvoir dans notre société est patriarcal. »

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Ce type de discours fonctionne dans l’imaginaire collectif. Et comme personne ne prend la peine de construire les éléments du contre-discours, le wokisme devient une composante acceptable du marché culturel. Il est de bon ton de s’opposer au « patriarcat », et d’ajouter aussitôt « de l’homme blanc » des fois qu’il puisse y avoir un autre patriarcat contestable mais que personne n’ose nommer.

Or désigner à la vindicte populaire et à la haine l’homme blanc hétérosexuel au motif qu’il incarne le « pouvoir », c’est une rébellion adolescente qui fédère paradoxalement toutes les radicalités. Il faut donc être très vigilant sur l’emploi du mot dans les médias : ce qui est visé à travers sa pseudo-dénonciation, c’est le mariage au prétexte qu’il serait le lieu de domination de la femme et de la répression des différences de genre caractéristique des sociétés « blanches ». Autant d’éléments subversifs qui rassemblent toutes les idéologies identitaires modernes.

Il est très difficile de sortir de l’impasse rhétorique dans laquelle on est enfermé par une pensée à la fois globalisante et raciste

Or ces propos trouvent une légitimité dans les sciences sociales, et font notamment écho à la théorie critique de la race. Dans l’ouvrage qu’ils consacrent à la description de ce phénomène Critical Race Theory, an introduction, R. Delgado et J. Stefancic montrent parfaitement les biais de cette rhétorique au sein de laquelle justement la question de la race est intimement liée à la dénonciation du patriarcat :

« Contrairement à certaines disciplines universitaires, la théorie critique des races contient une dimension activiste. Elle essaie non seulement de comprendre notre situation sociale, mais de la changer […] Elle s’est également appuyée sur le savoir du féminisme concernant la relation entre le pouvoir et la construction des rôles sociaux, ainsi que sur les modèles et les habitudes concernant le patriarcat et d’autres types de domination. »

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À partir du moment où l’équation simpliste est posée : couple marié = patriarcat = Blancs = domination, il est très difficile de sortir de l’impasse rhétorique dans laquelle on est enfermé par une pensée à la fois globalisante et raciste. Dès lors que vos adversaires ne voient pas le mal dans les idées portées par des discours, mais chassent le mal dans les personnes, toute possibilité d’échange est affaiblie par l’anathème.

Le « patriarcat » est devenu une notion qui permet de « clasher » la société occidentale sans avoir à se justifier

Dans un même ordre d’idée, la Philharmonie de Paris a publié en 2015 un « livre manifeste qui propose une méthode et un cadre de pensée (sic) pour aborder la question du genre et de la sexualité en musique ». Il s’agit de la traduction en français de l’essai Feminine Endings (Ouverture féministe) de la musicologue américaine Susan McClary, égérie de la New Musicology, publié par les presses de l’Université du Minnesota en 1991. L’ouvrage, consacré à la « technologie du genre » que seuls les happy few de la question – une élite – peuvent comprendre, prête parfois à sourire : l’avant-propos et la préface prétendent qu’il n’y a rien d’essentialiste, puis n’avancent e ensuite que des propos issus des idéologies différentialistes…

« Mon objectif ici est de démontrer que la musique classique est étroitement liée à la construction du genre, [qu’elle] offre tout un éventail d’images et de modèles de sexualités. Certains d’entre eux reproduisent fidèlement les normes globalement patriarcales et homophobes. » (p. 119)

Et tout y est réécrit à l’aune de jugements du même acabit : « La Neuvième Symphonie de Beethoven est probablement le meilleur exemple dans le domaine musical des pulsions contradictoires qui ont régi la culture patriarcale depuis les Lumières. (p. 248) » Bref : le « patriarcat » est devenu une notion qui permet de « clasher » la société occidentale sans avoir à se justifier. Il est responsable de la domination de la femme, de l’esclavage, de l’extractivisme en Afrique… Et le critiquer, c’est déjà en soi œuvrer à la libération du monde. Et comme toute idée peut être patriarcale dès lors qu’il n’a pas été établi que ce n’est pas vrai, eh bien : on peut donc s’affranchir de tout cadre de pensée historique, philosophique ou narratologique !

Cette haine de soi entretenue par un marché culturel trop souvent poreux aux idéologies identitaires offre un spectacle consternant

On peut ainsi commencer par la réhabilitation des identités de genre à travers l’histoire. C’est une source inespérée de sujets de recherches partant de l’idée assez géniale que « si ça existe aujourd’hui, c’est que ça existait autrefois : il n’y a qu’à bien chercher ». Ce type de postulats est clairement posé par certains travaux notamment en relation avec l’histoire – pardon : avec une sociologie de l’histoire – visant à doter certaines communautés d’un récit propre, décorrélé du roman historique national.

Progressivement, ces gens transposent en Histoire la fragmentation de l’universalisme qui prétendait sottement que l’histoire pouvait être commune avant qu’on ne se mette à revendiquer une histoire communautarisée faite de la somme des histoires de chaque « minorité ». Ce qui est un échec humain, social et politique est une mine de « marchés de niches » pour les universitaires, mais passons, qui en viennent à créer des collectifs d’archives au service d’une mémoire de la cause identitaire :

« La question de la reconnaissance sociale et politique des personnes trans s’articule avec une demande d’histoire. Les recherches historiques s’inscrivent parfois dans la revendication d’une mémoire active et performative pour le présent. […] En France, le collectif Archives LGBTQI+ vise à mutualiser les connaissances autour du sujet de l’archive vivante, et à prendre en compte les notions de « patrimoine » immatériel constitué par les communautés. »

Dans ce contexte, on ne peut que rester perplexe devant la montée d’exigences croissantes de « labels communautaires » et de reconnaissances d’histoires singulières face au refus du partage du récit national. Comme le dit parfaitement Georges Elia-Sarfati, « au fond de leur engagement, il se joue [pour ces gens], un combat éthique : c’est la lutte contre la civilisation patriarcale ». Mais entendons-nous bien : il s’agit là d’un patriarcat oppressif clairement défini par sa racine judéo-chrétienne… Car à y bien chercher, il existe sans doute d’autres sociétés fondées sur le patriarcat. Mais de celles-là, il n’est pas question.

Le constat est affligeant, et cette haine de soi entretenue par un marché culturel trop souvent poreux aux idées faussement progressistes des idéologies identitaires offre un spectacle consternant. Ces propos rejoignent ceux de nombreuses associations étudiantes, toutes alimentées par des éléments théoriques subversifs dont le militantisme revendique de lutter ouvertement contre la République universelle et ses institutions parmi lesquelles la langue, l’école et la laïcité. C’est ainsi que sous couvert de travaux intersectionnels, nombreux sont ceux qui arment les esprits des jeunes françaises les conduisent ouvertement à la radicalisation. Mais ce n’est pas grave, c’est à la mode.

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