“Enquête exclusive”, sur M6 : “À l’approche des JO, il faut éviter de donner à voir des enfants dans la rue”

Près de 3 000 mineurs dorment dehors en France, comme le rappelle un reportage édifiant diffusé ce dimanche 24 mars, sur M6. Éclairage par Maître Samy Djemaoun, avocat, qui se bat pour que l’État remplisse sa mission d’hébergement d’urgence.

Pour l’avocat Samy Djemaoun, « le but des sas régionaux, mis en place par une circulaire du 13 mars 2023, est avant tout de pousser les sans-abri hors de Paris. »

Pour l’avocat Samy Djemaoun, « le but des sas régionaux, mis en place par une circulaire du 13 mars 2023, est avant tout de pousser les sans-abri hors de Paris. » Capture d’écran/M6

Par Cécile Marchand Ménard

Publié le 24 mars 2024 à 20h00

Chaque soir, au pied de l’hôtel de ville de Paris, se forme le même attroupement. Sacs sous le bras, des dizaines de familles, avec parfois de très jeunes enfants, viennent solliciter un logement pour la nuit. Faute d’hébergement, elles s’installent quelques mètres plus loin, sur les trottoirs de la capitale. Cette image déchirante ouvre le reportage Enfants à la rue, enquête sur l’hiver de la honte, diffusé dimanche 24 mars dans Enquête exclusive, à 23h10 sur M6.

En France, près de 3 000 mineurs dorment ainsi dehors chaque soir, dont 450 uniquement à Paris. Au fil d’une enquête édifiante, Emmanuelle Rota documente les manquements de l’État, le durcissement des conditions d’accueil d’urgence et la diminution du nombre de places d’hébergement qui ont mené à cette situation. Périlleux exercice que de faire le tour de la question en cinquante-deux minutes, tant le problème apparaît complexe et mouvant au gré des décisions politiques. La réalisatrice évoque notamment la création par le ministère de l’Intérieur de « sas régionaux » qui ont accueilli des milliers de familles depuis avril 2023. Situés dans dix villes de France, ils seraient surtout un moyen d’éloigner les sans-abri de la capitale à l’approche des jeux Olympiques, qui se dérouleront du 26 juillet au 11 août. Une situation que dénonce Samy Djemaoun, avocat au barreau de Paris engagé dans la défense de familles en attente d’un hébergement d’urgence.

En quoi consistent les sas régionaux ?
Sur le papier, ces sas régionaux, mis en place par une circulaire du 13 mars 2023, sont dix lieux d’accueil temporaire [à Bordeaux, Lyon, Toulouse, Montgermont, etc., ndlr] où sont envoyées des personnes qui se trouvent à la rue à Paris et en Île-de-France. Si ces personnes étaient accueillies et prises en charge de manière pérenne et adaptée, si elles bénéficiaient d’un accompagnement social, je n’y serais pas opposé. Or il a été constaté que les personnes conduites dans ces sas ne sont pas toujours correctement informées au moment de leur départ. Une fois arrivées, leur situation administrative est examinée pendant trois semaines. Les préfets locaux profitent de ces examens pour édicter des obligations de quitter le territoire français (OQTF) et pour « dubliner » les demandeurs d’asile qui peuvent l’être [les renvoyer vers le pays européen par lequel ils ont transité, en application du règlement Dublin III, ndlr].

En quoi cette circulaire de mars 2023 est-elle problématique ?
Le Conseil d’État a jugé depuis 2013 que la situation administrative d’une personne est sans incidence sur son accès à l’hébergement d’urgence. Des personnes en situation irrégulière ne doivent pas être mises à la rue parce qu’elles n’ont demandé ni droit d’asile ni titre de séjour. Or cette circulaire laisse entendre que l’hébergement d’urgence serait conditionné à la régularité de la situation administrative des sans-abri. À sa lecture, on comprend que des personnes orientées dans un sas régional depuis l’Île-de-France, si elles ne demandent ni l’asile ni un titre de séjour, retournent à la rue en région.

L’État nous dit qu’il n’y a pas de places d’hébergement d’urgence. C’est pourtant ce même État qui diminue le budget alloué à ces hébergements.

La mise en place de cette politique a-t-elle un lien avec l’approche des jeux Olympiques ?
Le but de cette circulaire est avant tout de pousser les sans-abri hors de Paris. Une fois que le préfet d’Île-de-France a orienté ces personnes en sas, ce n’est plus son problème mais celui du préfet du Bas-Rhin, des Alpes-Maritimes, etc. À l’approche des jeux Olympiques, il faut préserver l’image de la France, pays des droits de l’Homme, et éviter de donner à voir au monde des enfants dans la rue.

Mais le durcissement de l’hébergement d’urgence a cours depuis des années. La situation, déjà préoccupante, s’est aggravée. Entre l’hiver 2022 et l’hiver 2023, des enfants de plus en plus jeunes se sont retrouvés à la rue. En novembre dernier, dans la même semaine, j’ai eu affaire à trois enfants de 7, 11 et 17 jours dont les familles ont été envoyées vers des sas. Cet hiver, j’ai aussi reçu un refus d’hébergement de la part du Samu social pour une mère seule et son bébé de 12 jours. L’État nous dit qu’il n’y a pas de places d’hébergement d’urgence, que les hôtels sociaux sont saturés. C’est pourtant ce même État qui diminue le budget alloué à ces hébergements, qui ferme des centres. C’est une situation complètement schizophrène. Certains politiques ont peur de créer un « appel d’air » en ouvrant des places d’hébergement. C’est tout le contraire. Lorsqu’on reconnaît les personnes dans leur dignité en leur donnant un toit, on leur permet de trouver un travail, d’avoir une vie normale, et de s’épanouir.

q Enquête exclusive : Enfants à la rue, enquête sur l’hiver de la honte, dimanche 24 mars à 23.10 sur M6.

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