Les livres qui tentent de plonger dans l’œuvre de David Lynch sont légion. Mais ce David Lynch – Un Marginal à Hollywood, s’il ne donne pas toutes les clés de l’univers " lynchéen ", regorge d’explications, d’anecdotes, d’illustrations et de précisions au sujet de ces films où la musique occupe une place centrale.
C’est donc ce qu’il transparaît à travers les pages de ce livre très riche (édité par Huginn et Muninn) rédigé par Ian Nathan, sommité de la presse cinéma : chez David Lynch, la musique est partout, même sur les plateaux. D’ailleurs, Roland Kermarek, assistant de Lynch sur Lost highway, se souvient : " Il en met pour l’ambiance des scènes, sans que le son direct ne soit pour autant conservé après… Lorsqu’il voyait qu’à certains moments de la journée l’équipe commençait à faiblir, il mettait automatiquement le morceau de Rammstein. On a dû l’entendre au moins 500 fois, sans exagérer, pendant la totalité du tournage ! Ce morceau est pour moi vraiment lié à tout jamais à Lost Highway ! Et c’était amusant de voir comment l’équipe gagnait en puissance à écouter ce morceau ! Lors du tournage de la poursuite dans le parc, très tôt le matin, il faisait assez froid, David a demandé qu’on mette la musique, il s’est rapproché des haut-parleurs comme s’il s’agissait de grandes cheminées et s’est frotté les mains avec une mine réjouie ! C’est dire si cette musique était revivifiante ! " On mentionnera aussi que la bande-son du film, sans doute l’une des plus rock du septième art, accueille également Nine Inch Nails, Trent Reznor en solo, ou même Marilyn Manson.
Lynch et Badalamenti, inoxydables
Plus généralement, les films de Lynch sont aussi très fréquemment reliés au compositeur Angelo Badalamenti, décédé en 2022, mais de presque tous les films du maître par ailleurs (de Twin Peaks à Mulholland Drive, sans oublier Rabbit, The Stright Story et, bien entendu, Lost Highway). Patrizia Lombardo, qui avait donné une conférence sur la relation entre le réalisateur américain David Lynch et la musique à Montreux, en dit plus : " David Lynch commence à travailler avec Angelo Badalamenti sur Blue Velvet. Isabella Rossellini devait prendre des cours de chant pour interpréter la chanson titre éponyme du film. Le producteur a proposé de faire appel à l’un de ses amis, Angelo Badalamenti. Lynch a été très satisfait du résultat. Il a demandé par la suite à Badalamenti de composer un autre morceau pour le film Mysteries of Love car la production n’avait pas les moyens de payer les droits d’utilisation d’une chanson de This Mortal Coil. Enfin, David Lynch écoutait beaucoup Chostakovich quand il écrivait le scénario de Blue Velvet. Alors, il a demandé à Badalamenti de s’inspirer du compositeur russe pour écrire la musique du film.
La manière dont David Lynch collabore avec Badalamenti dit bien l’importance qu’ont la musique et le son aux yeux du réalisateur. Pour lui, la musique et le son ne se superposent pas, à l’image du beurre sur une tartine. La musique et le son se pensent et s’imaginent dès le début de l’écriture. Ils sont intimement liés au récit et à l’image. Lynch suggère une idée, une image à Badalamenti qui commence à composer la musique en réponse à l’idée. Nous avons dit plus tôt que le cinéma de Lynch était un cinéma de sensations mais c’est aussi et surtout un cinéma d’atmosphère. La musique et le son permettent de créer cette atmosphère. Lynch diffuse de la musique pendant le tournage de ses films de manière à plonger son équipe dans l’atmosphère qu’il souhaite installer. Le directeur de la photographie, les acteurs entendent la musique et comprennent comment la scène doit être filmée et jouée. "
Et Patrizia Lombardo va même plus loin, quand elle n’hésite pas à dire que la musique agit comme un personnage dans les films de Lynch. Carrément ! " Il n’y a qu’à voir, pour s’en convaincre, la scène qui ouvre Lost Highway : un long plan de 3 minutes 30 sur la route, dans la nuit, avec cette seule ligne jaune qui se détache et la chanson de David Bowie, à la fois déchaînée et désespérée. La musique, chez Lynch, est destinée à couper le souffle. Il affirme que la seule chose que le metteur en scène doive faire, c’est de capter cette perte de souffle que la musique engendre. La musique est donc le personnage principal. Dans Mulholland Drive, il y a un club étrange où le personnage principal, un saxophoniste, joue. Cette musique devient l’image même de la folie. Pour le réalisateur, le public doit être au final enveloppé par l’image comme il est enveloppé par la musique. "