L'Assemblée générale de l'ONU vote le 23 février 2023 pour une résolution qui "exige" le retrait russe d'Ukraine.

L’ONU n’inspire plus confiance. Son inefficacité alimente la rhétorique des ennemis du multilatéralisme et des populistes de tous poils.

afp.com/TIMOTHY A. CLARY

En ce 19 septembre 2023, Joe Biden, le leader de la première puissance mondiale, paraît bien seul pour condamner l’invasion russe et réaffirmer son soutien à l’Ukraine, lors de la grand-messe annuelle de l’Organisation des nations unies, à New York. "Trouverons-nous en nous-mêmes le courage de faire ce qui doit être fait, de défendre les principes de l'ONU ?", lance l’octogénaire à l’assistance, d’une voix fatiguée.

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Dans la salle, le président ukrainien Volodymyr Zelensky applaudit. Mais aucun dirigeant du P5, le Conseil de sécurité de l’ONU, ne réagit. Et pour cause, ils ne sont pas là. Ciblé par un mandat d’arrêt de la Cour internationale de justice, le principal accusé, Vladimir Poutine, n’est pas venu, pas plus que son puissant "ami" chinois, Xi Jinping, qui a préféré se rendre au sommet des Brics, à Johannesburg, quelques semaines plus tôt. Si l’absence des deux autocrates était prévisible, comment, en revanche, justifier celle d’Emmanuel Macron et du Premier ministre britannique Rishi Sunak, alliés de Washington ? Le message envoyé est désastreux : celui d’une organisation en crise, d’un multilatéralisme en panne.

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© / L'EXPRESS

Rarement, dans son histoire, l’ONU n’a été autant décriée. On lui reproche de faillir à sa mission principale - mettre fin aux conflits du monde. "Où est donc la paix, pour laquelle les Nations unies ont été créées et qu’elles devaient garantir ?", cinglait déjà en avril 2022 Volodymyr Zelensky, dont le pays subit depuis plus de deux ans les assauts d’un membre permanent du Conseil de sécurité.

Le Quai d’Orsay juge "honteux" les propos d’une rapporteuse spéciale

Et que dire de Gaza ? En mars, le P5 a fini par adopter une résolution exigeant "un cessez-le-feu immédiat", mais six mois après le massacre de 1200 personnes en Israël, le 7 octobre, il n’a toujours pas condamné officiellement l’attaque terroriste du Hamas. Il y a eu aussi ce coup de tonnerre, fin janvier : l’Etat hébreu accuse 12 employés de l’agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) d’avoir participé à la tuerie. Puis ces déclarations d’une rapporteuse spéciale des Nations unies, Francesca Albanese, estimant que le massacre était avant tout une réponse à "l’oppression israélienne". Contester son caractère antisémite "est une faute, sembler le justifier […] une honte", s’est indigné le Quai d’Orsay.

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L’ONU n’inspire plus confiance. Son inefficacité - flagrante également au Soudan, au Haut-Karabakh ou au Niger - alimente la rhétorique des ennemis du multilatéralisme et des populistes de tous poils. La question revient, lancinante : l’ONU sert-elle encore à quelque chose ? Créée sur les ruines de la Société des nations, va-t-elle finir comme son ancêtre, impuissante à empêcher l’invasion de la Mandchourie par le Japon (1931) et de l’Ethiopie par l’Italie (1935), et finalement dissoute après la Seconde Guerre mondiale ?

Les interventions en Irak et en Libye, deux tournants

Déjà en 2003, l’intervention américaine en Irak, sans mandat onusien, avait sérieusement entamé sa crédibilité. "La guerre en Irak a marqué un tournant, pointe l’expert Richard Gowan. Aux Etats-Unis, tout le monde essaie de l’oublier, mais cet événement résonne encore à l'ONU. Ce fut en effet un moment où des promesses de l’après-guerre froide ont été trahies. Même constat pour l’action militaire en Libye, en 2011. Nombre de pays africains pensent que l'ONU a mal utilisé le mandat du Conseil de sécurité et que la déstabilisation de la région a eu des conséquences durables, en particulier au Sahel. Tout cela a entraîné une suspicion persistante à l’égard des Occidentaux." De fait, le Conseil est très divisé depuis cette époque. "L’intervention en Libye a été autorisée par une résolution du Conseil, mais elle n’impliquait pas forcément un changement de régime. Certains Etats, comme la Russie, ont considéré que l’on était allé trop loin", complète Alexandra Novosseloff, chercheuse associée au Centre Thucydide de l’université Paris- Panthéon-Assas.

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Les guerres en Ukraine et à Gaza n’ont fait qu’accentuer ces fractures. Dans les pays du Sud, le sentiment d’un "deux poids, deux mesures" a grandi, entre le soutien de l’Occident à Kiev, et son indifférence supposée à l’égard d’autres conflits. Si un lieu concentre toutes les critiques, c’est bien le Conseil de sécurité. Certes, celui-ci a toujours été le reflet des tensions du monde - c’était criant pendant la guerre froide. Mais il est plus que jamais devenu le terrain d’affrontement entre le camp des démocraties - Etats-Unis, France et Royaume-Uni - et celui des autocraties - Chine, Russie. "L’objectif du Conseil était de réduire la probabilité d’une guerre en garantissant qu’il ne pourrait jamais être utilisé contre les intérêts d’un membre permanent, observe Stewart Patrick, chercheur à la Fondation Carnegie pour la paix internationale. A cet égard, il a réussi. Malheureusement, en période de grande rivalité géopolitique, les grandes puissances abusent de leur pouvoir. Depuis qu’elle a envahi l’Ukraine, la Russie bloque toute action du Conseil. Et les Etats-Unis permettent à l’un de leurs alliés, Israël, de commettre des violations flagrantes du droit humanitaire international à Gaza."

Instrumentalisation du Conseil des droits de l’homme

Pour compliquer les choses, la Chine - qui cherche à imposer son propre ordre mondial - et la Russie font tout pour saper le travail de l'ONU. Dernièrement, la Russie a mis fin au mandat du comité d’experts chargé de surveiller l’application des sanctions contre la Corée du Nord - qui lui fournit armes et munitions - en brandissant son veto. "Nous appelons entre nous certains pays les "usual suspects" : Iran, Venezuela, Corée du Nord, Syrie, Cuba… En commission, ils sont experts dans l’art de bloquer une résolution qui leur déplaît. Comment ? En dégainant une "contre-résolution" identique à celle proposée, mais en y ajoutant un point inacceptable pour le pays qui a déposé le texte", décrypte un cadre de l’ONU.

Nombre d’Etats autoritaires sont aussi passés maîtres dans l’art d’instrumentaliser la question des droits de l’homme. Symbole affligeant, le dernier Forum social du Conseil des droits de l’homme (CDH), en novembre dernier à Genève, était présidé… par l’Iran, l’un des cancres de la planète en la matière. Et l’Azerbaïdjan, qui a détruit des sites arméniens au Haut-Karabakh, a été nommé à la vice-présidence de l’Unesco, l’agence de l'ONU pour l’éducation, la science et la culture ! Avec une mauvaise foi affligeante, le CDH, dont les deux tiers des 47 membres sont des autocraties, se focalise de façon disproportionnée contre Israël. Entre sa naissance en 2006 et mai 2023, le Conseil a condamné ce pays à 103 reprises, mais jamais la Chine, malgré sa répression des Ouïghours dans le Xinjiang…

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A cela s’ajoute la confusion créée par les prises de parole des rapporteurs spéciaux des Nations unies. "Certains militent pour les droits de l’homme et sont très sérieux, mais d’autres s’en prennent aux démocraties pour faire du buzz, c’est facile, s’agace un diplomate. Leurs rapports sont souvent non vérifiés et mal construits, mais ce système permet à des anonymes de prendre la lumière."

L’ONU ne se résume pourtant pas à son Conseil de sécurité. Cette galaxie, dont le fonctionnement est loin d’être parfait, est en réalité devenue une gigantesque organisation humanitaire. Sur le terrain, certaines agences ont un rôle crucial, comme le Programme alimentaire mondial, l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture ou le Haut-Commissariat pour les réfugiés. "Les Nations unies, ce sont des milliers de personnes qui accomplissent un travail formidable, dans les endroits les plus reculés et conflictuels de la planète", insiste Jean-Maurice Ripert, ancien représentant permanent de la France auprès des Nations unies. Sans l’action de l’UNRWA, aussi controversée soit-elle, les survivants de Gaza mourraient probablement de faim.

Dès lors, une question s’impose : à quoi ressemblerait un monde sans l’ONU ? Indéniablement, il serait pire. "Sa charte constitue la seule base légitime du droit acceptée par l’ensemble de la communauté internationale", souligne l’ancien ambassadeur Michel Duclos. "Sans les compromis obtenus par l’intermédiaire des Nations unies, les risques de conflits augmenteraient encore", complète Richard Gowan. Et de citer le credo du diplomate suédois Dag Hammarskjöld, deuxième secrétaire général des Nations unies, de 1953 à 1961 : "Les Nations unies n’ont pas été créées pour nous amener au paradis, mais pour nous sauver de l’enfer."

Pour cette raison, l'ONU mérite elle aussi d’être sauvée. Antonio Guterres mise beaucoup sur son Sommet de l’avenir, en septembre prochain. Certains craignent que les ambitions de ce grand rendez-vous, qui abordera pêle-mêle la question de l’intelligence artificielle, de l’espace ou de la jeunesse soient trop élevées. Lors de son Sommet mondial du millénaire, en 2005, Kofi Annan avait réussi à réunir 146 chefs d’Etat et de gouvernement. Il reste à espérer que cette fois aussi, les dirigeants répondront présents. Et que Joe Biden ne se retrouvera pas seul à nouveau.

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