On l’appelait « Gabo ». Ou, plus affectueusement encore, « Gabito ». Il y a dix ans, en 2014, le grand patriarche de la littérature latino-américaine, l’écrivain colombien Gabriel Garcia Marquez, auteur notamment de Cent ans de solitude (Seuil, 1968), maître du réalisme magique et Prix Nobel 1982, s’éteignait à l’âge de 87 ans.
A l’occasion de cet anniversaire, les éditions Grasset publient un court roman inédit, Nous nous verrons en août, texte qui aurait dû faire partie d’un ensemble de cinq récits tournant autour de la même protagoniste et mettant en scène des « histoires d’amour de gens âgés ». Comme l’explique l’éditeur en fin de volume, Garcia Marquez avait annoncé lui-même qu’il y travaillait : il avait même lu, en 1999, un chapitre de Nous nous verrons en août à la Casa de America de Madrid, où il participait, avec José Saramago, un autre Prix Nobel, à une rencontre sur « la force de création ibéro-américaine ».
Mais, après une longue maladie affectant sa mémoire, l’écrivain est mort sans avoir pu mener son projet à bien. Aujourd’hui, ses deux fils, qui signent la postface du livre, ont accepté que ce dernier paraisse. Entre « le vol fantomatique des hérons sur les eaux dormantes d’une lagune » et « la misère d’un petit village où l’on dort dans des hamacs entre deux cocotiers », ce récit haletant, bien qu’imparfaitement achevé, permet de se replonger avec délice dans l’atmosphère unique de Garcia Marquez et d’y retrouver bon nombre des thèmes qui l’obsédaient.
Mort
Théâtrale et fracassante, la mort ne tarde jamais à s’inviter dans les romans de Gabriel Garcia Marquez. Souvent dès les premières lignes, elle vous fixe dans les yeux. C’est le peloton d’exécution auquel fait face le colonel Aureliano Buendia au début de Cent ans de solitude. Ou l’annonce de l’assassinat de Santiago Nasar dans l’incipit de Chronique d’une mort annoncée (Grasset, 1981). Ou encore, au cimetière, la pierre tombale qu’Ana Magdalena va nettoyer au début de Nous nous verrons en août.
Depuis son recueil de nouvelles Les Funérailles de la Grande Mémé (Grasset, 1977) jusqu’au récit posthume que nous découvrons aujourd’hui, en passant par L’Amour aux temps du choléra (Grasset, 1987), toute l’œuvre de Garcia Marquez pourrait être lue comme un discours ininterrompu sur la solitude et sur la mort.
L’ultime instant, le romancier se le figurait d’ailleurs très simplement. C’était « le moment où tout s’arrête » et où règne « le noir absolu », explique-t-il dans son autobiographie romancée, Vivre pour la raconter (Grasset, 2003). Cette image avait beau être « peu philosophique », elle avait le mérite, disait-il, de le soulager, en même temps qu’elle l’attristait, car il s’agissait de « la première expérience qu’[il] ne pourrai[t] jamais raconter ».
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