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Grand Corps Malade à son zénith

Grand Corps Malade, concert au Zenith de Rouen, le 08 février 2024
Grand Corps Malade au Zenith de Rouen, le 8 février 2024. © Manuel Lagos Cid
Benjamin Locoge

C’est l’une des personnalités préférées des Français. De sa voix grave et touchante, il raconte aussi 
bien les failles d’un pays que son amour pour sa femme et ses enfants. Nous l’avons rejoint en tournée.

Il règne un calme olympien dans les coulisses du Zénith de Rouen, où Grand Corps Malade chante, ce 8 février. Dans la salle, 5 000 personnes l’attendent patiemment. Un public de plus en plus nombreux depuis l’immense succès de « Mesdames », son précédent disque, fait de duos avec des femmes. Comme tous les soirs de show, Fabien Marsaud dîne avec son équipe technique. Pas de pression avant de monter sur scène, pas de course contre la montre.

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Depuis ses débuts, en 2003, Grand Corps Malade a tout connu : les bars, les scènes minuscules, l’Olympia puis les Zénith. Il est devenu une valeur sûre de la scène française, bienveillant mais capable de balancer quelques vérités à la face de la société, comme le prouve « Reflets », son huitième album studio, sorti en octobre. Mais, entre l’enregistrement de ce dernier et les premières dates de sa tournée, il a eu le temps de tourner son troisième film en tant que réalisateur, « Monsieur Aznavour », un biopic consacré à Charles Aznavour, l’homme qui l’adouba dans le métier. Et c’est un Grand Corps Malade bien en verve que l’on retrouve quelques jours plus tard dans son bureau parisien. Prêt à se raconter.

Paris Match. “Mesdames”, votre précédent disque, a été le plus gros succès de votre carrière. Comment expliquez-vous ce raz de marée ?
Grand Corps Malade.
C’était un album de duos avec uniquement des femmes, presque un projet entre parenthèses que je n’avais pas envisagé de défendre sur scène. Pour la première fois de ma ­carrière, j’ai eu des tubes qui passaient à la radio. Au final, j’ai vendu plus de 650 000 albums, on a monté une tournée, fait 40 Zénith et fini à Bercy. C’était dingue !

Vous êtes-vous immédiatement mis à l’écriture de “Reflets” ?
Non, parce qu’entre deux j’ai fait un album en trio avec mes potes Gaël Faye et Ben Mazué. Après j’ai été pris par la préparation de mon film consacré à Charles Aznavour, mais j’avais une petite fenêtre avant le tournage pour un album. Heureusement que j’écris régulièrement, j’avais pas mal de matière.

Comment expliquez-vous ce besoin d’être aussi actif ?
Je n’ai pas l’impression de travailler. Écrire des albums, des films, être en tournée, c’est beaucoup de boulot, et aussi tellement de plaisir. C’est un privilège absolu de vivre de sa passion.

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Grand Corps Malade, concert au Zenith de Rouen, le 08 février 2024
Grand Corps Malade avec Jean-Rachid, son producteur (à g.), et Nikola qui assure les premières parties de sa tournée. Paris Match / © Manuel Lagos Cid

Ressentez-vous une forme de culpabilité vis-à-vis du succès ?
Non, parce que j’ai le sentiment d’apporter quelque chose aux gens. C’est pas comme si j’étais tout seul dans ma bulle à kiffer et à gagner mon oseille. Grâce aux concerts, je suis dans mon rôle ­d’artiste en amenant un peu de joie, d’émotion et de réflexion. Bien sûr qu’il existe un décalage entre le fait de prendre du plaisir quand d’autres triment autant… mais je ne le vis pas mal.

Dans “J’ai vu de la lumière”, vous évoquez la lumière qui a lancé votre carrière, mais aussi cette lumière qui est votre femme. Sans votre ­carrière, vous ne l’auriez pas rencontrée ?
Les deux événements sont chronologiquement très proches. J’ai rencontré ma femme juste avant de rencontrer le succès. C’est toujours sympa de se dire qu’elle était là avant, c’est bon pour l’ego. [Il rit.] Ça a été un vrai virage dans ma vie, et une période assez lumineuse effectivement.

Dans ce texte, on vous sent nostalgique de ces années…
Je suis nostalgique par nature. De mon adolescence, du sport, des ambiances d’équipe au basket, des colos, du début du slam. Quand je n’avais rien à gagner, rien à perdre, que mon nom était inconnu et qu’il fallait tout prouver sur scène par mon texte, et non par mon nom. C’est une nostalgie hyper nourrissante. Je ne suis pas dans le “c’était mieux avant”. C’est quelque chose que l’on retrouve dans l’ensemble de mes albums.

Au point d’être aussi nostalgique du futur lorsque vous évoquez vos enfants dans “Retiens les rêves”. “Je veux bien devenir adulte, si c’est pour être papa”, chantez-vous.
Devenir adulte, c’est gérer les galères au quotidien, non ? Avoir des enfants, ce n’était pas un objectif de vie pour moi. Ils sont arrivés au bon moment, au bon âge. Et là, je me suis pris une claque en découvrant l’amour que cela représentait. Forcément quand ils partiront, je serai nostalgique du moment où ils étaient à la maison. Au fond, j’essaie juste de dire qu’il faut profiter, car ces instants ne sont pas éternels.

Au quotidien ma vie n’est pas facile, je vis avec un handicap important. Mon corps me pèse sur scène

Grand Corps Malade

L’autre fierté, c’est votre public qui vous suit depuis vingt ans. Vous qualifiez votre relation de “bizarre”. Pourquoi ?
Parce que mon public me connaît bien plus que moi je le connais. Je me livre tellement depuis vingt ans… Il m’a vu grandir, vieillir, avoir des enfants. Il a vu mon histoire d’amour. Même si je revendique une forme de pudeur et que je ne livre rien de très perso.

Vous écrivez aussi beaucoup de textes sociaux ou politiques. Pour mieux vous faire l’écho des préoccupations des Français ?
Je fais les choses à mon échelle, je n’ai pas la prétention d’avoir un poids politique. Prendre des positions n’engage que moi et ceux qui vont les entendre. Et tant mieux si cela fait réfléchir certains. J’ai écrit “C’est aujourd’hui que ça se passe” sur l’urgence écologique. Mais j’ai bien conscience que l’environnement, quand tu n’arrives pas à remplir ton frigidaire, ça reste secondaire. Tout comme rouler en voiture électrique ou ne plus prendre l’avion, ce sont des problématiques de gens qui peuvent se le permettre… Mais moi oui, j’ai envie qu’on se bouge maintenant.

Le rôle de l’artiste est-il d’agiter les consciences ?
Je ne sais pas… Dans les années 1990, il y avait d’autres drames qui se déroulaient à deux rues de chez toi, mais tu le savais moins. Maintenant on me demande : “Pourquoi tu n’as pas réagi sur tel ou tel événement ?” Il faut que tu aies une émotion de façade pour dire aux autres : “Regardez, moi aussi je suis touché.” Après les attentats du 7 octobre en Israël, je n’ai pris aucune position, je n’ai rien posté. J’avais envie d’être tranquille avec ma propre émotion.

Mais vous chantez sur scène “Roméo kiffe Juliette”, l’histoire d’amour impossible entre un homme musulman et une femme juive.
Je la chante depuis longtemps. J’ai la chance de n’être ni juif ni arabe. Pour mes potes artistes qui sont juifs ou arabes, ça a été ­terrible, ils se sont fait insulter des deux côtés. Moi, personne ne m’a rien demandé, donc je me suis senti libre de ne pas commenter. De toute façon, à quoi mon petit post servirait dans ce drame international ? Donc, j’en parle avec mes proches, avec mes enfants, et voilà.

Grand Corps Malade, concert au Zenith de Rouen, le 08 février 2024
Grand Corps Malade en concert au Zenith de Rouen, le 8 février 2024. © Manuel Lagos Cid

Vous croyez que “Le jour d’après” est possible ?
Dans ce morceau, j’évoque trois histoires dures, mais optimistes et positives. La dernière phrase s’adresse “à ceux dont l’avenir est parfois en sursis, ceux qui voient le jour d’après et ceux qui n’ont pas réussi”. Pour dire que je n’oublie pas ceux qui n’ont pas eu cette chance-là, parce que le courage parfois ne suffit pas pour s’en sortir. Ces gens que je nomme les “guerriers imposés, héros obligés”, c’est aussi ceux que j’ai connus quand j’étais en centre de rééducation. Ils étaient des héros parce qu’ils avaient un courage bien supérieur à la moyenne, se battant pour faire les gestes les plus élémentaires.

Cela peut-il s’appliquer à vous ? “J’ai épuisé mon quota de larmes”, dites-vous à propos de votre accident.
Après l’accident, j’ai passé une année un peu plus compliquée que les autres. Donc j’ai dû pleurer un peu plus que les autres, même en étant quelqu’un qui ne pleure pas beaucoup. Donc, oui, j’ai l’impression d’avoir un peu utilisé mon quota. Depuis, je pense avoir un courage un peu au-dessus de la moyenne. Parce qu’au quotidien ma vie n’est pas facile, je vis avec un handicap important. Je ne peux pas marcher longtemps, les gestes les plus élémentaires ne sont pas évidents. Mon corps me pèse sur scène, où j’aimerais pouvoir sauter un peu partout, comme mes potes. Quand tu es atteint comme ça par la vie, tu développes un courage un peu supérieur parce que tu n’as pas le choix. Mais je ne veux pas que cela se voie sur scène, je ne veux pas que les gens y pensent. Ils savent que j’ai une béquille, mais ils sont passés à autre chose. Et c’est tant mieux.

Vous n’avez jamais pensé quitter l’étiquette Grand Corps Malade pour n’être que Fabien Marsaud ?
Non. Grand Corps Malade, c’est mon blaze. Au-delà du handicap, il est totalement lié à mon activité artistique depuis le début. Quand, en 2003 pour la première fois, je suis allé slamer dans un bar, je m’appelais déjà comme ça. Mes films, je les ai réalisés sous le nom de Grand Corps Malade. Et puis, je l’aime bien ce nom, même s’il est chelou. [Il rit.]

Dans “Autoreflet”, il y a cette phrase : “J’aime le stress de mes concerts, pas le strass de mes confrères.” À qui pensiez-vous ?
Je ne crache surtout pas dans la soupe. J’adore mon métier, j’ai rencontré des gens géniaux, talentueux, sympas, mais il y a aussi des gens dans lesquels je ne me retrouve pas. Plein d’événements où je ne me suis pas senti à ma place. Les César, par exemple. J’ai été nommé pour mes deux films, c’était un peu surréaliste d’être là, il y avait beaucoup de strass et de paillettes, un monde dans lequel je ne me reconnais pas. On se la raconte quand même beaucoup dans le cinéma. Donc, oui, je préfère le stress de mes concerts au strass de mes confrères, mais pas tous mes confrères, je précise. [Il rit.]

Son « Monsieur Aznavour » bientôt au cinéma

Que pouvez-vous dire de votre prochain film, consacré à Aznavour ?
C’est avant tout un hommage, on raconte son parcours fou et hors du commun, de son enfance jusqu’au moment où il bascule vers le succès. On a tenu à montrer sa volonté, sa soif d’y arriver, malgré le fait qu’il était apatride, que ses parents ne parlaient pas français, qu’il ait vécu son enfance dans une misère absolue, qu’il était petit, pas très beau et qu’il avait une voix voilée. Il n’avait rien pour devenir la légende, le monstre absolu de la chanson française. Il y est parvenu parce qu’il avait du talent, mais aussi parce qu’il a énormément travaillé. Il aurait pu abandonner mille fois, mais non !

Comment expliquez-vous la longévité de sa carrière ?
Il est toujours resté ouvert et curieux. Dès les années 1960, il prend Johnny sous son aile, alors que les yé-yé démarrent tout juste. Il disait : “Si on ne s’intéresse pas à la nouveauté, on est mort.” Avec les Éditions Raoul Breton, c’est le premier qui a donné un prix à MC Solaar, en 1995, à un moment où le rap n’existait pas dans les grands médias. Quand je l’ai rencontré pour la première fois, on s’est retrouvés dans son bureau rue Ampère. Il venait de sortir un album, à plus de 80 ans. Et derrière lui il avait une petite sacoche. Dont il a sorti des feuilles sur lesquelles il avait écrit plein de ­nouvelles chansons. Tout de suite, j’ai compris le personnage : il était toujours dans le coup d’après.

Vous aviez évoqué le projet avec lui ?
Bien sûr, il l’avait même adoubé. À l’origine, on devait tourner en 2018. Mais il est décédé le jour où nous avions rendez-vous avec une boîte de production pour financer le projet. Donc on a laissé passer du temps…

Une fois la tournée terminée, vous partirez vous isoler une année au Québec. Il est temps de faire une pause ?
Oh ! Je ne vais pas m’isoler, j’ai juste envie de me poser un an en famille pour vivre autre chose. Mais ça ne m’empêchera pas de revenir, j’ai déjà des concerts prévus à l’automne, j’assurerai la promotion du film… Comme Charles, j’ai encore plein de projets.

«Reflets» (Anouche Records/Sony), en tournée actuellement, du 22 au 24 mars et les 25 et 26novembre à Paris (Zénith).
«Reflets» (Anouche Records/Sony), en tournée actuellement, du 22 au 24 mars et les 25 et 26novembre à Paris (Zénith). Paris Match / © DR

Tahar Rahim, un Aznavour plus vrai que nature

«On n’avait pas pensé à lui au début… sourit Grand Corps Malade. Mais il s’est imposé comme une évidence. Quand on l’a contacté, il nous a répondu: “Vous êtes fous.” Il a laissé passer trois jours, puis il nous a rappelés. Il avait regardé des images de Charles, des interviews, des extraits de scène. Et il nous a dit: “Allez, on y va.” Il a fait un travail de dingue sur la gestuelle et sur l’élocution. Pendant un an, il nous a parlé en Aznavour, de la préparation jusqu’à la fin du tournage, mais aussi pendant les pauses déjeuner, pendant qu’il engueulait ses enfants! Il vivait en étant Charles Aznavour… Il a pris des cours de chant, de piano, c’est lui qui chante sur les prises, même si la magie du cinéma permet de retrouver le timbre de Charles. J’espère qu’on ira présenter le film à Cannes, Charles aurait eu 100 ans le 22 mai, pendant le Festival.»

« Monsieur Aznavour», sortie le 23 octobre 2024.

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