L'école m'a sauvée

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Quel chemin parcouru depuis sa cité HLM de Colombes jusqu’au JT de LCI. C’est émue et comme un cri que Rebecca Fitoussi nous avait confié « Moi, l’école m’a sauvée » lors du lancement de la Flamme Marie Claire l’année dernière. Elle nous a touchées et donné envie de faire témoigner d’autres femmes, ici en France, enseignante, photoreporter, chef d’entreprise qui disent devoir leur réussite à l’école de la République. A Marie Claire, nous savons que l’éducation est la meilleure arme d’émancipation. Alors cette année encore, une bougie rose vendue 7 € chez L’Occitane permettra de scolariser des petites
filles démunies au Cambodge, d’émanciper des mères au Burkina Faso qui pourront offrir une éducation à leurs enfants, et de donner confiance en elles à des jeunes filles françaises pour que toutes soient les bâtisseuses de leur vie.

« Moi, l’école m’a sauvée » : lors de la présentation de La Flamme Marie Claire en 2016, Rebecca Fitoussi, journaliste à LCI et marraine de l’opération, avait eu ce cri du cœur d’ancienne élève qui a grandi dans une cité des Hauts-de-Seine. Nous avions alors aussi pensé à Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre de l’Education nationale, élevée dans une cité d’Amiens. Ces parcours brillants sont-ils voués à rester exceptionnels ?

Ancienne proviseure du lycée Paul-Valéry, à Paris, Claudine Vuong se souvient avec émotion d’une élève chinoise âgée de 16 ans. « On l’avait inscrite dans une classe d’accueil pour nonfrancophones. Deux ans plus tard, elle décrochait le bac S avec mention très bien. La dernière fois que je l’ai vue, elle était en quatrième année de médecine. » Professeure d’histoire, géographie et enseignement civique à Toulouse, Fatiha Boudjahlat (1) a, elle aussi, réussi grâce à un travail acharné. « Ma mère, avec ses huit enfants, était agent d’entretien. J’ai découvert l’existence des filières d’excellence la veille de la clôture des inscriptions. Quand j’étais en classe préparatoire de lettres, ma famille pensait que j’étais en BTS. Mais les réussites exceptionnelles – Vallaud-Belkacem, Dati… – cachent les succès moins spectaculaires d’enfants d’immigrés anonymes. J’en suis un bon exemple. En revanche, je constate que l’école joue de plus en plus difficilement ce rôle d’ascenseur social. »

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Si elle sait parfaitement fabriquer une élite d’élèves brillants, l’école se montre en effet incapable de diminuer le nombre de jeunes en échec scolaire, massivement issus de milieux défavorisés. Comme ces 150 000 qui, chaque année, sortent du système scolaire sans diplôme ni formation. « L’école est le lieu de toutes les attentes. On nous demande du sur-mesure. Mais comment est-ce possible avec trente élèves par classe au collège, trente-cinq en seconde ? a expliqué au Sénat (2) Christine Guimonnet, de l’Association des professeurs d’histoire- géographie. On se plaint du niveau des élèves, mais le nombre d’heures diminue en français, en mathématiques mathématiques, on fractionne les matières, on supprime les réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté. L’école doit transmettre un bagage culturel que des familles ne peuvent pas toujours donner. »

Un carton de livres

Pour que l’école aide les élèves des milieux populaires à réussir, au-delà des classiques questions sur les moyens, encore faut-il que des enseignants motivés repèrent ceux qui ont du potentiel, et jouent auprès d’eux un rôle de mentor. « Dans tout succès il y a souvent une rencontre avec un ou plusieurs professeurs formidables », constate la psychanalyste Fatma Bouvet de la Maisonneuve (3). Qui n’a jamais progressé grâce à un enseignant à l’écoute ? « En classe préparatoire, j’avais plus de deux cents ouvrages à lire, mais il n’y en avait aucun chez moi. Ma prof de français était venue dans mon quartier difficile, avec un carton rempli de tous les livres requis », se souvient Fatiha Boudjahlat.

Et parce que l’école, reflet de la société, ne peut s’attaquer aux inégalités scolaires qu’avec le soutien des familles, enseignants et élèves ont besoin d’au moins un parent motivé. Leila, une des patientes de Fatma Bouvet de la Maisonneuve, a grandi dans la banlieue lyonnaise, au sein d’une fratrie de sept enfants. « Si elle a réussi ses études, tout comme ses frères et sœurs, c’est grâce à la détermination de sa mère. Tous les jours, à l’heure des devoirs, elle s’asseyait avec ses enfants autour de la table, avec un même rituel : règle en main, revêtue d’un costume gris pour jouer les institutrices sévères, elle, l’illettrée, examinait les cahiers. Tous les mots soulignés et les commentaires en rouge signifiaient forcément devoir mal fait. » Aujourd’hui, Leila est ingénieure.

Rebecca Fitoussi, journaliste et présentatrice des journaux du Grand Soir, sur LCI

rebecca fitoussi

Fille d’un professeur de maths – dont la famille a dû repartir de zéro en émigrant de Tunisie en France – et d’une mère secrétaire, j’ai grandi dans une cité HLM de Colombes. Mon père était heureux sur les champs de courses et aux tables de poker, où il perdait beaucoup d’argent. Il a arrêté depuis. Nous étions donc surendettés, mais la terreur de la misère et aussi la foi de mes parents en l’école républicaine ont été les puissants moteurs de mon succès scolaire.

Je m’étais donné une mission: m’en sortir avec ma famille grâce à l’école.

Ma mère me répétait : “Ma fille, si tu veux réussir, travaille bien à l’école et soit autonome financièrement.” Tous les soirs, on me demandait, avec bienveillance mais fermeté: “Alors, tu as eu des notes aujourd’hui ? 19 ? Pourquoi pas 20 ?” Je m’étais donné une mission: m’en sortir avec ma famille grâce à l’école. Si je n’étais pas première en classe, je me battais pour l’être le trimestre suivant. Mon père, ce grand timide, a changé mon destin en réussissant à me faire entrer dans un collège bourgeois: il a supplié le principal de regarder mes bulletins de notes. Après le bac, acceptée en classe préparatoire, à la grande fierté de mes parents, j’ai travaillé tous les jours de 5 heures du matin à 22 ou 23 heures, pour être au niveau des autres élèves – des enfants d’universitaires, de chercheurs…

J’ai enchaîné sur une prépa littéraire option allemand, et une licence d’allemand – sans aucune intention d’enseigner cette langue à des élèves qui ne l’apprennent que parce que leurs parents veulent qu’ils soient dans les bonnes classes. Un jour, une copine me dit qu’elle se destine au journalisme. C’est le déclic. Pourquoi pas moi ? Je suis acceptée à l’Institut français de presse, et là je sais que j’ai trouvé ma voie. Plus tard, j’apprends que LCI cherche des stagiaires pour le mois de février. Au rendez-vous, le directeur des ressources humaines me pose une question piège : “Vous habitez à Colombes, rue Henri-Barbusse. C’était qui Henri-Barbusse ?” Coup de bol, j’avais regardé dans le dictionnaire, trois mois avant, par curiosité. “C’était un intellectuel communiste, un pacifiste.” Je suis toujours à LCI, grâce, finalement, à mes réflexes de bonne élève.

L’école c’est fondamental.

J’explique à mon aîné : “L’école c’est fondamental. Travaille bien et tu auras le choix. On ne t’imposera pas une filière parce que tu n’as pas eu de bonnes notes en maths.”

Laetitia Avia, députée (La République en marche) de Paris

laetitia avia

«Mon parcours montre que, même avec un triple handicap – femme, noire et habitante de banlieue –, réussir à l’école, faire une belle carrière professionnelle et se lancer en politique dans la foulée n’est pas impossible. Je suis née en France d’une famille d’immigrés du Togo, je suis la troisième de quatre enfants. Arrivé, il y a trente-six ans, pour devenir footballeur professionnel, mon père, aujourd’hui bagagiste, avait une formation d’ingénieur; ma mère est aide-soignante.

Mes parents croyaient en l'école

J’ai toujours été bonne élève parce que mes parents, qui croyaient en l’école, nous ont poussés en nous demandant de donner le meilleur de nous-mêmes, répétant que c’était par le travail que nous arriverions à tout et pourrions prétendre à tout… A l’école élémentaire, un instituteur avait dit à ma mère: “Elle a un vrai potentiel.” En quatrième, le prof d’histoire m’avait inscrite à un concours départemental de rédaction sur la Résistance. Le sujet m’avait inspirée. J’avais rédigé d’une traite. J’ai été finaliste, j’ai reçu une médaille, et mon texte a été publié dans une revue. Plus tard, c’est grâce aux conventions Education prioritaire, une forme de discrimination positive, fruit d’un partenariat entre des lycées et Sciences-Po, que j’ai été acceptée dans cette prestigieuse école. Pendant l’année de terminale, tout en révisant pour le bac, j’assistais donc à des ateliers spéciaux afin de préparer l’épreuve écrite et les deux oraux réservés aux bons élèves issus de milieux populaires. Est-ce que j’aurais été acceptée sans ce dispositif ? Peut-être… Mais je ne me serais pas autorisée à passer le concours. Quand on vient des quartiers, on se sent si loin de ce monde, et réciproquement.

A Sciences-Po, j’ai fait de belles rencontres

Un jour de grève, j’ai dû venir rue Saint-Guillaume (adresse de Sciences-Po, ndlr) à vélo, et des élèves interloqués m’ont demandé : “Mais comment t’as fait pour venir à vélo jusqu’ici ?” La banlieue n’est pourtant pas le bout du monde. A Sciences-Po, j’ai fait de belles rencontres, comme Jean-Michel Darrois, un grand avocat d’affaires qui est devenu mon mentor en m’accueillant comme stagiaire. C’est lui qui m’a nommée, en 2008, secrétaire générale de la commission qui porte son nom, consacrée aux professions du droit. Emmanuel Macron en était le rapporteur. J’avais donc 23 ans lorsque je l’ai rencontré pour la première fois. Tout cela m’a donné des ailes pour cofonder un cabinet d’avocats spécialisé dans le contentieux commercial pour les TPE et PME. Certes, tous les élèves en Zep ne deviendront pas avocats, mais l’école donne à chacun les moyens d’accéder à ce qu’il veut être. C’est ça la promesse républicaine. Aujourd’hui, pour rendre à l’école de la République un peu de ce qu’elle m’a donné, je me rends dans les collèges et lycées en Zep afin de parler de l’importance de l’école, en espérant que le public répercutera mes paroles à d’autres familles. »

Sandra Mehl, photoreporter

sandra mehl

« Je suis née à Sète, dans l’Hérault, d’une mère ancienne lingère en maison de retraite et d’un père qui a quitté l’école en quatrième, mais qui s’est “fait” lui-même en exerçant une foule de métiers: moniteur de ski, DJ à Londres, meilleur vendeur de France pour un laboratoire pharmaceutique… Dans la famille, on aime réussir ce que l’on entreprend, même des petites choses, relever les défis, et on est perfectionniste. C’est peut-être pour cela que j’ai toujours été bonne élève, d’autant que j’ai toujours adoré apprendre et comprendre. Au lycée, un prof de prépa littéraire est venu nous présenter la filière. Il nous a expliqué que c’était très dur, destiné aux meilleurs élèves. “Hypoquoi ? Hypokhâgne ?” Mes parents n’avaient jamais entendu parler de classes préparatoires. Moi, l’idée m’a emballée.

J’étais un pur produit de la méritocratie républicaine.

Je ne me suis pas autocensurée en me disant que c’était trop élitiste pour une fille de mon milieu. Mes parents étaient hypersociables, mon père était aussi à l’aise avec son chef qu’avec un SDF; et en ce sens, ils m’avaient appris à franchir les barrières sociales. J’ai donc été acceptée en prépa littéraire, d’abord à Nîmes, puis au lycée Lakanal, à Sceaux (Hauts-de-Seine), et j’en étais très fière: j’étais un pur produit de la méritocratie républicaine. La prépa m’a élevée intellectuellement, appris à raisonner, faire jouer mon esprit critique, et affûter mes analyses et mon argumentation. J’en ai bavé. Vocabulaire, loisirs… tout me criait que je n’étais pas du même milieu que les enfants de profs et de médecins. Ils allaient à l’opéra et au théâtre, jouaient dans des troupes amateurs. Moi, mes parents
ne m’avaient jamais conseillé un auteur ni offert un livre. Notre ouverture à nous, c’était la variété française.

A l’époque, j’ai reproché à mes parents qu’à cause d’eux je doive partir handicapée dans la compétition; j’en ai eu honte après. Un jour, j’ai eu un devoir maison en philo : “Qu’est-ce qu’affronter son destin?” Ce sujet m’a passionnée. Cela faisait tellement écho à ma situation. Arrive la distribution des copies corrigées. “Meilleure note: 17, Sandra Mehl.” Je rougis. Jusqu’ici, je ne récoltais que des 4, des 5… Et puis la douche froide: “Vous vous êtes fait aider pour ce devoir?” Cette question niait avec violence tous mes efforts. Après la prépa, j’ai été admise à Sciences-Po. Mon diplôme en poche, j’ai travaillé dans l’humanitaire, puis dans les quartiers populaires pendant dix ans. Il y a cinq ans, j’ai repris des études en sociologie et je suis devenue photographe documentaire. La photo et la sociologie demandent des facultés d’observation et d’immersion. Les transfuges de classe qui, comme moi, traversent les barrières sociales les développent sûrement tôt.»

Séverine Desbouys, ancienne championne cycliste, présidente du cabinet de conseil DSC

severine desbouys
© Alex Cretey

« Je suis originaire de Lapalisse, près de Vichy, dans l’Allier. Mon père était contremaître, et ma mère, serveuse dans un restaurant, avec un statut de maître d’hôtel. De la maternelle à la terminale, des enseignants, surtout en maths et en sport, ont su détecter mon potentiel, révéler mes qualités stratégiques, développer mon esprit d’équipe et m’amener là où je suis aujourd’hui : à la tête d’un cabinet international de conseil. Parmi mes clients de renom, Netflix et la géant chinois de la vente en ligne Alibaba. Auparavant, grâce au sport scolaire, j’ai participé à neuf tours de France (et emporté trois victoires d’étapes), dix championnats du monde, et j’ai été sacrée meilleure grimpeuse.

Mon instit de CE1 a été le premier à détecter mon potentiel

« Je rends donc hommage à mon instituteur de CE1 qui, pour me mettre en avant, m’avait confiée les animaux de la classe, en tandem avec Catherine, une mauvaise élève. Ensemble, nous nous occupions des lapins, oiseaux, cochons d’Inde, et rendions des comptes au tableau : naissances, maladie, alimentation. Cela m’a appris à prendre soin d’autrui et à m’exprimer en public. Il a aussi été le premier à remarquer mes capacités sportives : lors de nos petites compétitions, je mettais la raclée aux garçons.
« Au collège, d’autres “bonnes fées” se sont penchées sur moi : le professeur de maths m’avait demandé ce que je voulais faire plus tard : “Prof de sport.” Il m’a répondu : “Non, non, tu seras sans doute chef d’entreprise ou dans des postes à responsabilités.” J’en doutais. Mes parents me disaient : “Tu sais, déjà, si tu dépasses Vichy… au mieux tu seras peut-être caissière à Cora, et ce sera déjà très bien.”

« J’ai quitté un lycée classique pour intégrer le Creps (sport études) à Saint-Amand-Montrond, dans le Cher, où j’étais la seule fille au milieu de quinze garçons. Quand, en fin de première, j’ai fait une grave chute, les professeurs se sont mobilisés pour m’aider à rattraper mon retard, le soir, me transmettre les cours. Merci au sport scolaire, qui m’a aussi permis de voyager, alors qu’avec mes parents on n’allait même pas à Clermont-Ferrand, à 90 km de Vichy.
« Aujourd’hui j’habite dans les beaux quartiers, à Neuilly, et j’aime taquiner mon père en lui disant : “Tu vois, tu avais dit que je ne dépasserais jamais le Cora de Vichy, et aujourd’hui j’ai fait plusieurs fois le tour du monde, grâce au sport et à mes compétences.” C’est pourquoi je suis devenue ambassadrice du sport scolaire, pour montrer que le sport à l’école publique est primordial pour se construire. »

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