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La Cour des comptes salue les progrès de l’INA

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 19 mars 2024 - 1048 mots

La Cour se félicite de la nouvelle gestion des achats et des notes de taxi mais s’inquiète pour le modèle économique de l’Institut national de l’audiovisuel.

Serge Gainsbourg brûle un billet de 500 francs sur le plateau de l'émission « 7 sur 7 » en mars 1984. © Archives INA / TF1
Serge Gainsbourg brûle un billet de 500 francs sur le plateau de l'émission « 7 sur 7 » en mars 1984.
© Archives INA / TF1

Paris. Une fois n’est pas coutume, la Cour des comptes n’a pas été avare de compliments dans son récent rapport portant sur la gestion de l’Institut national de l’audiovisuel (INA). Il est possible que cette inhabituelle bienveillance soit à mettre en relation avec ses précédents rapports, lesquels, c’est à noter, ont été suivis d’effets. C’est en effet dans leur audit de la période 2007-2014 que les magistrats de la Cour avaient relevé des irrégularités dans le choix – sans appel d’offres – de prestataires par le dirigeant de l’INA à l’époque, Mathieu Gallet. L’affaire, qui a éclaté lorsque Mathieu Gallet présidait Radio-France, avait conduit à sa démission. En 2021, la cour d’appel de Paris l’avait finalement condamné à 30 000 euros d’amende, allégeant la condamnation en première instance qui était d’un an de prison avec sursis et de 20 000 euros d’amende. Agnès Saal, qui l’avait remplacé à la tête de l’INA, avait dû démissionner un an plus tard après qu’une lettre anonyme (mais pas un rapport de la Cour) eut révélé le montant de ses notes de taxi.

Laurent Vallet. © INA
Laurent Vallet.
© INA

Habilement, Laurent Vallet (ancien élève de l’ENA et diplômé d’HEC, une double compétence précieuse pour un Epic), qui avait remplacé Agnès Saal, a mis en haut de sa pile de dossiers à traiter un renforcement des procédures d’appel d’offres (cela, pour Mathieu Gallet) et une mise à la diète des notes de frais et de taxi du comité de direction (cela, pour Agnès Saal). Sensibles à cette reconnaissance de leur travail, les sages de la rue Cambon manifestent une inattendue mansuétude à l’égard de l’INA et de son président. « En quelques années, et alors que la situation précédant l’arrivée de Laurent Vallet n’était pas satisfaisante, l’INA a donc su mettre en place une organisation bien structurée et professionnelle, visant notamment à diminuer fortement le risque d’exécution de ses marchés », peut-on ainsi lire dans le chapitre consacré aux achats. On y apprend qu’un nouveau règlement a été mis en place, que cinq acheteurs ont été embauchés et que les bilans annuels sont très complets. S’ensuit une description très détaillée (moins fréquente habituellement) des procédures d’achat, avant de conclure que le taux de couverture des achats par un marché public est passé de 69 % en 2016 (mais curieusement on ne connaît pas ce taux pour la période Mathieu Gallet) à 82 % en 2022.

Après avoir consacré trois pages aux achats (47 M€), le rapport détaille sur cinq pages la question des notes de frais et de taxi (1 M€). Il relève que les frais de taxi de Laurent Vallet en 2022 s’élèvent à 1 033 euros et que ses frais de déplacement et de restaurant se montent à 11 892 euros. Le nouveau P.-D.G. a par ailleurs annoncé la fin progressive des voitures de fonction, y compris pour lui.

Vente d’archives audiovisuelles

Emportés dans leur élan de bienveillance, les magistrats portent un regard indulgent sur le chiffre d’affaires (CA) de l’INA. Celui-ci est principalement constitué de la commercialisation des archives audiovisuelles de l’ex-ORTF et des chaînes publiques (« Apostrophes » de Bernard Pivot, « 7 sur 7 » d’Anne Sinclair [voir ill.], le feuilleton « Les Saintes Chéries », mais aussi des films), soit sous une forme brute, soit sous une forme éditorialisée, c’est-à-dire en produisant un contenu nourri d’archives. En 2022, ce CA s’est élevé à 33,8 millions d’euros, un chiffre en hausse de 19 % par rapport à 2015, soit une moyenne annuelle de 2,7 %. Un taux effectivement positif pour des biens de grande consommation matures (type automobile ou alimentation), mais très faible pour le numérique. Par comparaison, le CA en France de la vidéo à la demande (VOD) a été multiplié par cinq au cours de la même période. La plate-forme grand public de l’INA, dénommée « Madelen », compte seulement 55 000 abonnés malgré un abonnement modique (2,99 € par mois). Il y a une marge de progression.

Une marge de progression ? Pas nécessairement. À partir de là, les magistrats rechaussent leurs lunettes habituelles et s’inquiètent des « points de fragilité ». Anticipant que la matière première de l’INA (la production de la télévision) va aller en diminuant du fait de la montée en puissance des plate-formes, les magistrats indiquent que l’INA doit trouver des relais de croissance. Plus facile à dire qu’à faire ! Et ce n’est pas du côté de ses activités de formation permanente (pour les employés des groupes audiovisuels publics) ou de recherche, dont le CA, stagnant ou en baisse, était de 6,7 millions d’euros en 2022, que l’INA va trouver ces relais de croissance.

Ceci alors que ses charges augmentent. L’INA emploie en effet plus de 1 000 personnes, pas uniquement affectées à son activité commerciale. L’Epic (établissement public à caractère industriel et commercial) assume des tâches de service public telles que le dépôt légal des publications sur support audiovisuel comme des sites Web. Ses charges s’élèvent à 147 millions d’euros en 2022. S’il parvient à maintenir un résultat d’exploitation positif (300 000 € en 2022), c’est grâce à sa subvention publique qui se monte à 92 millions d’euros, soit 62 % de ses charges.

Des économies sont possibles, notamment en supprimant les délégations régionales et en continuant à rationaliser le parc immobilier, mais elles restent marginales en regard du modèle d’affaires déclinant de l’INA. Curieusement, la Cour n’a pas demandé de comptabilité analytique par grande activité de l’INA et elle ne s’est pas interrogée sur la charge de travail et la pertinence du nombre de ses salariés, 1 000 (sauf pour mentionner qu’ils ne travaillent que 33 h 50 par semaine).

La Cour des comptes ne s’est évidemment pas prononcée sur le projet de fusion entre la radio et l’audiovisuel public remis récemment sur la table par la ministre de la Culture, Rachida Dati. En juin 2023, le Sénat avait adopté un projet de loi préconisant le regroupement de France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’INA. La précédente ministre Rima Abdul Malak s’était opposée à cette initiative. Mais en février dernier, Rachida Dati a publiquement annoncé qu’elle allait reprendre cette proposition de loi des sénateurs. Si la ministre va jusqu’au bout, le destin de l’Institut national de l’audiovisuel va prendre un tout autre chemin.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°629 du 15 mars 2024, avec le titre suivant : La Cour des comptes salue les progrès de l’INA

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