Belgique

Certains partis veulent une marche arrière sur le décret Paysage ? Que dit-on du côté des universités ?

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InfoPar Jean-François Noulet, avec M. Sirlereau

Deux des partenaires de la majorité en Fédération Wallonie-Bruxelles, soit Ecolo et le PS demandent une adaptation du décret Paysage, décret qu’ils ont pourtant voté avec le MR, l’autre parti de la majorité, en 2021. Au cœur de cette démarche se trouve la crainte d’exclusion de nombreux étudiants de l’enseignement supérieur à la rentrée prochaine. Le nouveau décret Paysage, tel que réformé en 2021, a fixé de nouveaux critères pour la réussite des études supérieures. L’idée est d’éviter que certains étudiants tirent leurs études en longueur en raison du coût du financement d’un étudiant dans le supérieur. Cette réforme est entrée progressivement en vigueur à partir de l’année académique 2022-2023 et devrait s’appliquer pleinement dès septembre prochain. Les nouvelles règles prévoient que, faute d’accumuler les crédits nécessaires, de réussir les examens dans les délais impartis, les étudiants ne seront plus finançables. Bref, pour ces étudiants, les établissements d’enseignement supérieur ne recevront plus de subsides de la part de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Il restera aux étudiants à croiser les doigts et à miser sur un recours en espérant que l’Université ou la Haute école accepte de les garder, même sans financement.

Ces dernières semaines, la FEF, Fédération des étudiant(e) s francophones, s’est mobilisée contre ce décret Paysage, estimant qu’un grand nombre d’étudiants seraient exclus de l’enseignement supérieur dès septembre prochain.

Ecolo et le PS demandent donc de faire marche arrière. Dans le milieu académique, notre rédaction a tenté de recueillir quelques réactions ce mercredi. En début de semaine, le conseil académique de L’ULB avait publié un communiqué, estimant que, par rapport au nouveau décret Paysage, "certaines des tentatives de solutions apportées contreviennent au rôle d’ascenseur social de l’Université". "Respecter les conditions de réussite fixées par ce nouveau Décret sera particulièrement ardu pour les étudiants avec des problèmes de santé mentale ou physique ainsi que pour ceux en situation de fragilité financière", précisait le communiqué.

Contactée ce jeudi, l’UCLouvain n’a pas souhaité réagir à la situation actuelle. En revanche, la rectrice de l’Uliège a commenté la situation.

Une période d’amnistie pour certaines niches d’étudiants ?

Anne-Sophie Nyssen, la rectrice de l’Université de Liège, rappelle d’abord le contexte. Avant la réforme du décret Paysage dont il est aujourd’hui question, il y avait, logiquement, le décret Paysage, initié il y a une dizaine d’années par le ministre Marcourt (PS). "L’hypothèse c’était, si on donne plus de flexibilité à l’étudiant, nous arriverons à augmenter le taux de réussite et notamment des étudiants boursiers qui ont déjà parfois des difficultés et qui doivent parfois travailler", rappelle Anne-Sophie Nyssen. L’idée était donc de laisser plus de souplesse et plus de temps aux étudiants pour acquérir les crédits nécessaires avec au final, plus d’étudiants diplômés. Après quelques années, on s’est penché sur les chiffres et le système a été analysé. "On a démontré que, au terme de cinq années, on n’arrivait pas à cet objectif d’augmentation de façon globale du taux de diplômés en Communauté française", rappelle la rectrice de l’ULiège. Des étudiants arrivés au bout de plusieurs années d’études traînaient des casseroles, c’est-à-dire des cours non réussis bien qu’indispensables et se retrouvaient dans une impasse. Quant à l’objectif d’un taux de réussite plus élevé, le décret Paysage "ancienne mouture" n’avait pas permis de l’atteindre. "Avant le décret Paysage, nous avions un taux de réussite chez les boursiers, au terme des trois années de Bac, de 18% et après le décret Paysage, il a chuté à 11%. Et quand on regarde les non-boursiers, le taux de réussite en bachelier était de 30%, 28,7 si je me souviens bien, et il a chuté aussi à 22", explique Anne-Sophie Nyssen.

La réforme du décret Paysage, mise en œuvre par la ministre Glatigny (MR) et poursuivie par l’actuelle ministre, Françoise Bertieaux, avait pour but de rectifier le tir, en encadrant davantage le nombre d’années accordées à un étudiant pour parvenir au bout de son parcours.

Alors que certains souhaiteraient aujourd’hui revenir sur cette réforme, la rectrice de l’ULiège a avis plus nuancé. "Il faut faire attention de ne pas jeter une réforme sitôt après l’avoir mise en place", réagit Anne-Sophie Nyssen. "Il faut peut-être envisager certaines corrections", précise-t-elle, estimant que les effets de cette réforme devraient être étudiés "sur une plus longue durée".

Quant aux solutions à court terme, la rectrice de l’Université de Liège suggère "une amnistie pendant un an pour une niche d’étudiants qui, dans le cadre du basculement [ndlr, le passage de l’ancien système au nouveau] perdraient leur finançabilité". Elle parle ici des étudiants qui "en basculant dans le nouveau système, perdent leur finançabilité". "Un nombre très réduit d’étudiants", selon la rectrice.

La rectrice rappelle aussi que les établissements d’enseignement supérieur ont toujours la possibilité d’inscrire des étudiants qui ne seraient plus finançables, faute de respecter les critères du décret Paysage. A l’Université de Liège, par exemple, environ 350 étudiants sont actuellement inscrits sans financement.

De la souplesse par rapport au décret

Du côté de l’Université de Mons, l’UMons, le son de cloche est assez semblable. Ici aussi, on plaide pour des aménagements au décret Paysage. "Je pense qu’il est nécessaire de réenvisager un certain nombre de parties de ce décret qui peuvent amener effectivement des situations compliquées et pour lesquelles effectivement, nos étudiants n’étaient pas nécessairement préparés, quand bien même des messages d’information avaient été diffusés", réagit Laurent Lefebvre, vice-recteur de l’UMons. Pour ce dernier, "le calcul de la finançabilité d’un étudiant est extrêmement difficile", ce qui pourrait expliquer que des étudiants n’aient pas perçu les conséquences du nouveau décret dans leur cas.

Pour Laurent Lefebvre, pas question d’aller vers "une abolition du décret". "Je pense que personne dans les universités ne le souhaite parce qu’il y a aussi un cadrage qui avait été apporté par ce décret et qui permet finalement à l’étudiant de mieux comprendre les attendus de la société et de l’institution par rapport à son propre parcours", estime le vice-recteur montois.

Donc ici aussi, on plaide plutôt pour de la souplesse par rapport au décret pour tenir compte de certaines situations. "On passe effectivement dans un nouveau système et il ne faut pas oublier qu’on est avec des étudiants qui sont post-COVID. Cela a quand même bouleversé de manière significative un ensemble d’étudiants dans nos institutions", rappelle Laurent Lefebvre. Dès lors, "on ne peut pas se permettre une application stricte et inhumaine du décret", estime-t-il.

A l’UMons aussi, on rappelle que la non-finançabilité n’impose pas l’exclusion de l’étudiant. Les universités et hautes écoles gardent la faculté d’inscrire des étudiants sans subsides, l’établissement prenant à sa charge le coût de l’étudiant pour tout ce qui dépasse le minerval. "On parle quand même de plusieurs milliers d’euros par étudiant", explique Laurent Lefebvre, le chiffre variant selon les filières. "Il y a un manque à gagner par individu pour l’institution qui est non négligeable à l’échelle d’une institution", explique le vice-recteur de l’UMons. "On a bien envie, évidemment, de soutenir l’ensemble de nos étudiants", mais "néanmoins, il faut rester dans une situation qui reste gérable pour une institution de la taille de l’UMons", ajoute-t-il.

JT du 28/03/2024

Décret paysage : Zizanie au sein de la majorité

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