Tentatives de suicide: les assurances ne pourront plus refuser de couvrir les frais d’hospitalisation
En juin 2023, Juan avait décidé de dénoncer une situation révoltante. Suite à une tentative de suicide, sa fille de 15 ans a été hospitalisée neuf jours. Mauvaise surprise pour ce père de famille : son assurance a refusé de couvrir les frais d’hospitalisation. Une situation qui, dans un avenir proche, ne devrait plus arriver. Ce mercredi, une proposition de loi visant à interdire aux assurances d’exclure ce type de situation a été votée.
- Publié le 28-03-2024 à 06h22
En ce qui concerne les assurances hospitalisation, les tentatives de suicide sont généralement sujettes à une clause d’exclusion.
En juin 2023, dans L’Avenir, Juan, un père de famille confronté à la tentative de suicide de sa fille de 15 ans, a partagé comment il a dû faire face à une deuxième épreuve lorsque son assureur lui a annoncé qu’il ne serait pas remboursé des frais d’hospitalisation.
“Ma fille se sent doublement coupable, pour son geste mais aussi pour la charge financière qu’elle impose à sa famille”, nous avait-il expliqué à l’époque.
Avancée majeure ce mercredi matin
Cette situation révoltante, à laquelle de nombreux Belges sont confrontés, a été abordée lors des débats parlementaires à la Chambre.
Un pas important a été franchi ce mercredi matin lorsque la proposition de loi, déposée par la députée Els Van Hoof (CD&V) et cosignée par le député Patrick Prévot (PS), a été votée à l’unanimité par les membres de la Commission de l’Économie. Le texte peut désormais poursuivre son processus législatif et sera soumis au vote en séance plénière, dans deux semaines.
“Normalement, on ne légifère jamais sur des cas particuliers”, explique Patrick Prévot. “Mais ce témoignage était très révélateur des difficultés rencontrées par l’entourage d’une personne ayant fait une tentative de suicide. Il a permis de comprendre la double peine imposée à ces personnes, confrontées d’abord à une tentative de suicide, puis à des frais médicaux exorbitants non pris en charge par l’assurance en raison de leur exclusion du champ d’application.”
Ce que contient la proposition de loi
Ces situations sont loin d’être rares. Chaque année, on dénombre 20000 tentatives de suicide par an en Belgique. “Cela touche énormément de familles, qui sont confrontées à cette double peine”, poursuit Patrick Prévot. “Comme les pathologies liées à la santé mentale sont reconnues comme étant aussi importantes que les problèmes de santé physique, il semblait crucial de légiférer à ce sujet.”
La proposition de loi contient plusieurs éléments. Tout d’abord, elle prévoit une définition légale de la tentative de suicide. “Il était important de l’inclure dans le texte pour qu’elle soit reconnue par le secteur des assurances”, commente Patrick Prévot.
Ensuite, le texte amendé stipule qu’une compagnie ne pourra plus exclure les prestations résultant d’une tentative de suicide du preneur d’assurance.
Enfin, il sera interdit à l’assureur, lors de la conclusion d’un contrat d’assurance maladie non obligatoire, d’imposer une surprime ou de refuser l’assurance en raison d’une tentative de suicide antérieure.
De plus, si les personnes ayant fait une tentative de suicide et souhaitant souscrire une assurance doivent toujours en informer leur assureur, ce dernier ne pourra plus prendre en compte, un an après la tentative, cet événement dans le calcul de la prime. “C’est une sorte de droit à l’oubli que nous avons voulu instaurer”, conclut Patrick Prévot.
Majorité et opposition se sont mises au diapason
Depuis les bancs de l’opposition, le texte et ses amendements ont fait l’objet de discussions, mais ont finalement été soutenus, notamment par la N-VA ou encore par Les Engagés. Le parti centriste avait également introduit une proposition de loi visant le même objet. “Nous nous réjouissons de cette proposition et de ce débat”, a expliqué Georges Dallemagne devant les membres de la commission.
Même son de cloche dans la majorité où les libéraux ont également salué l’atterrissage du processus législatif. “Nous soutenons totalement ce texte qui nous semble important”, a expliqué e, commission la députée Florence Reuter (MR). “Une tentative de suicide ne vient pas par hasard. Elle fait souvent suite à d’autres problèmes de santé mentale et ne touche pas seulement les adultes. Il était important d’avoir une proposition équilibrée. ”
Définitivement voté dans 15 jours, le texte entrera en vigueur six mois après sa publication au moniteur. Et cette nouvelle loi s’appliquera tant aux nouveaux contrats qu’aux contrats existants.
Face à cette double peine, Juan avait décidé de parler
Face à un sentiment d’injustice, Juan avait exprimé toute son incompréhension dans les colonnes de L’Avenir. En mars 2023, sa fille, alors âgée de 15 ans, avait tenté de mettre fin à ses jours, nécessitant une hospitalisation de neuf jours à la Citadelle de Liège.
De retour de cette difficile épreuve, le père, vivant seul en région liégeoise, a dû faire face à une seconde déception.
Alors qu’il avait envoyé les documents à l’assurance hospitalisation liée à sa mutuelle, il reçoit un courrier lui indiquant que les frais d’hospitalisation ne seront pas pris en charge : “La raison médicale de l’hospitalisation fait partie de nos exclusions générales”, avait-il été mentionné de manière lacunaire dans le courrier adressé par l’organisme assureur.
Abasourdi, Juan a alors contacté le directeur opérationnel. “Il m’a confirmé que l’assurance hospitalisation liée à ma mutuelle, comme bon nombre d’autres, ne couvrait pas les frais d’hospitalisation dans le cas d’une tentative de suicide, même pour un mineur”, avait expliqué le Liégeois, qui par ailleurs n’avait que peu apprécié le ton de son interlocuteur. “Quand je lui ai dit que je ne comprenais pas, il a ricané en me disant que ce n’était pas de sa faute si je ne savais pas lire un contrat. Autant vous dire que ça m’a profondément heurté. Sur le fond comme sur la forme.”
Un mineur, responsable de ses actes ?
Si le père se concentrait avant tout sur le bien-être de sa fille, “quel qu’en soit le prix”, il s’interrogeait sur ce motif d’exclusion, repris dans bon nombre d’assurances hospitalisation, et ne comprenait pas comment un tel refus pouvait être justifié. “En ce qui concerne ma fille, elle a subi de la maltraitance physique et psychologique, dans le cadre privé, depuis qu’elle a 5 ans, une maltraitance qui mène à son mal-être aujourd’hui”, avait expliqué ce père. “Sa tentative de suicide est le résultat de ces années de souffrance. Elle n’est pas responsable de son état. Elle a toujours été très forte, elle a toujours tout encaissé, tout gardé pour elle. Mais là, elle a craqué. Pourquoi ne pourrait-elle pas être considérée comme un autre patient et bénéficier des mêmes aides financières ?”
Une situation revoltante qui, dans les prochains mois, ne devrait plus se reproduire. Contacté ce mercredi, Juan nous a fait part de sa satisfaction face aux avancées législatives. Après un examen en séance plénière, le texte voté sera soumis au Roi pour être sanctionné et promulgué. Et cette nouvelle loi entrera alors en vigueur six mois après sa publication au Moniteur belge.
G.B. avec Sabine Lourtie
À chaque assurance ses spécificités
L’assurance obligatoire, autrement dit le remboursement classique de la mutuelle, se fait normalement dans le cas d’une tentative de suicide. C’est au niveau de l’assurance hospitalisation, souscrite par huit millions de Belges, que la situation est plus complexe.
Cette exclusion est par exemple effective chez l’assureur privé DKV, spécialisé dans les soins de santé, qui a précisé, en mai 2023, que «la raison fondamentale de cette exclusion réside dans le fait qu’une tentative de suicide est considérée comme un acte intentionnel, et donc contraire aux principes d’assurances.»
Notons toutefois que certaines assurances hospitalisations liées à des mutuelles, comme Hospitalia Plus (Partenamut), Hospimut et Optio (Solidaris) ou encore Hospi solidaire (Mutualités chrétiennes, incluse dans l’assurance complémentaire des affiliés) couvrent toutefois les frais d’hospitalisation liés à une tentative de suicide.
Même si parfois une hospitalisation dans un service neuropsychiatrique peut être soumise à des limitations de remboursement. Rappelons enfin que face à un litige avec son assureur, il est toujours possible d’introduire une plainte ouverte auprès de l’ombudsman des assurances.
G.B. avec Anne Sandront