Dans notre boîte à livres cette semaine, la féerie noire de Lucy Maud Montgomery (1874-1942), romancière canadienne créatrice de la trilogie d’« Emily » – une œuvre touchée par la grâce, féministe avant l’heure. La guerre vécue dans sa chair, les mots pleins de boue et de mort de Velibor Colic, pour raconter son expérience en Bosnie dans l’armée croate. Le roman posthume de Gabriel Garcia Marquez (1927-2014) : les folies érotiques d’une femme, chaque 16 août, pour commémorer la mort de sa mère. Une histoire de la révolution, mais pas n’importe laquelle, celle de la pop, par l’historien berlinois Bodo Mrozek. Le roman allègre, enfin, de l’émancipation tardive d’une veuve algérienne de 85 ans, par Magyd Cherfi.
ROMAN. « Emily de New Moon », de Lucy Maud Montgomery
Lucy Maud Montgomery aimait les pieds de nez mais n’aurait pas goûté celui que lui fait la postérité, qui a transformé en écrivaine de bluettes pour la jeunesse l’écrivaine canadienne la plus lue au monde, féministe avant l’heure, qui écrivait pourtant pour les adultes. La beauté de ses romans-déflagrations bouscule jusqu’à la transe.
Orpheline de mère, l’écrivaine, dont les éditions Monsieur Toussaint Louverture publient une nouvelle traduction de la trilogie d’Emily, faisait de l’écriture un espace sacré. Elle s’inventait, à travers ces héroïnes, des sœurs dont elle partageait les « illuminations » – « le merveilleux moment où l’âme semble se départir de ses liens de chair pour bondir vers les étoiles ».
Dans Emily de New Moon (1923 pour la première publication), la petite fille passe de la maison de son père, qui est mort de la tuberculose, au domaine de New Moon, chez ses tantes. Elle entretient une « filiation avec les fées », mais c’est une féerie noire qui infuse ici. Si « l’illumination ne se déclench[e] jamais deux fois », l’écriture permet de réactiver l’extase. En quête d’une forme pour boire le réel qui déborde, la petite fille se sert des mots comme un prisme salvateur. Apprendre à écrire est d’abord apprendre à lire et parer aux défaillances du vécu. Faire résonner avec un tel fracas ces mots en fleurs, sous la plume d’une petite fille « prismatique, palpitante, insaisissable », dans le Canada du début du XXe siècle où les femmes n’avaient pas la parole… Là est peut-être la preuve que les fées, dont Emily a tant besoin, existent bel et bien. Ju. E.
RÉCIT. « Guerre et pluie », de Velibor Colic
En juin 2021, la souffrance infligée par une maladie auto-immune ramène Velibor Colic aux mois de 1992 où il combattit dans l’armée croate de Bosnie, avant de déserter et de s’exiler en France. Tout lui revient au présent, par brefs éclats, tantôt terribles, tantôt burlesques, parfois les deux à la fois.
Il vous reste 69.77% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.