La jeune garde sur les dents
Auguste Escoffier, aussi appelé modestement "cuisinier des princes et prince des cuisiniers" jouit toujours, dans ces sweet sixties dorées, d’un prestige sans borne. Aux fourneaux des prestigieux restaurants, on n’ose pas trop bousculer l’ordre établi. Et les recettes du maître d'être copiées à l’infini. Les plats sont souvent cuits pendant des heures, noyés sous de la sauce riche. Beaucoup de garnitures, des chichis. Les marinades sont légion, la crème inévitable. Et pour le service, ils sont nombreux, et sont faits le plus souvent au plat.
Mais bientôt, la jeune garde sera dans les starting-blocks, comme se souvient Pierre Troisgros dans un superbe article de Libération daté de 2011 :"Mai 68 était passé par là et tout devait changer pour nous aussi, se rappelle le chef Pierre Troisgros, 84 ans. Les jeunes loups que nous étions avaient hâte de renverser le monde ancien. Ça commençait à frémir dans les cuisines." Et deux journalistes culinaires, Henri Gault et Christian Millau, de se faire plus acerbes dans leur magazine, et de chercher de nouvelles tables : "Le journaliste ventripotent qui trouvait tout bon disparaissait au profit de plumes plus critiques", se rappelle Pierre Troisgros, toujours à Libération.
Ils vont aller débusquer des nouveaux talents, notamment dans la région lyonnaise. Ben vite, en 1973, Gault et Millau baptisent la petite troupe. Ce sera "la nouvelle cuisine française". Autour de Paul Bocuse, médiatique figure de proue, sortent donc de l’ombre des hommes comme Alain Chapel, Paul Haeberlin, Alain Senderens, Michel Guérard, Roger Vergé, Jean et Pierre Troisgros… Au milieu des années 70, leur mouvement, amorcé une décennie plus tôt, va commencer à faire des vagues…