Le dictionnaire amoureux de la Moselle : DISTRIBUTEUR
Chaque matin, Nicolas Turon rend hommage à son département avec un texte drôle, tendre et complice, en forme de déclaration d’amour à la Moselle. Il choisit un emblème appartenant à l’histoire ou à l’actualité et le traite de manière décalée.
Le cube métallique se fait luciole, lueur dans la nuit, fanal pour solitude rurale.
On est rentré trop tard, on a oublié le pain, on ne sait pas quoi faire à manger, et puis c’est l’hiver, et puis on habite dans un coin paumé, parce qu’on a repris la baraque familiale, parce qu’on n’avait pas assez de budget pour la ville. Jadis, on trouvait un bistrot, un voisin pour ouvrir sa table et faire couarail. Aujourd’hui, on est accueilli par les bruits mécaniques d’un réfrigérateur domotique.
Face à nous, brille notre sauveur : le distributeur. Un bloc de métal, moitié boîte de Pandore, moitié corne d’abondance.
Sur ses flancs, un revêtement adhésif vante un terroir, un blaze italien, un champ de blé, une farine, un levain. Les communicants y sont allé à grand coups de mots-dièse et de placards bariolés qui représentent la campagne comme un décor de Jean-Pierre Jeunet, avec des couleurs flashy frottées au curry, des tomates bien rouges, des pains bien dorés, des agriculteurs aux dents fluorescentes, un peu de Gentleman Farmer, un peu d’Amélie Poulain.
Dans le ventre du précieux robot : des pizzas, des œufs, des produits de la ferme, du pain…
Ils fleurissent dans les campagnes mosellanes, les distributeurs automatiques qui réduisent les boulangeries, les pizzérias, les épiceries, les maraîchers, les cuisiniers au rang de métonymie. Une machine qui accouche de pitance, de quoi donner l’impression aux gamins que le pain vient du distributeur comme le lait vient de la brique. Le commerce de proximité d’aujourd’hui sacrifie à Orwell et Bradbury ; la mode de la machine trace son sillon en campagne...
