L’année scolaire s’achève lentement à Budapest, capitale de la Hongrie. Abel Trem (Gaspar Adonyi-Walsh), élève de terminale rongé par le stress, rate l’oral d’histoire du baccalauréat. Le jeune homme, craignant la réaction de ses parents, décide de leur mentir sur les motifs de son échec. Abel accuse son professeur d’histoire, Jakab (Andras Rusznak), de l’avoir recalé à cause de la cocarde qu’il portait lors de l’examen. Symbole de la révolution de 1848-1849 contre les Habsbourg, commémorée chaque 15 mars, celle-ci est de plus en plus perçue comme un emblème nationaliste. Le dossier va remonter jusqu’au gouvernement et provoquer un scandale national.

L’Affaire Abel Trem a été récompensé par le grand prix Orizzonti du meilleur film à la Mostra de Venise 2023. Cette fiction est le premier film du cinéaste magyar Gabor Reisz à sortir en France, ce 27 mars, près de six mois après avoir été à l’affiche en Hongrie.

La presse hongroise a globalement applaudi le côté non manichéen du long-métrage et son habilité à explorer les fractures politiques et sociales de la Hongrie moderne, notamment depuis l’accession au pouvoir de Viktor Orban, en 2010.

“Pas une bataille du bien contre le mal”

L’Affaire Abel Trem “n’est pas un film antigouvernemental”, assure ainsi à ses lecteurs Valasz Online. Les arguments du site d’information de centre droit : “Le professeur libéral d’Abel n’est pas un saint” et Erika (Rebeka Hathazi), la journaliste qui donne un écho national à l’affaire, travaillant pour un quotidien proche du pouvoir, “n’est pas une méchante”.

“Je ne voulais pas [mettre en scène] une bataille du bien contre le mal” car “nous divisons constamment la société entre les bons et les méchants, et personne ne cherche à comprendre l’autre”, confirme le cinéaste, “déçu de la politique”, auprès de Valasz Online.

Si le film de Reisz “ne jette pas un pont entre la droite et la gauche”, il “ne creuse pas le fossé à la pelleteuse”, acquiesce l’hebdomadaire conservateur Mandiner. La Fidesz, le parti national-populiste du Premier ministre Viktor Orban, “en prend pour son grade”, mais le film “ne tombe pas dans l’exagération des œuvres résolument politiques” et “le mélange infantilisant digne des thrillers américains classiques”.

L’Affaire Abel Trem n’est “ni un constat, ni un diagnostic, ni un manifeste et encore moins un grotesque pamphlet politique”, relève 444.hu, de l’autre côté de l’échiquier politique. Le film “ne clame pas que nous vivons dans un enfer ni que Satan règne sur nous”, “ne condamne pas même s’il n’acquitte personne” et “raconte, sans spasmes et sans gommer de responsabilités, un pays coupé en deux”, développe le site d’opposition, très critique envers Viktor Orban.

Comprendre plutôt qu’accuser

Le cinéaste Gábor Reisz, 44 ans.
Le cinéaste Gábor Reisz, 44 ans. Photo Pal Czirjak/Memento distribution

Telex, pour sa part, rappelle que L’Affaire Abel Trem a été tourné “avec très peu de moyens” et “sans aides de l’Institut national du film”, le CNC magyar. L’œuvre “montre satiriquement notre société polarisée à l’extrême, mais essaie de comprendre au lieu de pointer du doigt”. “C’est un film politique, mais pas d’opposition. Énervé, mais pas accusateur”, analyse également le site.

Si certaines allusions ou références risquent d’être pointues pour le spectateur français, L’Affaire Abel Trem brosse le tableau aussi fin que saisissant d’une société où débattre, voire communiquer, est devenu compliqué, et où le moindre incident peut être monté en épingle, jusqu’à prendre des proportions absurdes.

Selon le webmagazine Femina, le film “projette ce que nous expérimentons chaque jour : nous existons côte à côte, mais dans des univers parallèles”. Le long-métrage explique “pourquoi les pro-Fidesz et les libéraux se détestent” et “montre, de façon douloureusement crédible, sans fioritures et avec une grande empathie, comment on vit ici dans les années 2020”, note Femina.

Des personnages très crédibles

Les divers personnages tendent un miroir fidèle à la Hongrie moderne, décrypte en écho le magazine Heti Vilaggazdasag (HVG). Il énumère entre autres Abel, “le lycéen content de rien mais pas révolté” ; son père Gyorgy (Istvan Znamenak), un “entrepreneur conservateur qui voit dans les libéraux Ferenc Gyurcsany [ex-Premier ministre détesté], George Soros [milliardaire, bête noire du pouvoir] et Bruxelles, la source de tous ses maux” ; le professeur Jakab, qui vitupère contre “Orban, le régime et l’abrutissement du peuple” ; le collègue de Gyorgy, qui rêve de partir s’installer au Danemark ; le directeur du lycée d’Abel, qui “n’assume pas le moindre conflit avec le système”…

Le film “montre brutalement que nous devrions tous nous sentir honteux d’avoir laissé notre pays devenir aussi invivable et névrosé”, tempête le critique de HVG, évoquant un long-métrage “bougrement triste”.


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