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Exposition à GenèveLe MAH montre sa peinture française du XIXe siècle

L’un des trois Van Gogh montrés. L’artiste est entré au musée avec une toile aujourd’hui réhabilitée. Des harengs…

«De bleu, de blanc et de rouge». Ce sont là les couleurs du drapeau français, qui n’a pourtant pas flotté au-dessus des mairies durant tout le dix-neuvième siècle. Il fallait bien un titre pour l’exposition que le Musée d’art et d’histoire (MAH) consacre à ses collections de peinture réalisées à Paris, et plus rarement en province, entre 1800 et 1918. «Notre exploration commence là où s’arrêtait le catalogue raisonné, déjà ancien, de Renée Loche consacré aux XVIe-XVIIIe siècles (1). Il fallait juste trouver un point d’arrivée», explique Frédéric Elsig, maître d’œuvre de l’opération avec le restaurateur Victor Lopes. «La date de 1900 n’avait selon nous aucun sens artistique. On aurait bien sûr pu retenir 1914. Mais 1918 nous a semblé former une rupture esthétique plus marquée. C’est alors que le goût change vraiment.»

«Notre exploration commence là où s’arrêtait le catalogue raisonné de Renée Loche consacré aux XVIe-XVIIIe siècles. Il fallait juste trouver un point d’arrivée»

Frédéric Elsig, historien

De quoi s’agissait-il au fait? C’est très simple. Il convenait de répertorier et d’analyser les tableaux des collections du MAH réalisés en France durant cette période, en commençant par délimiter le champ d’action. Qui est Français, si l’on sait que certains d’entre eux sont venus travailler à Genève alors que des Suisses s’expatriaient? Je citerai le cas du sculpteur James Pradier, qui a un peu utilisé sa palette dans la capitale voisine. «Nous sommes ainsi arrivés à un corpus de 212 numéros», reprend Victor Lopes. Il s’agissait bien sûr de les décrire et d’en raconter l’historique. Mais il fallait aussi remettre beaucoup d’entre elles en état, afin de les rendre présentables. «Trente-cinq toiles ont ainsi été restaurées de manière fondamentale.» Il reste cependant du pain sur la planche. «Nous avons installé dans un des cabinets du premier étage un vaste «Charles Quint au couvent de Saint Juste écrivant son testament» de Chrysostome Eugène Dumoulin, daté 1859. Il est demeuré en l’état, comme son cadre. Le visiteur pourra juger les ravages du temps dans des réserves.»

«Le cimentier» d’Alfred Roll. Une figure grandeur nature, de goût réaliste, réalisée par un grand méconnu.

Les 212 tableaux ne se voient bien sûr pas tous présentés. Sur les murs de l’immense Salle 415 et dans l’intimité de trois petites pièces, il y en a une soixantaine en tout. «Nous n’avons pas souhaité écrémer l’ensemble pour en offrir systématiquement le meilleur», reprend Frédéric Elsig. «Le choix se veut significatif. Il s’agissait de faire parler la collection.» Celle-ci peut en effet sembler balbutier. Voire bégayer. Elle n’a jamais dégagé d’esprit volontariste. On a envie de dire qu’ici les choses «se sont faites» au gré des dons, des achats et des legs. Sur les cimaises de la grande pièce à l’éclairage zénithal se retrouvent ainsi d’un côté les œuvres acquises par les différents directeurs et conservateurs depuis le XIXe siècle. De l’autre ce qui est parvenu dans l’institution au hasard des largesses et des successions. «Les deux grands fonds du MAH, je veux dire ceux de Gustave Revilliod et de Walther Fol comprenaient très peu de peinture française.»

Corot est l’artiste le mieux représenté du XIXe français au musée. Il y a là de lui treize œuvres jugées authentiques et deux autres déclassées.

Vu la taille de la Salle 415, une chose frappe d’emblée le visiteur. Il n’y a là aucune «grande machine», alors que celles-ci forment le substrat de nombreuses institutions de région en France. «C’est vrai», admet Frédéric Elsig. «Il y en avait bien une. «Le Massacre de Nesle» d’Edouard Alexandre Odier, réalisé en 1839, mesurait passé quatre mètres de haut. Nul ne sait cependant où l’œuvre a passé après 1935. Il n’en subsiste qu’une bonne photographie en noir et blanc.» Le reste se compose essentiellement de tableaux pour amateurs, avec ce que cela suppose de dimensions raisonnables. Il y a bien aux murs «Le Cimentier» d’Alfred Roll, une solide composition sortie des limbes du MAH, ou une «Innocence» un peu bêlante de Paul Millet (il y a d’ailleurs là un mouton). Mais rien d’autre d’un tant soit peu trapu. Genève apparaît en cela très différente d’Amiens, d’Orléans ou de Lille. L’artiste le mieux représenté est symptomatiquement Jean-Baptiste Camille Corot. Treize œuvres retenues (allant selon moi du meilleur au pire), et deux rejetées comme imitations. Corot s’est aussi bien vu acheté à l’époque que sous le règne du conservateur Paul Lang au début du IIIe millénaire. Ce dernier lui avait du reste dédié une rétrospective au Musée Rath en 2010.

«Nous avons choisi de ne remette aucun vernis à Van Gogh, afin de nous conformer aux vœux de l’artiste. Le tableau se retrouve du coup derrière une vitre.»

Victor Lopes, restaurateur

Le choix du musée est longtemps resté assez timide et convenu. «Les impressionnistes ont fait leur apparition tard au MAH, à l’exception d’un ou deux achats dans les années 1910», reprend Frédéric Elsig. «L’ensemble actuel est dû à la Fondation Prévost, formée par les cousins Jean Lullin et Maurice Battelli, et à la Fondation Garengo des Schmidheiny, qui s’est dissoute en 2006.» D’où le choix d’une grande cimaise cintrée décorée comme le reste de l’exposition par Philippa Kundig. Celle-ci a choisi un bleu céleste. «Nous y avons installé un bouquet de Renoir, de Sisley, de Monet ou de Cézanne.» Cette peinture alors avant-gardiste ne se concentre cependant pas là. D’où l’incitation faite aux visiteurs de voir une autre salle, hors exposition, où les œuvres se voient documentées par des cartels. Bonnard figure de justesse dans ce florilège. «Nous nous sommes limités aux productions d’avant 1918.»

Les impressionnistes (ici un Monet) sont presque tous arrivés au MAH par le biais de deux fondations.

L’exposition qui pourrait (il s’agit là d’un vœu pieux) se voir suivie d’une autre vu la matière révélée, ne se limite pas aux tableaux finis. «Nous avons voulu montrer en trois parties comment les artistes travaillent à cette époque», précise Victor Lopes. «Le XIXe constitue un moment charnière, où tout bascule. Les artistes n’utiliseront plus des couleurs broyées qu’ils tireront de leurs vessies animales. Les tubes de couleurs prêts à l’emploi vont apparaître au milieu du siècle. Les chambres claires aideront les pleinaristes à dessiner sur le motif. Il va se créer toutes sortes d’instruments de travail permettant d’exécuter un tableau à l’huile en pleine nature.» Le public remarquera ainsi le tabouret de bois comme le petit parasol. Des objets pour la plupart prêtés par des collectionneurs. «L’un d’eux nous a même fourni le meuble qu’utilisait Théodore Géricault.»

Ici vu avant restauration, Un Delacroix en rapport avec «les massacres de Schio» du Louvre a repris bonne mine.

Ce n’est pas la seule partie technique dans «De bleu, de blanc, de rouge». Un cabinet nous montre en direct le travail de restauration. L’exemple choisi est un Van Gogh apparemment bien connu. Ce bouquet de fleurs dans un vase a été réalisé à Auvers-sur-Oise en 1890. Un autoportrait s’est révélé en dessous à la radiographie. «Il a aussi fallu lui retirer les vernis qui jaunissaient», précise Victor Lopes. «Nous avons choisi de n’en remettre aucun, afin de nous conformer aux vœux de l’artiste. Le tableau se retrouve du coup derrière une vitre.» Il se voit au MAH à côté d’un autre Van Gogh, «Les Harengs», à l’attribution discutée. Le Musée Van Gogh d’Amsterdam ne le reconnaît toujours pas. «Son historique apparaît pourtant irréprochable», explique Frédéric Elsig. «Cette petite toile tout en largeur se trouvait à la galerie Bernheim Jeune en 1916. Le tableau s’est longtemps vu admis par tout le monde. La restauration semble concluante. Nous avons donc décidé de le retenir comme authentique.»

Et maintenant le catalogue!

Voilà. Un me reste maintenant à vous parler du catalogue, épais et lourd comme une pierre tombale. Il y a là plus de 500 pages de science. La suite dans un second article!

(1) J’ai récemment rencontré Renée Loche, qui est dans un état éblouissant.

Pratique

«De bleu, de blanc, de rouge», Musée d’art et d’histoire (MAH), 2, rue Charles-Galland, Genève, jusqu’au 18 août. Tél. 022 418 26 00, site https://mahmah.ch Ouvert du mardi au dimanche de 11h à 18h, le jeudi de 12h à 21h.

L’affiche. Plutôt «de bleu» que «de blanc» ou «de rouge».