15 mars 2019. Cette date reste gravée dans la mémoire de milliers de jeunes. Pour la première fois, étudiants, lycéens et collégiens séchaient leur cours pour descendre dans les rues de plus de 2 000 villes à travers le monde, pour exiger des politiques de lutte contre le changement climatique. Cinq ans plus tard, où en sommes-nous ? Entre essoufflement et métamorphose du mouvement, retour avec ceux qui ont vécu cette journée de l’intérieur.

“Il n’y a pas de Planète B“, “Désolé Maman, je sèche comme la planète”, “Pas de nature, pas de futur”… De la place du Panthéon aux Invalides à Paris, ils étaient 40 000 jeunes (29 000 selon la préfecture) à marcher pour le climat. Mais ce n’était que la face émergée de l’iceberg. Ce vendredi 15 mars 2019, il y a tout pile cinq ans, 187 000 collégiens, lycéens et étudiants français avaient décidé de sécher les cours pour descendre dans la rue et participer à la première marche mondiale pour le climat.

En France, de Dijon à Nantes en passant par Marseille, mais aussi au-delà des frontières, de Bruxelles à New York, jusqu’à Kampala en Ouganda, toute une génération s’était donné rendez-vous pour cette grève mondiale organisée par “Fridays for future”, ce mouvement né dans la lignée des premières actions menées par l’adolescente suédoise Greta Thunberg en 2018. Interrogée le 11 mars dernier en marge d’une action à Stockholm, la militante, aujourd’hui âgée de 21 ans, regrette le fait que la jeunesse ayant grandi avec ce mouvement pour le climat ait été contrainte de “grandir beaucoup trop vite, pour prendre nos responsabilités et faire le ménage après l’ancienne génération”.

Une marche pour une prise de conscience mondiale

“Il ne faut pas oublier que pour beaucoup de jeunes, cette marche et celles qui ont suivi ont été leur première forme d’engagement”, explique auprès de Novethic Hugo Viel. En 2019, cet activiste était alors étudiant en école d’ingénieur lorsqu’il arrête les cours pour se lancer “dans cette aventure assez folle”. Déjà engagé au sein de Climates, une ONG internationale pour le climat, il décide alors d’y consacrer tout son temps. “Ça a été la période d’activisme la plus intense et la plus formatrice que j’ai eue”, se rappelle-t-il. Et c’est avec émotion qu’il se souvient avoir eu des frissons en entrant dans le cortège, rassemblé rue Soufflot, au pied du Panthéon et de se dire “waouh, on fait partie d’un truc énorme”. “A la fin de la journée, après la manifestation, on voyait les chiffres qui tombaient et on se disait que c’était la plus grande mobilisation climat qu’il n’y ait jamais eu dans le monde ce jour-là”.

Une sensation partagée par Léna Lazare, aujourd’hui porte-parole des Soulèvements de la Terre. “A Paris, nous avions du mal à réaliser que nous étions la ville la plus mobilisée du monde”, se remémore-t-elle. Âgée de 20 ans à l’époque, la jeune militante, qui avait elle-aussi mis en suspens ses études de physique et de mathématiques, a aussi été marquée par la diversité des profils réunis ce jour-là pour “le climat et le respect de l’Accord de Paris”. “Ces marches pour le climat ont eu pour le monde l’effet de placer le changement climatique plus haut dans l’agenda politique”, note auprès de Novethic, Joost de Moor, chercheur en Sciences politiques à Sciences Po. Mais pour les jeunes impliqués, “elles ont été des moments très significatifs pour exiger le changement et exprimer leur émotion, telles que la peur ou la colère, face à la crise climatique”, précise-t-il.

De l’activisme politique à la désobéissance civile

“Après ces marches, on s’attendait à une prise de conscience de l’urgence à agir chez les politiques, mais rien n’est venu, rien n’a été mis sur la table et nous nous sommes confrontés à une certaine indifférence de leur part”, nous confie amère Léna Lazare. Il y a eu des lendemains qui déchantent, des cortèges qui s’éclaircissent, et le Covid et ses confinements à répétition qui est  venu apporter le coup de grâce. “Le fait que les grèves mondiales pour le climat ne semblent pas avoir eu d’impact très concret, cela a pu peser sur les jeunes”, reconnaît Joost de Moor. “Mais il s’agit néanmoins d’un processus typique des mouvements sociaux : à un moment donné, la participation de masse chute, et les plus engagés restent“, observe ce chercheur.

“Ces marches ont été la porte d’entrée de la politisation pour certains jeunes”, constate auprès de Novethic Claire Lejeune. Pour cette marcheuse de la première heure devenue chercheuse, “on a aujourd’hui beaucoup de porte-paroles, d’incarnations du mouvement écologique qui sont issues de cette époque”. “On est désormais passé à la séquence suivante : après l’alerte, l’action, mais le sujet est beaucoup moins consensuel”, indique Hugo Viel, qui de son côté a (entre autres) pris la plume pour publier en 2023 un court essai “Climat : trop tard pour agir ?” et opté pour le plaidoyer. D’autres, ce sont orientés vers la désobéissance civile, les luttes locales voire parfois les actes de sabotages. Pour Lena Lazare, engagée sur le terrain auprès des Soulèvements de la Terre, “en agissant au local, on se rend compte qu’on peut avoir assez rapidement des victoires d’étapes et avancer très concrètement”.

Toutefois, quels que soient les modes d’actions choisis aujourd’hui, tous sont unanimes sur leur nécessaire complémentarité. “Entre ceux qui ont choisi des métiers où ils agissent au quotidien pour l’écologie, ceux qui militent sur le terrain et ceux qui ont opté pour le plaidoyer, tous sont indispensables”, argue Lena Lazare, qui n’oublie pas, cinq ans après à quel point, “cette marche inédite pour le climat a amené plein de jeunes à s’engager durablement”. Car “bien que les grèves n’ont pas atteint leurs objectifs, étant donné l’ampleur des enjeux, note Joost de Moor, cette mobilisation pourrait néanmoins s’avérer historiquement significative, un élément essentiel dans un processus de transition plus long”.

 

Il y a cinq ans, Novethic avait tendu le micro à ces marcheurs de la première heure. Un podcast à (re)découvrir ici

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