Vers un RN majoritaire ? Emmanuel Macron, kamikaze de sa propre majorité<!-- --> | Atlantico.fr
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Marine Le Pen et Emmanuel Macron après des entretiens au palais présidentiel de l'Élysée, à Paris, le 21 juin 2022, deux jours après les élections législatives en France.
Marine Le Pen et Emmanuel Macron après des entretiens au palais présidentiel de l'Élysée, à Paris, le 21 juin 2022, deux jours après les élections législatives en France.
©Ludovic MARIN / POOL / AFP

Sondage gardé secret

Un sondage secret commandé par LR montre pour la première fois que le RN pourrait obtenir une majorité à l’Assemblée nationale en cas de dissolution.

Xavier Dupuy

Xavier Dupuy

Xavier Dupuy est politiologue, spécialiste de l'opinion. Il s'exprime sous pseudonyme.

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Atlantico : La direction du parti Les Républicains a commandé un sondage sur les intentions de vote des Français en cas d’élections législatives anticipées. Selon des informations de L’Obs, le RN obtiendrait une majorité à l'Assemblée nationale en cas de dissolution. En tant qu’expert de la carte électorale française, que vous inspire ce sondage ? Comment ces sondages-là sont-ils réalisés, circonscription par circonscription ou projection nationale ?

Xavier Dupuy : Même si je n'ai pas eu connaissance de la méthodologie utilisée sur ce sondage, la fiabilité est sérieuse puisqu'il a été réalisé sur 4.000 personnes. L'Institut a dû opérer via un système de redressement en fonction de la typologie de chacune des circonscriptions. Cela donne une indication mais doit être tempéré car pour certaines circonscriptions il peut très bien y avoir une personnalité très implantée qui fait que cela peut contredire la tendance générale qui est ensuite appliquée à chacune des circonscriptions.

Ce sondage a été réalisé pendant le débat sur le projet de loi immigration. Il y avait une polarisation de l'opinion publique sur une thématique qui était plutôt porteuse pour le Rassemblement national.

L’autre élément important concerne l'offre politique qui a été proposée à gauche pour ce sondage. Est-ce que des candidats de la NUPES, de l’union de la gauche ont été proposés au premier tour ou est-ce que dans chacune des circonscriptions, des candidats ont été proposés avec une étiquette politique des différentes formations du PS ? Cela a une incidence sur le nombre de candidats de gauche présents au deuxième tour.

La sensibilité du scrutin majoritaire est extrême. Une variation, ne serait-ce que de deux ou trois points d'une formation politique au premier tour peut, sur un second tour, avoir une incidence sur 50, 60 ou 70 circonscriptions.

Quelles seraient vos propres projections en cas de dissolution ?

Le fait indéniable du sondage est la relative stabilité des députés LR du fait qu'une majorité sont élus dans des territoires ruraux avec une implantation personnelle assez forte, comme Pierre-Henri Dumont, dans le Pas-de-Calais. Il a été élu face au Rassemblement national et il dispose d’une implantation personnelle assez forte dans une terre où le rapport de force ne serait pas forcément favorable à la droite. La situation est similaire pour Aurélien Pradié dans le Lot, qui peut très bien se retrouver au deuxième tour face à la gauche et être réélu comme Marc Le Fur dans les Côtes-d’Armor qui fait qu’il est possible de penser à une certaine stabilité pour les Républicains. Il y a aussi une forte stabilité pour le groupe Liot, dont beaucoup de députés disposent d’une forte implantation personnelle comme Jean-Luc Warsmann, comme Monsieur Saint-Huile. Ils n’ont peut-être pas tous la même sensibilité politique à l'intérieur du groupe, comme Charles de Courson. Ces circonscriptions ne correspondent pas forcément à ce que donnerait la projection si jamais on devait appliquer le sondage et qu'ensuite on réalise la projection, il y aurait un biais, notamment sur des députés Liot et LR. Une légère érosion des députés issus de ces deux groupes est assez probable.

En revanche, la variation peut être très forte pour les députés issus de la majorité présidentielle et sur les députés de gauche, notamment LFI et Verts, qui sont pour beaucoup tributaires de l'offre politique de premier tour.

Si la gauche partait unie et en cas de poussée du Rassemblement national, les premières victimes seraient plutôt les députés issus d'Europe Ecologie les Verts et de La France insoumise, plutôt que les députés socialistes ou communistes.

Marine Le Pen a-t-elle définitivement réussi son pari de normalisation et de crédibilisation du RN ?

Cette normalisation était déjà perceptible lors du deuxième tour des élections législatives de 2022. A l’époque, il y avait quand même un certain nombre de situations où les candidats issus des formations politiques dites modérées avaient été battus face à des candidats du Rassemblement national, car les reports de voix ne se sont pas faits comme lors des précédentes législatives, avec notamment le front républicain.

Dès 2022, ce changement de comportement du corps électoral a déjà été opéré. Il ne peut que se confirmer ou même s’amplifier.

En quoi l’effondrement de Renaissance et des partis de la majorité présidentielle est-il imputable aux choix tactiques spécifiquement faits par Emmanuel Macron, comme la focalisation exclusive sur le RN dans la campagne des européennes, l’instrumentalisation de la guerre en Ukraine ou de questions sociétales (comme la constitutionnalisation de l’IVG, l’aide à mourir, Aya Nakamura…) ?

Par rapport au sondage dont nous avons eu connaissance, la majorité présidentielle étant le parti actuellement au pouvoir, la première conséquence est que la sanction s'applique bien évidemment au pouvoir en place.

Cette raison peut être accentuée par une perturbation des électeurs ou du fait du contexte avec des déclarations du président de la République qui ont pu surprendre notamment sur l'Ukraine. Cela a pu dérouter toujours un peu plus les électeurs. Mais la conséquence première est que, comme cette majorité est au pouvoir, s'il y a une volonté de sanctionner chez les Français, c'est forcément elle qui va d’abord en payer le prix.

Il y a aussi un rapport de force qu’il ne faut pas oublier. Lors des dernières élections législatives, la majorité présidentielle partait au premier tour avec un socle qui n'était pas très élevé aux élections législatives. La majorité présidentielle était autour de 25 à 26 %, ce qui reste un socle assez faible.

Donc s’il y a un vote sanction dans le cas d'une dissolution, le bloc de la majorité présidentielle se situe autour de 20 ou même un peu en dessous. Avec un scrutin majoritaire au deuxième tour derrière, cela va aboutir à une déroute assurée.

Est-ce que ce qui a marché en 2022 avec la guerre en Ukraine peut encore marcher aujourd’hui ? Les calendriers des vacances de Pâques puis des ponts de mai ne vont-ils pas éloigner les gens de la politique et ne vont-ils pas rendre plus compliquée la volonté de rattraper le retard face au RN ?

Le contexte n'est pas le même. En pleine élection présidentielle en 2022, la Russie a envahi l'Ukraine. Le changement et le choc ont pu s'opérer dans le courant du mois de février de 2022, alors que les électeurs étaient convoqués aux urnes au mois d'avril. Aujourd'hui, cela fait plus de deux ans que cette guerre est engagée. Le fait de remettre ce sujet en avant durant cette campagne des européennes n'aura pas la même incidence sur le corps électoral. Depuis le changement de gouvernement au mois de janvier, la polarisation concerne dorénavant le Rassemblement national et la guerre en Ukraine.

Or, dans tous les sondages d'opinion, il n’y a pas de changement particulier dans les intentions de vote pour les européennes. Le RN conserve toujours 10 à 13 points d'avance sur la liste de la majorité présidentielle qui a l’air de se stabiliser à 17 - 18 %, ce qui représente un score assez faible pour une majorité. Les Français ne sont pas encore polarisés sur cette élection.

Le positionnement du président de la République a-t-il permis d'enrayer la baisse de la majorité présidentielle ? Il n’est pas possible de dire que cela a consolidé la liste de la majorité présidentielle. En prenant la moyenne des sondages de septembre, la liste était autour de 21 % d’intentions de vote, puis à 19 % en janvier et actuellement le recul se poursuit avec 18 %.

Le Modem et Horizons seraient-ils, selon vous, autant emportés dans la chute du parti macroniste en cas de dissolution ?

Ils seraient effectivement bel et bien emportés car ils sont au cœur de la majorité présidentielle. Donc en général, les électeurs ne font pas vraiment de différence de sensibilité.

Quelles sont les autres victimes collatérales de cette envolée du RN (LR, Reconquête…) et que dire de l’état de la gauche ?

Par rapport aux élections européennes, Il est clair que la polarisation sur le Rassemblement national, voulue par l'exécutif, a eu une première incidence. Le vote d'opposition au président de la République va se concentrer sur la liste du Rassemblement national.

Une des premières victimes de cette stratégie est en premier lieu Reconquête qui est sur une tendance baissière au profit du Rassemblement national. Cela s’explique d’abord par la volonté des électeurs d’exprimer un vote d'opposition à Emmanuel Macron. Comme Emmanuel Macron a polarisé sur le RN, il y a des répercussions. Cette incidence va également se retrouver dans l'électorat des Républicains. Cette polarisation fait que cela peut se faire au détriment d'abord de Reconquête puis des Républicains. A gauche, je ne pense pas que cela aura d'incidence sur les élections européennes.

Emmanuel Macron ne fragilise-t-il pas sa propre majorité dans le cadre de la campagne des européennes ? Aussi bien par ses choix politiques et via ses récentes déclarations au regard du sondage qui place le RN en très bonne position en cas de dissolution ?

Le président de la République fait peser un risque incontestable sur sa majorité mais Emmanuel Macron a également besoin de mobiliser son socle électoral. Il est le seul à permettre cette mobilisation. La tête de liste, Valérie Hayer, n'a pas le potentiel et la capacité pour mobiliser autant que le chef de l'Etat.

Emmanuel Macron n'a pas d'autre choix que d'apparaître en première ligne. Les événements qui vont se dérouler d’ici au mois de juin peuvent lui donner tort, soit lui donner raison.

En revanche, il est clair que les électeurs qui s'apprêtent à voter pour la liste de la majorité présidentielle sont les électeurs qui se reconnaissent en Emmanuel Macron ou qui soutiennent sa politique.

Un autre élément va aussi avoir un rôle décisif : le taux de participation. Les différentes études réalisées permettent d'en savoir plus sur la sociologie des votants pour la majorité présidentielle. Chez les moins de 35 ans, la majorité présidentielle a des scores extrêmement faibles. La moyenne des différents sondages sur les moins de 35 ans démontre que la majorité présidentielle a du mal à atteindre les 10 %. Elle polarise essentiellement un électorat plus âgé, et notamment les plus de 70 ans, la dernière catégorie de votants où la majorité présidentielle arrive en tête. Le contexte de la guerre en Ukraine peut donc jouer un rôle très important sur l’électorat.

Le Rassemblement national devance la majorité présidentielle dans toutes les autres tranches d'âge. Il y a des écarts très importants avec la majorité présidentielle (qui est réduite à moins de 10 % chez les moins de 35 ans). Son électorat n'est donc plus du tout homogène. 

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