Un bouleversement. Pour la première fois dans l'histoire de la Firme, les membres de la Couronne britannique partagent publiquement leurs problèmes de santé physique, en temps réel. La fin du Never complainnever explain ("ne jamais se plaindre, ne jamais expliquer"), qui dictait la conduite des Windsor ?

Sarah Ferguson, Charles III, Kate Middleton : trois mois d'annonces

Le 25 juin 2023, Sarah Ferguson, ancienne épouse du prince Andrew et belle-fille d'Élizabeth II, a été opérée d’une forme précoce de cancer du sein. Son porte-parole l’avait annoncée à la BBC. Ce dernier révélait sept mois plus tard à la presse britannique que la femme de 64 ans, qui venait de subir une masectomie, affrontait cette fois un cancer de la peau.

Quelques jours plus tard, le 5 février 2024, le roi Charles III révélé via un communiqué publié sur les réseaux sociaux officiels de la famille royale britannique être atteint d'une "forme de cancer", sans livrer davantage de détails, sauf un précision : il ne s'agit pas d'un cancer de la prostate. Le souverain "reste entièrement positif au sujet de son traitement et espère reprendre ses fonctions publiques dès que possible", indiquait le document officiel. Qui détaillait la manière dont sa maladie a été diagnostiquée : "Au cours de la récente intervention hospitalière du roi [fin janvier 2024, ndlr] pour une hypertrophie bénigne de la prostate, une nouvelle inquiétude distincte a émergé."

On peut affirmer que les détails concernant un chef d'État sont d'intérêt public. Mais d'un autre côté, jusqu'à quel point un personnage public a-t-il droit à la vie privée ?

Vidéo du jour

Un premier choc pour les Britanniques. Avant un second, plus brutal. Après plus de deux mois de retrait de la vie publique et de théories complotistes sur les réseaux sociaux quant aux causes de son absence, Kate Middleton apparaît face caméra, vendredi 22 mars 2024. La princesse de galle annonce être atteinte d'un cancer, diagnostiqué à la suite d'une chirurgie abdominale en janvier dernier, et avoir entamé une chimiothérapie préventive.

Dans cette allocution filmée, immédiatement virale, elle s'adresse directement aux Britanniques et internautes du monde entier, leur partageant notamment la manière dont elle a expliqué la situation à ses enfants : "Comme vous pouvez l’imaginer […] il nous faut du temps pour tout expliquer à George, Charlotte et Louis. Comme je leur ai dit, je vais bien, je me renforce chaque jour en me concentrant sur les choses qui m’aideront à guérir dans ma tête, mon corps et mon esprit."

La famille royale a longtemps caché ses problèmes de santé

Plusieurs experts de la Firme réagissent à cette transparence inédite sur des questions de santé de la famille royale, tentent de la décrypter. Le 29 février dernier, le correspondant royal Richard Fitzwilliams se questionne dans les colonnes du Time : "On peut affirmer que les détails concernant un chef d'État sont d'intérêt public. Mais d'un autre côté, jusqu'à quel point un personnage public a-t-il droit à la vie privée ?" 

Le Britannique rappelle qu’il y a plusieurs années, les membres de la famille royale préservaient à tout prix le secret quant à leurs problèmes de santé. George VI, père de la reine Elizabeth II décédée le 8 septembre 2022, a subi une ablation du poumon gauche en 1951. Jamais, le cancer n’aurait été mentionné. Dans une interview pour Marie Claire, Adélaïde de Clermont-Tonnerre, directrice de la rédaction de l'hebdomadaire spécialiste des têtes couronnées Point de Vue, précise que lorsque qu’Elizabeth II subissait des hospitalisations, "les Britanniques n'en savaient rien, ou alors, l'apprenaient rétrospectivement". 

Et si, à l'époque, les maladies graves étaient tues, les problèmes de santé minimes, eux, étaient révélés par les tabloïds. Time relate qu’en 1982, Elizabeth II s'est rendue à l’hôpital après car elle avait failli s’étouffer avec une arête de poisson. La reine avait d’ailleurs ironisé à propos de cet événement auprès des médias : "Seul le saumon a récupéré son dû."

Cette histoire de "l'arête de poisson est très révélatrice, car les familles avaient tendance à être plus ouvertes sur les cas mineurs", analyse dans le Time Gareth Russell, historien nord-irlandais. L'auteur - entre autres - de Le palais : des Tudors aux Windsor, 500 ans d'histoire à Hampton Court assure que "la Grande-Bretagne était une société beaucoup plus réservée au XXe siècle, et dans les familles de tout le pays et de tout l'éventail social, le cancer ou les maladies mortelles n'étaient souvent pas abordés".

À l'ère des réseaux sociaux, communiquer pour stopper les rumeurs ?

Pour Clare McHugh, historienne de la famille royale et auteure, la transparence de Kate Middleton et du prince William est liée à leur génération. "Ils n'ont donc aucune honte à parler ouvertement des difficultés qu'ils rencontrent", constate-t-elle. Surtout à l’ère d’Internet et des informations qui circulent vite - aussi vite que les fausses informations ? - sur les réseaux sociaux.

Même son de cloche du côté de Sharon Carpenter, correspondante royale, qui affirme dans une interview pour E ! News qu’il y aurait "beaucoup de spéculations si rien n'était dit par le palais". En témoigne les nombreuses théories complotistes dont a été victime Kate Middleton avant qu'elle ne prenne la parole sur son cancer.

Pour autant, Kathryn Lamontagne, maître de conférences en sciences sociales à l'université de Boston, nuance auprès du Time - à noter que l’article a été publié avant l’annonce du cancer de la princesse - et estime que les éléments partagés par la Couronne restent maigres. D'ailleurs, directement après l'annonce de la maladie de l'épouse du prince William, le palais Royal s’est empressé de préciser qu’aucune autre donnée médicale ne sera partagé.

Cette danse entre l'information privée et l'information publique touche à la limite de la confidentialité médicale et de la demande de détails de la part du public.

"Cette danse entre l'information privée et l'information publique touche à la limite de la confidentialité médicale et de la demande de détails de la part du public, mais elle suit toujours le modèle qui consiste à donner très peu de détails médicaux d'un certain type au public", développe Kathryn Lamontagne. 

Pour Adelaïde de Clermont-Tonnerre, cette transparence sur des questions médicales est sans aucun doute "très novatrice" voire "révolutionnaire", dans l'histoire de la Couronne, et même au-delà : "Une telle démarche n'a jamais été entreprise (...) par aucun Chef d'état du monde occidental. Et encore moins par des dirigeants d'états non-démocratiques, où le chef est présenté comme tout puissant, toujours fort."

Une famille royale plus proche des Britanniques

Sharon Carpenter observe que cette communication plus ouverte permet aux Britanniques de s'identifier davantage aux membres de la famille royale. "Nous les considérons souvent comme des êtres d'acier que rien n'affecte (…) qui ne se laissent pas guider par leurs émotions et qui ne semblent jamais malades. Je pense que le simple fait de savoir qu'ils le sont est un très bon moyen d'encourager les autres à prendre soin de leur propre santé", partage l'experte royale à E ! News.

Le fils d'Elizabeth II couronné en mai dernier a d'ailleurs même affirmé dans son communiqué avoir "choisi de partager son diagnostic pour éviter les spéculations et dans l’espoir que cela puisse aider le public à comprendre tous ceux qui, dans le monde, sont touchés par le cancer." Sarah Ferguson, dont le cancer du sein a été révélé après une mammographie de routine, avait elle expliqué que son histoire soulignait "l'importance de la surveillance régulière".

Après les révélations du cancer de Kate Middleton, les organisations caritatives de lutte contre le cancer et le système public de santé NHS (pour "National Health Service", qui satisfait moins d'un Anglais sur quatre selon l'étude annuelle de l'institut British Social Attitudes, paru fin mars 2024) ont enregistré une nette augmentation du nombre de visiteurs en ligne, relate The Sun le 25 mars 2024. Le professeur Peter Johnson, responsable de la lutte contre le cancer au sein du NHS England, a déclaré que sa décision courageuse de s'exprimer sauvera des vies. Il note que la page web du NHS consacrée aux symptômes du cancer a été consultée en moyenne une fois toutes les trois secondes, dans les heures suivant l'annonce de Kate Middleton. 4 171 recherches ont été enregistrées entre 18 et 21 heures, soit, plus du double que le nombre habituel. 

De son côté, Cancer Research UK a recensé plus de 200 000 consultations à ses pages d'information le vendredi de l'allocution, soit une augmentation de 15 % par rapport à la fréquentation normale. Michelle Mitchell, directrice générale de l'association, rappelle que "repérer un cancer à un stade précoce signifie que le traitement a plus de chances de réussir" et qu’il est donc important de régulièrement consulter. 

Un changement amorcé par les Sussex, sur la santé mentale

Si la santé physique, et malheureusement, le cancer est aujourd’hui au cœur de l’actualité de la famille royale, la santé mentale a déjà été évoquée, et à plusieurs reprises, par Harry et Meghan. Le couple, qui a apporté son soutien au roi Charles III et à Kate Middleton, a notamment abordé dans son Harry et Meghan (Netflix, 2023) la période compliquée traversée par l’ancienne actrice.

Lorsqu'elle vivait en Angleterre, la mère d'Archie et de Lilibet a été la cible d'attaques racistes dans la presse britannique. Dans le film, elle se souvient avoir eu à cette période des pensées suicidaires : "Je me suis dit : 'Ça suffit toute cette souffrance, il faut que ça cesse Meghan'. (...) Je me disais tout ça s’arrêterait si je n’étais plus là." Et d'ajouter, larmes aux yeux : "Le plus effrayant, c’est que c’était très clair dans ma tête." Harry confesse lui avoir été "anéanti" lorsqu'il a réalisé, tard, que son épouse était "si mal". Un témoignage qui a sans doute montrer l'exemple au reste de la famille royale.

Une parole publique aussi rare pour la Couronne qu'importante pour la manière dont elle peut résonner chez des millions de personnes, ainsi sensibilisées.