Même si sa route n’a pas été le rectiligne boulevard annoncé, Jordan Joseph n’en demeure pas moins un cas unique dans le rugby français. Quel autre avant que lui peut en effet se targuer, à 23 ans seulement, de connaître sa sixième saison en Top 14 ? Alors que certains pointent à peine le bout de leur nez dans l’élite, lui a déjà une première vie professionnelle derrière lui.
Celle d’un crack, d’abord, révélé à la France du rugby en 2018 lorsque, pas encore majeur et doublement surclassé, il avait remporté avec les U20 la Coupe du monde Junior et été élu meilleur joueur du tournoi. Recruté dans la foulée par le Racing 92, rares sont alors ceux qui ne voyaient pas en lui un phénomène prêt à casser la barraque.
Une attente énorme que Yannick Nyanga, directeur sportif du Racing à l’époque, avait tenté de contenir en le couvant au maximum et en écartant toutes les sollicitations, notamment médiatiques.
« J’ai pu être bon à certains moments et nul à d’autres »
« Je suis passé par là, j’ai fait et on a fait des erreurs pour moi quand j’étais jeune et je ne voulais pas ça pour lui raconte l’ancien flanker international. Il était important qu’il reste concentré sur le terrain et j’ai voulu le faire comme ça avec lui. Aujourd’hui, c’est un garçon bien plus mature et je n’ai plus besoin de lui dire ce qu’il doit faire en dehors du rugby, seulement le conseiller et l’orienter sur le terrain. »
Pour en arriver là, Jordan Joseph a d’abord dû se casser les dents. Son immense puissance ne compensant pas tout à fait une formation encore à parfaire, l’ancien Massicois a d’abord joué avec les Ciel et Blanc, puis de moins en moins jusqu’à cette saison 2020-2021 déclic ou, comprenant qu’il ne serait qu’un joueur de complément dans les Hauts-de-Seine, il demanda à partir et obtint son prêt à la Section paloise en cours de championnat.
« On m’a alors demandé de progresser sur la rigueur, raconte l’intéressé. Il y a certains matchs où j’étais peut-être plus motivé que d’autres et cela a donné que j’ai pu être bon à certains moments et nul à d’autres. »
Un passage concluant à Pau
Parachuté dans le Béarn, Joseph a alors très vite retrouvé des couleurs sous la direction de son ancien sélectionneur chez les U20 Sébastien Piqueronies. Valorisé comme jamais pour sa capacité à enfoncer les défenses, le jeune homme a grandi à Pau, où il s’y est plu au point d’y rester deux ans et d’être aujourd’hui très regretté au Hameau.
Revenu sur la pointe des pieds dans le 92 cet été, le natif de Garges-lès-Gonesses a su se faire une place dans le XV de départ du nouveau manager Stuart Lancaster, comme en témoigne ses 13 feuilles de match dont 11 en tant que titulaire. Un nombre qui aurait été plus élevé sans une fracture à la côte et une autre au sternum qui lui ont fait rater quelques matchs. Était-il animé d’un sentiment de revanche avant d’attaquer son acte 2 au Racing ?
« Oui et non car le fait de ne pas jouer beaucoup au Racing à l’époque a aussi ouvert l’opportunité d’aller à Pau. Ces deux années à Pau m’ont fait énormément de bien. Je me suis amélioré mentalement là-bas. Je ne suis plus le même qu’il y a 4 ans et j’espère avoir évolué. »
« Beaucoup plus à l’écoute et dur avec lui »
Une certitude pour Yannick Nyanga, qui a toujours gardé un œil sur son parcours. « Il a pris en maturité. Jordan, c’est un pur produit de la région parisienne, il n’en était jamais sorti et cela lui a fait du bien de voir autre chose, un autre environnement et d’être confronté à un statut de jeune talent en province. Il y avait de l’attente et beaucoup d’engouement autour de lui. Quand on ressent cela, on place la barre très haut et on accepte moins le moyen. Je le trouve beaucoup plus dur avec lui, beaucoup plus à l’écoute aussi qu’il ne l’était avant de partir à Pau. »
De quoi lui permettre de raccrocher le wagon de ce destin doré qui s’est tant éloigné ? Peut-être, même si le chemin reste encore long. Derrière les indéboulonnables Grégory Alldritt, Charles Ollivon et François Cros, d’autres joueurs comme Alexandre Roumat ou Marko Gazzotti sont aujourd’hui devant lui aux yeux du sélectionneur Fabien Galthié.
Et quand on voit que le Parisien Sekou Macalou, qui a pourtant offert certaines garanties avec le Stade français ces dernières années, n’était pas dans le groupe France lors du dernier Tournoi des 6 Nations, on se dit que Jordan Joseph devra sacrément cravacher pour espérer voir prochainement la grande équipe de France.
L’équipe de France, un rêve encore lointain
« D’autres ont imaginé ça pour moi à mes débuts mais je n’ai jamais dit que je voulais être en équipe de France à 19 ans. On m’a peut-être vu trop haut. Moi, je suis mon rythme. Je n’aurai peut-être jamais de sélection en équipe de France mais je reste concentré sur mon club. »
« L’équipe de France est une conséquence et Jordan doit avoir des objectifs de comportement, abonde son chaperon Yannick Nyanga. S’il a la capacité d’être le meilleur sur le terrain, il doit l’être. Et s’il joue à son meilleur niveau de manière constante, il ne sera pas très loin de l’équipe de France. Cela passera par ses performances au Racing. S’il se retrouve face à des Alldritt, des Ollivon, des Cros, et qu’il est bon, il postulera alors naturellement à l’équipe de France. »
Une route qui ne se fera que pas à pas même si la tournée d’été du XV de France en Argentine sans les cadres ni les finalistes du Top 14, peut ouvrir une fenêtre à court terme. Le garçon ne sait que trop bien ce qu’il en coûte de brûler les étapes.
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