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Européennes 2024 : l’Europe sociale peut-elle sortir du silence ?

TRIBUNE. Pour Nicolas Bourgeois, co-fondateur du think-tank Néos et responsable national de la thématique « travail et emploi » pour Renaissance, il est plus que nécessaire de donner une place à l’Europe sociale dans les débats pour les Européennes de 2024.

Nicolas Bourgeois
Le drapeau de l'Union européenne.
Le drapeau de l'Union européenne. SIPA / © Adil Benayache

Existe-t-il encore un peu de bande passante, dans la campagne pour les élections européennes de juin prochain, pour débattre des enjeux liés à « l’Europe sociale » ? Rien n’est moins évident, compte tenu de la focalisation des opinions publiques sur les enjeux liés à l’invasion de l'Ukraine et, dans une moindre mesure, sur les sujets liés à l’immigration. Pourtant, depuis les précédentes élections européennes de 2019, beaucoup a été fait en matière de politiques sociales par l’Union, bien qu’il s’agisse d’une compétence qui reste l’apanage des États membres. Le traité de Lisbonne de 2007 précise, en effet, que les actions de l’Europe en la matière ne peuvent être que des mesures d’encouragement et de coordination qui revêtent un caractère complémentaire : « elles servent à renforcer la coopération […] et non pas à harmoniser des systèmes nationaux. »

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Concrètement, du fait des impacts sociaux du Covid-19 et de la persistance d’un chômage structurel autour de 6 %, l’Europe a beaucoup légiféré ces 5 dernières années sur le travail et l’emploi : directive sur les travailleurs détachés évitant une concurrence sociale au sein de l’Union, directive sur le « salaire minimum équitable » permettant un niveau de vie décent dans chaque pays, meilleure transparence sur les salaires dans les entreprises de plus de 100 salariés, renforcement de la protection des 28 millions de travailleurs des plateformes – comme Uber ou Deliveroo – obtenu ces derniers jours au travers d’une présomption de salariat.

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L’Europe sociale doit aussi être une ambition pour bâtir une communauté de travailleurs européens solidaires. Les propositions formulées ces dernières semaines par le think-tank Néos, qui rassemble des professionnels des ressources humaines, pourraient répondre à cette ambition. Parmi elles : la protection des emplois de l’Union face à l’exploitation de la main-d’œuvre dans les pays en développement ainsi que la mise en place d’une véritable stratégie ciblée sur les compétences.

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Protéger nos emplois face au dumping social pratiqués par les pays hors de l’Union

L’Europe doit mieux protéger ses artisans, commerçants et entreprises de toute taille contre les importations de produits dont la fabrication a été générée grâce à l’exploitation d’une main-d’œuvre à très faible coût dans des pays hors de l’Union.

De manière très volontariste, il serait possible de mettre en place un dispositif proche de celui en vigueur sur le carbone afin de réguler les déséquilibres existants sur le coût du travail. Cette idée a déjà franchi la porte du Parlement européen lorsque deux eurodéputés, Valérie HAYER et José Manuel FERNANDES l’ont évoqué, en mai 2023, en vue d’augmenter les ressources de l’Union. Il faut maintenant oser porter cette proposition devant les citoyens Européens. Précisément, il s’agirait de labelliser les entreprises situées hors de l’Union qui respectent – ou tendent à respecter – les standards européens de rémunération et de protection des salariés.

Ceci, en prenant en compte les différents niveaux de vie, l’immense hétérogénéité des dispositifs sociaux et fiscaux ainsi que la diversité des politiques de ressources humaines de chacune entreprise implantées dans les pays à faibles coûts salariaux.

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L’Europe peut être une « puissance sociale », capable d’imposer ses valeurs de respect de la dignité humaine au travail

Une fois labellisée, l’entreprise qui pratique une gestion sociale de qualité connaîtrait alors les mêmes conditions d’accès au marché intérieur de l’Union qu’aujourd’hui. Seraient labellisées les entreprises qui rattraperaient rapidement leur retard vis-à-vis de nos normes sociales en vigueur en Europe, avec par exemple trois ou quatre niveaux de pratiques. Ces niveaux seraient définis par l’Union en lien avec l’Organisation internationale du travail. Et il serait possible de tester ce mécanisme, certes complexe mais impérieux, dans les secteurs de production les plus exposés, comme le textile et la confection, la fabrication de produits électroniques et de jouets, voire l’extraction de minerais ou l’agro-industrie.

Ainsi, les entreprises hors de l’Union qui continueraient de pratiquer une forme de « dumping social », en exploitant leurs salariés, seraient pénalisées au travers d’une taxe additionnelle qui s’appliquerait progressivement sur quatre ans. Ce mécanisme d’équité sociale aux frontières de l’Union donnerait une illustration concrète que l’Europe peut être une « puissance sociale », capable d’imposer ses valeurs de respect de la dignité humaine au travail et de promouvoir un capitalisme responsable vis-à-vis du reste du monde.

Faire mieux pour garantir l’employabilité des 220 millions d’actifs européens

Nombre de secteurs en croissance témoignent, dans tous les pays de l’Union européenne, de difficultés de recrutement. C’est en partie lié à l’attractivité des métiers concernés, aux parcours professionnels insuffisamment structurés, à des enjeux de rémunération parfois, mais le plus souvent c’est la conséquence directe d’un mauvais ajustement entre l’offre et la demande en compétences. En d’autres termes, il s’agit simplement d’un déficit d’anticipation par les acteurs privés et publics. Disposer d’une juste vision qualitative et quantitative des compétences nécessaires demain permet, ensuite, d’organiser les formations initiales, d’installer les infrastructures de mobilité et d’initier d’éventuels dispositifs de reconversion. Les entreprises n’ont pas toujours intérêt à partager leurs prévisions de charge, qui relève le plus souvent du secret industriel.

L’Europe sociale n’est enfin plus un mythe et il faut s’en réjouir. Il est nécessaire de lui offrir une place dans la campagne qui s’annonce

Il s’agirait de rendre obligatoire les démarches d’anticipation des compétences au sein des entreprises de plus de 500 salariés dans tous les pays de l’Union. Par ailleurs, une démarche collective d’anticipation des compétences à trois, cinq ans doit être conduite au niveau européen et relayée par les Régions et les bassins d’emploi. L’Union pourrait intervenir en mettant en place un dispositif d’appui technique et pourrait coordonner la démarche pour les activités considérées comme prioritaires au regard de leur croissance potentielle : biotechnologies, data et IA ou énergie, par exemple. L’Europe sociale n’est enfin plus un mythe et il faut s’en réjouir. Il est nécessaire, en revanche, de lui donner plus de corps et de lui offrir une place dans la campagne qui s’annonce.

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