L’affaire secoue le monde de la culture. Pourquoi l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts (Ensba), à Paris, a-t-elle censuré un ouvrage qu’elle venait de publier, comme l’a révélé Le Quotidien de l’art le 8 mars ? Le livre en question, Les Suffragettes de l’art, retrace l’histoire des femmes aux Beaux-arts, de 1817 aux années 2020. Commandé à la critique d’art indépendante Anaïd Demir, il paraît en début d’année. « Je sens alors qu’une menace plane sur lui, mais je ne sais laquelle », confie l’autrice. Après dix jours en rayons, 1 100 des 2 000 exemplaires sont pilonnés. Une nouvelle version, expurgée de quatre pages, est tirée à 1 500 exemplaires. Coût de l’opération : 10 000 euros et une polémique qui enfle autour de l’école d’art la plus prestigieuse de France.
Dans les quatre pages en question était raconté le mouvement Metoo qui a bousculé l’institution en 2017-2018. L’école est alors dirigée par l’artiste et académicien
Jean-Marc Bustamante et de nombreux étudiants font pression sur lui, l’accusant d’indifférence à l’égard de diverses affaires de harcèlement sexuel, moral et raciste. Arrivé au terme de son mandat, il n’est pas reconduit par la ministre de la culture, Françoise Nyssen, alors qu’il le demandait, et devra quitter l’école. Dans le livre a été évacuée la mention de la charte pour l’égalité entre les hommes et les femmes qui régit, depuis juillet 2018, la lutte contre le harcèlement.
L’expurgation dérange. D’autant plus que l’institution a vu arriver, en 2022, une femme à sa tête, la première en plus de deux siècles d’existence : Alexia Fabre, conservatrice en cheffe du patrimoine, défenseuse des artistes femmes. Celle qui a fait de la lutte contre le harcèlement un de ses chevaux de bataille à l’Ensba assume la responsabilité du pilonnage. « Quand le livre est sorti, beaucoup de critiques ont émergé, notamment sur deux paragraphes du dernier chapitre, explique-t-elle. Nous avons donc pris rapidement, trop sans doute, la décision de retirer ce chapitre, car nous n’avions ni le temps ni la possibilité de rendre compte de façon juste de ce moment d’histoire. »
Des propos de Bustamante censurés
Les deux paragraphes incriminés rappelaient le rôle de lanceurs d’alerte d’un groupe d’étudiants concernant le harcèlement sexuel. Y étaient cités aussi des propos de Jean-Marc Bustamante publiés dans le catalogue de l’exposition « Dionysiac », au Centre Pompidou, en 2005. « Oui, l’homme a besoin de conquérir des territoires, la femme trouve son territoire et elle y reste ; alors que les femmes cherchent un homme, un homme veut toutes les femmes. »
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