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Congé menstruel : égalitaire ou stigmatisant ?

Paris, le vendredi 29 mars 2024 – L’imagination a ses limites. Apparemment, celles de la douleur. Cette semaine, deux députés écologistes, Marie-Charlotte Garin et Sébastien Peytavie, ont proposé à leurs collègues de tester une machine japonaise qui reproduirait les douleurs causées par les menstruations. A en croire la vidéo qui a été l’objet de plus de 2,5 millions de vues, l’expérience a été édifiante pour les élus de la République qui ont accepté de s’y soumettre.

Beaucoup apparemment n’avaient pas « imaginé » que les dysménorrhées puissent être aussi invalidantes ; et ce alors que les quelques minutes de la durée de l’expérience ne permettent pas de rendre compte de la persistance de l’inconfort et de l’éventuelle fatigue. La séquence semble suggérer qu’en dépit des très importants progrès réalisés par la cause féministe, la « parole » des femmes doit encore s’appuyer sur des démonstrations très concrètes pour être simplement crue. Tandis que la « politique » n’a toujours pas la dimension universaliste qu’elle devrait avoir, quand on constate que rien apparemment ne remplace l’expérimentation dans sa chair pour construire une conviction. 

Attractivité ?

Ces sujets sont vieux comme le monde et comme les stratégies que les femmes tentent d’employer pour faire face aux quelques jours par mois qui pour certaines peuvent être très difficiles à surmonter. Ils sont également presque aussi anciens que les réflexions sur le congé menstruel qui remontent également à de longues années ! Ainsi, le Japon a été le premier pays en 1947 à mettre en place un tel dispositif. Cependant, le montant de la rémunération est laissé à la discrétion de l’employeur. Aussi, au pays du soleil levant, rares sont les femmes qui choisissent de demander l’accès à ces congés, tandis que des primes ont été instaurées pour celles qui acceptent d’y renoncer.

Voilà qui révèle combien le système peut tendre à se transformer en piège et signale les tensions qu’il peut créer au sein des équipes, notamment entre les femmes elles-mêmes. Bien sûr, les expérimentations qui ont été lancées ces dernières années dans de nombreux pays et notamment en France à l’initiative d’entreprises et de collectivités ont été plus positives. Les sociétés qui ont fait ce pas ont par exemple pu se féliciter de voir que ce congé menstruel améliorait leur attractivité auprès des jeunes femmes. Enfin, il n’a généralement pas été constaté « d’abus » dans l’utilisation de ce système. 

Un dispositif pour éviter la multiplication des consultations 

Ces résultats contrastés en ce qui concerne les plus anciennes expériences, plus positifs pour les nouvelles (mais qui peuvent être en parties biaisés par leur caractère volontariste) ont nourri les différentes attitudes des députés et de l’ensemble des observateurs à l’heure où cette semaine une nouvelle proposition de loi sur le sujet a été examinée (et rejetée !) en commission parlementaire, portée par Marie-Charlotte Garin et Sébastien Peytavie. Le texte prévoyait que sur prescription médicale un arrêt de maladie (sans délai de carence) puisse être octroyé aux femmes souffrant de dysménorrhée, pour un total de 13 jours par an au maximum. L’absence de délai de carence ne constitue pas (en théorie) une rupture du secret médical puisque d’autres pathologies font l’objet d’une telle exception (fausse couche, ALD…). Par ailleurs, la prescription médicale annuelle permet d’éviter la multiplication des consultations, chronophages (tant pour les femmes que pour les praticiens) et dispendieuses pour les caisses d’assurance maladie. 

Epidémiologie contre économie

Si les détails de ce dispositif paraissent couvrir un certain nombre des enjeux, différents écueils et questions demeurent. D’abord, évidemment les répercussions économiques. Selon les estimations, on considère que le coût pourrait être de 600 millions à un milliard d’euros par an, si la moitié des femmes utilisait les 13 jours de congés. « L’heure n’est pas à donner un milliard mais plutôt à en récupérer » explique un conseiller du gouvernement, alors que le groupe Renaissance s’est montré particulièrement gêné face à une proposition de loi dont il sait qu’elle suscite une large adhésion dans l’opinion publique (selon une enquête publiée en 2020 dans le British Medical Journal, 68 % des femmes sont favorables par exemple à la possibilité d’horaires plus flexibles pendant leurs règles). Bien sûr, derrière les considérations économiques se cachent des questions épidémiologiques.

L’évaluation est très compliquée. Les enquêtes d’opinion (sondage IPSOS de 2022) révèlent que 65 % des femmes indiquent avoir déjà rencontré des difficultés liées à leurs règles au travail, 35 % confirment que leurs douleurs menstruelles ont un impact négatif sur leur activité professionnelle et 44 % ont déjà manqué un jour en raison de leurs règles. De tels chiffres suggèrent que l’ampleur économique d’une telle mesure pourrait être très importante. Cependant, si nombreuses sont celles qui ont déjà vécu des épisodes douloureux, les règles systématiquement et profondément incapacitantes ne touchent heureusement qu’une faible proportion de femmes : « On sait que 10 % des femmes seraient concernées par des règles incapacitantes. Mais c’est plutôt entre 2 et 6 % qui ont recours aujourd’hui au congés menstruel » explique Sébastien Peytavie. 

Le retour de la femme fragile

Parallèlement à ces questions financières et épidémiologiques essentielles, certains s’interrogent sur la pertinence de ce congé menstruel pour les premières intéressées. D’abord, on notera incidemment, quel que soit le regard qu’on porte sur cette évolution, qu’alors qu’une grande partie du message féministe originel consistait à faire admettre que les femmes pouvaient réaliser exactement les mêmes tâches que les hommes, un des objectifs aujourd’hui (tout en conservant ce mantra) est de rendre le monde mieux adapté aux spécificités féminines. Cependant, d’aucuns s’inquiètent, par exemple au sein du groupe Osez le féminisme. Une telle mesure ne risque-t-elle pas de raviver les anciens préjugés sur la fragilité des femmes (fragilité qui a été longtemps l’excuse facile pour les écarter de bien des domaines) ?

Surtout, n’aura-t-elle pas un impact négatif sur l’accès à l’emploi des femmes, alors que déjà aujourd’hui le soupçon d’un désir de grossesse continue à susciter des réticences chez nombre d’employeurs potentiels. Les brimades, les pressions pour ne pas avoir recours aux congés menstruels sont en outre probablement à redouter, comme l’expriment plusieurs députés et associations féministes. Comment également, comme l’exemple du Japon l’illustre, ne pas craindre que la parfois fantasmée solidarité féminine ne soit annihilée par un dispositif qui sera sollicité systématiquement par certaines et jamais par d’autres tout simplement plus chanceuses mais qui pourrait également paraître comme plus courageuses ? Comme il est encore très difficile de faire reconnaître qu’être enceinte n’est pas une maladie, comment va-t-on pouvoir rappeler qu’être une femme n’est pas une maladie si ce congé est créé ? 

Normalisation de la douleur ou invitation à la consultation ? 

Au-delà de cette boutade facile, d’un point de vue médical également, le congé menstruel a ses ambivalences. Du côté d’Osez le Féminisme, Fabienne El Khoury note que si ce congé est une reconnaissance de l’existence de ces douleurs, elle peut également instiller un message contreproductif du caractère non pathologique de ces souffrances. Or dans la majorité des cas, quand elles sont systématiques et peu tolérables, elles sont le signe d’une maladie, en particulier de l’endométriose. Pour « Osez le Féminisme », il ne faut pas que s’impose un discours sous-jacent du type : « Ok ce n’est pas grave, vous pouvez êtes pliées en deux, mais restez chez vous ». Tous ne partagent pas ce point de vue : la visibilité créée par le congé menstruel pourrait au contraire inciter davantage à la consultation en dénormalisant ce qui dans certains inconscients demeure inhérent à la condition féminine. 

Egalité 

Au-delà de cette polémique, n’est-ce pas encore une énième proposition de loi ignorant les dispositifs déjà existants ? Les femmes souffrant de dysménorrhée peuvent en effet déjà bénéficier d’un arrêt travail dûment prescrit remarquent de nombreux professionnels. Néanmoins, le délai de carence dissuade encore une partie des patientes à choisir cette voie. S’il est vrai que de nombreuses conventions collectives compensent ce délai de carence, la création d’un congé menstruel institutionnalisé permettrait de rétablir une égalité entre les femmes. De la même manière, elle offrirait une réponse à celles qui ne peuvent pas aussi facilement aménager leurs horaires ou recourir au télétravail que d’autres.

D’une manière générale, si la pertinence du congé menstruel peut sans doute être discutée et que les considérations économiques ne doivent sans doute pas être éludées, ces réflexions ont le mérite de mettre à jour, qu’en 2024, même dans les pays occidentaux, si elles ne sont plus un tabou, les règles demeurent un obstacle. Et ce n’est peut-être pas une si complète contradiction que de vouloir que les femmes puissent accéder aux mêmes tâches que les hommes en bénéficiant tout en même temps du plus grand confort au moment où elles saignent (afin que ce détail ne soit plus une entrave). Cela implique par exemple un accès aux protections périodiques et à des sanitaires adaptés. Or, aujourd’hui, dans les collèges et les lycées le manque de propreté des sanitaires contribue encore à l’inconfort d’un trop grand nombre de jeunes filles. Voilà qui ne nécessiterait même pas une loi et un simulateur (quoique) pour être changé ! 


References

Yi-Xin Wang et coll. : « Menstrual cycle regularity and length across the reproductive lifespan and risk of premature mortality: prospective cohort study, BMJ 2020; 371 doi: https://doi.org/10.1136/bmj.m3464 (Published 30 September 2020)


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