Journal n°123

Le droit à la vérité en termes de réparation

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Doté d’un budget de près de 1,4 million de francs sur quatre ans, un projet dirigé par la professeure Sévane Garibian s’intéresse au droit à la vérité face à l’impunité des crimes de masse

Au vu de l’actualité mondiale, la justice transitionnelle est un domaine en plein essor. Regroupant l’ensemble des mécanismes mis en place au lendemain de violences extrêmes ou dans des situations de transition politique, ce nouveau type de justice voit aujourd’hui son enseignement et sa recherche prendre leur envol. La professeure Sévane Garibian a décroché un important subside du FNS pour mener un projet de recherche interdisciplinaire et innovant dans ce domaine qu’elle ambitionne de développer. Renversant les perspectives habituelles de travail, celui-ci s’intéresse aux contextes d’impunité. «Quand l’ensemble des responsables d’un crime de masse sont morts, l’impunité existe de facto, mais elle peut aussi faire suite à un négationnisme d’Etat comme en Turquie, être issue de lois d’amnistie comme pour les crimes du franquisme ou encore exister en raison d’un déni de justice comme au Guatemala où des procès contestés créent une situation d’impunité des responsables», explique Sévane Garibian.

Accès à l’information

Dans ce contexte, un nouveau droit de l’homme – le droit à la vérité – a vu le jour, suite à diverses revendications émanant de la société civile. Reconnu par l’ONU, il est associé à une obligation étatique d’enquêter au lendemain de violations graves des droits de l’homme. «Le droit à la vérité, qui n’est initialement prévu dans aucun instrument de droit international, est directement issu de la jurisprudence internationale et du travail des juges de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, une instance très militante, explique Sévane Garibian. L’Etat ne doit plus seulement châtier les responsables, mais permettre l’accès à l’information et aux archives, financer des exhumations pour retrouver les corps des disparus, etc.»

Avec les acteurs de terrain

Pour mener son travail, l’équipe se basera sur les traces laissées par les crimes de masse impunis: témoignages des survivants, archives disponibles et restes humains. «Ce dernier point soulève de nombreuses questions juridiques: comment rechercher les corps, qu’en faire, quel est leur statut juridique, à qui appartiennent-ils, comment les stocker, comment financer et gérer les banques ADN, etc.», souligne Sévane Garibian. Afin que ces travaux trouvent une utilité très concrète, un dialogue sera initié entre chercheurs et acteurs de terrain tels que les ONG, les associations de victimes ou les légistes. «Leur regard ainsi que leurs besoins nourriront notre réflexion, explique la juriste. En retour, nos analyses pourront enrichir leur pratique quotidienne.» Le projet a aussi pour ambition de mettre au jour de nouvelles conceptions du droit et de la justice face aux violences de masse. «Leurs effets sont multiples, profonds et transgénérationnels, ajoute la professeure. Ils dépassent la question des réparations financières. Il n’existe pas qu’une seule manière de réparer. Le droit à la vérité en est une parmi d’autres.» Ce projet bénéficie de prestigieux partenariats internationaux (notamment avec des programmes d’Oxford et Colombia University) et suisses (entre autres le Département fédéral des affaires étrangères, Swisspeace ou encore le CICR). Il est soutenu par des experts, tels que Adama Dieng, sous-secrétaire général de l’ONU et actuel conseiller spécial de l’ONU sur la prévention des génocides.

www.right-truth-impunity.ch

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