LES PLUS LUS
Publicité
Politique

EXCLUSIF - L'offensive de Gérard Larcher : « Ça va mal finir ! »

ENTRETIEN. Le président du Sénat dresse un réquisitoire sévère contre la présidence Macron. Il annonce une possible motion de censure à l’automne. Gérard Larcher, le « roc » de la droite républicaine, laisse planer le doute sur ses intentions en vue de 2027.

Propos recueillis par Antonin André et Jules Torres
Gérard Larcher a reçu le JDD au Sénat ce vendredi 12 avril.
Gérard Larcher a reçu le JDD au Sénat ce vendredi 12 avril. © Marc Charuel

Derrière son bureau à la présidence du Sénat, Gérard Larcher dépeint un pays « désabusé », mené par un président de la République « bunkérisé », qui n’écoute ni le Parlement, ni même parfois ses principaux collaborateurs. Ainsi apprend-on que Bruno Le Maire, en son temps, avait travaillé avec Les Républicains au Sénat sur une trajectoire de réduction des dépenses de l’État. Le président n’en a pas voulu. Pour revivifier la démocratie, c’est avec Édouard Philippe Premier ministre que Gérard Larcher avait « topé » pour introduire une dose de proportionnelle et un rétablissement du cumul des mandats, dès 2018. Le président n’en a pas voulu. Le temps des menaces semble révolu, Gérard Larcher, cette fois, défend l’hypothèse d’une motion de censure à l’automne, en cas de budget « insincère ».

Publicité
La suite après cette publicité

Le JDD. Le Conseil constitutionnel a rejeté la proposition de loi des Républicains sur l’organisation d’un référendum d’initiative partagée sur l’immigration (RIP). Le regrettez-vous ?

Gérard Larcher. Je prends acte de la décision du Conseil qui fait à nouveau une interprétation très restrictive de la Constitution. J’avoue ne pas très bien comprendre cette décision alors même que le projet de référendum proposé répondait à une forte attente des Français, et ce d’autant que le Conseil constitutionnel n’en détaille pas les raisons. Il cadenasse cette procédure démocratique pour l’avenir. Il va à l’encontre de l’esprit du constituant, en l’occurrence le Parlement, qui a révisé la Constitution en 2008 pour y introduire la possibilité du RIP.

Vous y voyez une décision politique ?

J’y vois une décision discutable. Je ne veux pas aller au-delà. Cette décision m’étonne. Comme j’ai été étonné de l’interprétation restrictive qu’il a donnée de l’article 45 de la Constitution sur le droit d’amendement à l’occasion du texte sur l'immigration. Est-ce que les parlementaires ont encore un droit d’amendement sur un sujet qui a un lien, même indirect, avec un projet de loi ? Notre groupe de travail sur les institutions rendra son rapport le mois prochain et reviendra – je vous l’annonce – sur l’interprétation de la règle du droit d’amendement (article 45).

La suite après cette publicité

De votre position de président du Sénat, assemblée qui relaye les attentes de tous les territoires, dans quel état trouvez-vous notre pays lorsque vous l’auscultez ?

C’est un pays désabusé. Depuis longtemps, je parle de « la France d’à côté ». Le sentiment du pays qui se sent loin de toutes les décisions, qui subit la verticalité du pouvoir, la bureaucratie. Un État obèse incapable de bouger sur les sujets qui touchent le quotidien des Français. Dans le même temps, notre pays a été anesthésié par le « quoi qu’il en coûte », comme si on lui avait fait prendre une substance hallucinogène. Aujourd’hui, le réveil est brutal. Et que nous dit le président ? Que le sujet se résume à un problème de recettes, mais qu’il ne faut surtout rien changer. Je prétends le contraire, il faut un changement en profondeur, sinon ça se finira mal. Sept années d’Emmanuel Macron, ce sont sept années d’explosion de la dépense publique. Nous serons bientôt les derniers en Europe : le Portugal a redressé ses finances, la Grèce suit le même chemin, et nous, nous laissons nos dépenses publiques inlassablement se dégrader.  Ce qui fragilise notre économie et notre souveraineté. Et pour quel résultat ? L’autorité de l’État est bafouée, l’école de la République ne cesse de se dégrader, l’accès à la santé est de plus en plus difficile. Je vous donne un dernier exemple qui entretient le doute à l’endroit des gouvernants : la question énergétique. Le président de la République a acté la fermeture de Fessenheim et l’abandon de quatorze réacteurs au début de son mandat ; aujourd’hui, il nous annonce des EPR [réacteurs pressurisés européens, NDLR] tous les matins. Comment voulez-vous que les Français retrouvent confiance ? Je leur dis : il faut continuer à y croire, mais ça ne peut pas être avec cette politique-là !

Le déficit prévu pour 2024 sera à 5 %, voire 5,1 %. Est-ce que le gouvernement doit avoir recours à une loi de finances rectificative avant l’été ?

Le président a déjà tranché, malheureusement, en contournant le Parlement. De la même façon, je comprends qu’il envisage de traiter la programmation pluri-annuelle pour l’énergie en passant par la voie réglementaire. C’est une nouvelle marque de défiance vis-à-vis du Parlement. En fait, le président de la République vient de découvrir qu’il n’avait pas de majorité. Et son objectif est d’éviter le débat parlementaire. Pour moi, c’est inacceptable. Inacceptable car dans les crises, lorsque le pays doute, si vous méprisez la représentation nationale, vous aurez le débat dans la rue.

Éric Ciotti menace de déposer une motion de censure, peut-être même avant l’été. Y êtes-vous favorable ?

Ça n’a de sens que si c’est un moyen de stopper une politique qui nous conduit tout droit vers l’échec. Donc il va bien falloir qu’on réagisse.  Nous verrons comment sera préparé et présenté le budget 2025. Pas question de laisser passer un budget qui ne serait pas sincère.

Insincère ? C’est-à-dire ?

Le gouvernement a rejeté, lors du débat budgétaire, des réductions de dépenses proposées par le Sénat à hauteur de 7 milliards. Il a refusé les propositions du Sénat en 2022 et en 2023 sur la programmation pluri-annuelle des finances publiques : nous y avions tracé une trajectoire qui permettait de diminuer de 37 milliards d’euros nos dépenses sur cinq ans. J’ai moi-même négocié pour trouver un équilibre avec le ministre de l’Économie. Le président de la République n’en a pas voulu. Il est bien question de sincérité. Il faut donc définir une trajectoire crédible, il y a un moment où l’intérêt du pays devra primer sur toute autre considération.

Et donc, une motion de censure est possible à l’occasion du budget à l’automne ?

Ce sera le moment de vérité sur le sujet fondamental du budget.

Parlons des dépenses. Bruno Le Maire veut remplacer « l’État-providence par l’État protecteur ». C’est une vérité qu’il faut faire admettre aux Français ?

Ce sont des mots, je préfère les actes. Il faut s’interroger sur notre modèle social et notre système de santé. J’ai été président de la Fédération hospitalière, je mesure les pesanteurs et les corporatismes à l’œuvre dans le monde de la santé. Il faut aussi s’interroger sur la façon de responsabiliser nos concitoyens. Je crois qu’il faut qu’on se dise la vérité. La « providence » ne peut être plus de dépenses inutiles. Nous devons mettre fin aux abus et réformer un mode d’organisation dépassé. Tout ne peut pas être gratuit. Quel est le plus grand sujet aujourd’hui ? C’est d’avoir accès aux soins. Attendre onze heures dans les couloirs d’un service d’urgences pour être examiné est devenu banal mais intolérable. La permanence des soins n’est plus assurée sur des pans entiers du territoire. Ce sont des réalités que les Français éprouvent quotidiennement.

Vous parlez de dépenses supplémentaires  ?

Non ! C’est d’abord une question d’organisation. Il faut donner plus d’autonomie à l’hôpital et renforcer le lien ville-hôpital. À l’hôpital public, une trop grande partie des dépenses est consacrée à son administration, et c’est une différence avec le privé. Il ne faut pas plus d’argent, nous sommes déjà à 12,2 % du PIB, il faut mieux l’utiliser.

Vous parlez de « responsabiliser les patients ». Comment ?

Il y a certainement des abus en matière d’arrêts maladie, de consommation de médicaments, de transports sanitaires… On parle de la « taxe lapin » : 6 à 10 % de rendez-vous non honorés, c’est un sujet.

Stanislas Guerini, ministre de la Fonction publique, s’attaque à sa modernisation. Rémunération au mérite, licenciement qui ne doit plus être un « tabou ». Cela va dans le bon sens ?

C’est indispensable. C’est vrai pour la fonction publique d’État, c’est vrai pour la fonction publique territoriale, c’est vrai pour la fonction publique hospitalière. Il faut notamment professionnaliser les carrières pour que ça corresponde à des métiers et non plus à des catégories. Dans la fonction publique, vous exercez un métier, vous exercez une spécialité, vous n’êtes pas d’une catégorie qui relève seulement d’une grille. Quant au sujet de la fin du contrat, et en particulier le licenciement pour faute grave : qu’un salarié du public soit jugé de la même manière et selon les mêmes critères qu’un salarié du privé, ça ne me pose pas de problème. Il faut regarder les choses en face : 235 licenciements pour faute grave pour 2,5 millions de fonctionnaires d’État. C’est le signe que le système ne fonctionne pas.

Plusieurs drames, lors de conflits entre collégiens, ont brisé des familles. La maire de Romans-sur-Isère, qui y a été confrontée, réfute le terme de « fait divers » et parle d’un « fait de société ». A-t-elle raison ?

Oui ! Ce sont des faits de société qui s’inscrivent dans un contexte de désinhibition de la violence. Chez les mineurs, la mort n’est plus perçue comme une limite. Et bien sûr, tout ceci pose des questions fondamentales sur l’autorité, derrière l’autorité, la peine, la nécessité de sanctions. La situation est d’autant plus préoccupante que la violence se déplace maintenant dans l’enceinte de l’école élémentaire ! Il faut s’attaquer au problème de fond : la dislocation de la famille qui touche tous les milieux sociaux, avec souvent un effondrement de l’autorité parentale. Or l’école ne peut pas tout, la responsabilité des parents doit être engagée. C’est la base du contrat social : que chacun assume ses responsabilités. Deuxième élément : l’échec de l’intégration. Ne nous cachons pas la vérité :  de nombreux jeunes n’adhèrent pas au pacte républicain, contestent la transmission de nos valeurs. Lorsqu’on regarde le profil des émeutiers de l’an dernier, 29 % étaient de nationalité étrangère. Nous voyons bien que la question de l’intégration se pose. Troisième point, c’est bien la laïcité qui est mise en cause. L’influence idéologique et communautaire croissante de l’islam politique est une réalité.

Certains parlent de « djihadisme d’atmosphère », vous reprenez cette expression ?

Absolument. Gilles Kepel ou Florence Bergeaud-Blackler le décrivent depuis longtemps. Je souhaite désormais imposer une « laïcité d’atmosphère ». C’est à l’État de fixer les règles et pas aux religions. Je reprends la pensée d’Aristide Briand : « La loi doit protéger la foi, aussi longtemps que la foi ne prétendra pas dire la loi. »

Est-ce que vous considérez qu’une partie de la gauche fait le jeu de ce « djihadisme d’atmosphère » ?

L’extrême gauche fait le choix du communautarisme pour asseoir une partie de son électorat. C’est très clair. D’ailleurs, je constate chez eux des réactions d’indignation à géométrie variable. Attention aux discours ambigus qui laissent prospérer la violence, le rejet de l’autre et parfois la haine. 

Faut-il aller plus loin avec des établissements fermés où placer des mineurs violents ?

Si c’est nécessaire, il faudra passer par des structures spécialisées pour un certain nombre d’entre eux. J’ai échangé avec le Premier ministre sur ces sujets, ça me préoccupe, c’est la cohésion du pays qui est en cause.

Faut-il revenir sur l’excuse de minorité, inscrite dans l’ordonnance de 1945 ?

Je crois qu’il va falloir revoir l’application de l’excuse de minorité. Le texte sur l’autorité parentale et les mineurs pourrait être l’occasion de s’en saisir.

Pour en revenir au drame de Romans-sur-Isère, le jeune homme a été agressé dans le quartier de la Monnaie, où sont concentrées des populations souvent issues de l’immigration au sein desquelles s’accumulent les problèmes sociétaux. Qu’est-ce qu’on fait pour en sortir ?

On a commis une erreur majeure : on a retiré au maire la possibilité  d’agir sur la mixité sociale. Le prochain texte sur le logement doit impérativement corriger cela. Le maire a perdu toute capacité à agir, et dans le même temps, l’État empile les règles de droit au logement opposable. On ajoute de la pauvreté sur de la pauvreté dans des quartiers où la majorité des habitants sont d’origine étrangère. Ce faisant, vous empêchez la politique d’intégration. En tant que maire, j’ai mené une politique de mixité dans ces quartiers à une époque où cela faisait partie de mes attributions. Des Français d’origine modeste y vivaient, aux côtés de familles intégrées depuis trois ou quatre générations et qui s’impliquaient dans la vie locale. Aujourd’hui, c’est la préfecture qui gère l’essentiel des attributions des logements sociaux via un algorithme !

Comment expliquez-vous la progression du Rassemblement national à l’occasion de la campagne des européennes ?

En 2022, 13 millions de Français ont voté pour Marine Le Pen. Aujourd’hui, le RN est crédité de 30 %, porté par Jordan Bardella. Un nouveau visage, mais le discours reste populiste, il surfe sur les mécontentements. Au fond, le RN prospère sur l’absence de résultats. La bureaucratie, la verticalité du pouvoir, la laïcité bafouée, l’école affaiblie, la souveraineté entamée.  On en revient à mon constat de départ : la France est désabusée. Bardella, non sans talent, s’adresse à une France qui n’y croit plus. Pour le moment, nous ne lui répondons pas efficacement. La question migratoire à cet égard est signifiante : le rendez-vous a été raté parce que le gouvernement n’a pas soutenu le vote majoritaire du Parlement, et n’oublions pas que c’est le président de la République qui a saisi le Conseil constitutionnel ! Non seulement le pouvoir actuel contourne le Parlement, mais il nie une réalité dont il faut pourtant tenir compte : un élu du Rassemblement national, c’est un élu de la République. Il tient sa légitimité du suffrage universel. Et moi, je le combats comme je combats Mélenchon, parce que je pense qu’il n’apporte pas les bonnes réponses.

Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale, travaille sur un texte de loi qui introduirait une dose de proportionnelle aux législatives. Vous êtes pour ?

Ce n’est jamais sorti, mais nous avons failli aboutir à un texte sur ce sujet avec Édouard Philippe en 2018. Une fois de plus, le président de la République n’a aidé en rien. Nous étions proches d’un accord, une part de proportionnelle aux législatives – pas la proportionnelle intégrale –, sans réduction du nombre de députés et sénateurs, et en faisant en sorte que les territoires ultramarins conservent une représentation qui permette la diversité. Mais ça ne s’est pas fait… Je vais voir Yaël Braun-Pivet dans les prochains jours, j’insisterai sur un point :  l’introduction de la proportionnelle – pour 20 à 25 % des députés – peut-être ! Mais à la condition, au nom de la proximité, que l’on revienne sur le non-cumul des mandats pour permettre à un parlementaire d’exercer un mandat exécutif local.

Vous êtes considéré comme l’une des personnalités politiques les plus expérimentées et, dans votre famille, comme un référent incontournable. Quel rôle jouerez-vous dans les années qui viennent ?

Pour l’heure, je joue mon rôle comme président d’une assemblée qui est, en ce moment, le seul pôle de stabilité des institutions. C’est la seule où il y a une majorité. Ma responsabilité, c’est d’exercer avec force notre mission : résister aux pulsions du moment, maintenir une Assemblée apaisée et protéger la Constitution de révisions hasardeuses, je pense aux dossiers corse et calédonien. Je rappelle que la Ve République est une démocratie parlementaire. Est-ce qu’il faut que j’aille plus loin ? Nous verrons… L’intérêt du pays aujourd’hui, c’est d’être un roc, le président d’une assemblée qui contribue à la stabilité du pays.

Contenus sponsorisés

Sur le même sujet
Pascal Praud
Chroniques

Pascal Praud dans le JDD : « Encore 1 091 jours ! »

Qui est-il ? Que veut-il ? Que pense-t-il ? s'interroge notre chroniqueur. Depuis 2017, deviner l'homme pour comprendre le président est devenu l'objectif des observateurs d'Emmanuel Macron. Personne n'y est arrivé.

Publicité