Transport d’hydrogène : malgré un marché qui peine à décoller, les prémices d’un réseau européen se dessinent

GRTGaz va investir 40 millions d’euros dans un réseau ouvert et transfrontalier dédié à l'hydrogène bas carbone. Une première sur le Vieux-Continent. La canalisation de 90 kilomètres de long alimentera l'aciérie allemande SHS, un des rares industriels prêts à embrasser cette molécule encore très onéreuse.
Juliette Raynal
Les canalisations transportant du gaz naturel peuvent être converties à l'hydrogène. Cela nécessite toutefois des investissements conséquents.
Les canalisations transportant du gaz naturel peuvent être converties à l'hydrogène. Cela nécessite toutefois des investissements conséquents. (Crédits : GRTgaz)

La première brique d'un réseau européen dédié au transport de l'hydrogène bas carbone -cette minuscule molécule présentée comme stratégique pour la décarbonation de l'économie - devrait voir le jour en 2027. A rebours de multiples annonces faisant état du retard à l'allumage du marché de l'hydrogène, GRTgaz, l'un des deux gestionnaires du réseau de transport de gaz en France, a annoncé, ce mercredi, avoir pris une décision finale d'investissement pour le projet MosaHYc, une canalisation de 90 kilomètres de long reliant le département de la Lorraine en France au land de la Sarre en Allemagne.

Une première à l'échelle européenne, selon le gestionnaire. Et pour cause, jusqu'à présent, le seul réseau de transport transfrontalier dédié à l'hydrogène est un réseau privé dans le Nord de l'Europe, opéré par le spécialiste des gaz industriels Air Liquide. Lequel achemine, pour l'heure, essentiellement de l'hydrogène gris, fabriqué à partir d'énergies fossiles.

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« Il s'agit d'un réseau pionnier dans la construction d'un marché européen de l'hydrogène », s'est félicitée Sandrine Meunier la nouvelle directrice générale de GRTgaz, lors d'une conférence de presse organisée ce jour.

« Notre conviction c'est que l'hydrogène reste un levier majeur de décarbonation et de la souveraineté énergétique de la France. Nous maintenons notre cap qui consiste à construire, dans un premier temps, des réseaux à l'échelle des bassins industriels français et, dans une seconde étape, à interconnecter ces bassins industriels pour jouer le foisonnement, la solidarité et la flexibilité des énergies », a-t-elle développé.

Un projet franco-allemand à 110 millions d'euros

Cette annonce détonne dans le contexte actuel. En effet, fin février, Engie indiquait reporter ses objectifs de production d'hydrogène renouvelable de cinq ans, à l'horizon 2035. Et ce, notamment, en raison de l'absence de demande liée au prix élevé de l'hydrogène bas carbone, en moyenne trois fois plus cher que l'hydrogène gris. Quelques semaines plus tard, une étude menée par le CEA révélait que la demande des industriels européens en hydrogène décarboné devrait atteindre 2,5 millions de tonnes à l'horizon 2030, soit presque dix fois moins que l'objectif de consommation visé par Bruxelles.

« Après des annonces tous azimuts, avec une vision de l'hydrogène qui pourrait se développer très largement, nous constatons que certains secteurs industriels comme l'acier, les engrais, la chimie et les e-fuels avancent. (...) D'autres rencontrent plus de difficultés. Nous allons adapter la vitesse de développement de nos projets à la réalité concrète du terrain», défend Sandrine Meunier.

Dans les détails, le projet, qui doit être mis en service fin 2027, représente un investissement total de 110 millions d'euros. GRTgaz le financera sur fonds propres à hauteur de 40 millions d'euros tandis que son partenaire allemand Creos doit prendre en charge les 70 millions d'euros restants. Ce dernier espère décrocher le feu vert de Bruxelles pour bénéficier d'une subvention publique fédérale dans le cadre d'un Projet important d'intérêt européen commun (Piiec).

70 kilomètres de canalisations existantes à convertir

Sur un réseau de 90 kilomètres, 20 kilomètres seront construits ex nihilo tandis que 70 kilomètres reposeront sur des canalisations déjà existantes, initialement dédiées au transport de gaz naturel. Elles feront l'objet d'une conversion. « Cela nous permet de diviser par deux les coûts d'investissements comparé à la construction d'un réseau d'hydrogène neuf », assure Anthony Mazzenga, directeur développement chez GRTgaz. Par ailleurs, « si cette canalisation ne faisait pas l'objet d'une conversion, elle n'aurait plus d'utilité et il aurait sans doute fallu la démanteler, ce qui représente un coût à supporter pour les utilisateurs de gaz. Nous sommes sur un chemin gagnant-gagnant », poursuit-il.

Des investissements devront toutefois être engagés afin de modifier les conditions d'exploitation de la canalisation et adapter un certain nombre d'équipements, en particulier « les vannes », explique le gestionnaire. « Les compresseurs doivent aussi être changés et il faut les multiplier en raison de la faible densité de l'hydrogène. Ces derniers consomment davantage d'électricité car il faut faire circuler l'hydrogène trois fois plus vite », pointe Cédric Philibert, chercheur associé au Centre Énergie et Climat de l'Institut français des relations internationales (Ifri). A terme, le tarif de transport de la molécule devrait osciller dans une fourchette de 11 à 21 centimes d'euro par kilogramme d'hydrogène les 1.000 kilomètres.

Cette canalisation servira dans un premier temps l'aciériste allemand Stahl-Holding-Saar (SHS), qui prévoit de basculer son procédé de production à l'hydrogène bas carbone. A l'horizon 2030, l'industriel entend consommer 50.000 tonnes d'hydrogène par an, soit 80% de la capacité de transport de la future canalisation. Pour la capacité restante, GRTgaz espère que d'autres consommateurs d'hydrogène se manifesteront.

« Si GRTgaz mise sur des acteurs de la mobilité cela peut être inquiétant car dans ce domaine d'application, les projets se dégonflent partout », relève Cédric Philibert.

Un futur réseau européen... déjà critiqué

Reste que MosaHYc n'est pas un cas isolé. GRTgaz planche sur d'autres projets de canalisations en France, comme rHyn ou encore HYnframed, et des vastes projets de pipes, à l'image d'H2Med, devant relier l'Espagne à l'Allemagne. « Nous avons, au total, un portefeuille de projets de 7 milliards d'euros », explique le gestionnaire, qui demeure toutefois plus prudent sur les échéances initialement visées pour les plus grands projets. « En fonction des retours du marché, nous serons amenés à éventuellement ajuster la date de 2030 », reconnaît Anthony Mazzenga.

Cédric Philibert est bien plus critique à l'égard de l'utilité supposée de ces immenses infrastructures. « L'hydrogène va essentiellement servir pour la fabrication d'ammoniac, d'éthanol, pour réduire le minerai de fer et éventuellement pour faire des e-fuels. Tous ces produits voyagent infiniment plus facilement que l'hydrogène lui-même », pointe-t-il.

Juliette Raynal

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Commentaires 3
à écrit le 12/04/2024 à 8:25
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Demain, plus tard, attendre: Bienvenu en UERSS, empire prévu pour durer mille ans.

à écrit le 11/04/2024 à 12:45
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"A terme, le tarif de transport de la molécule devrait osciller dans une fourchette de 11 à 21 centimes d'euro par kilogramme d'hydrogène les 1.000 kilomètres." 1 kg d'H2 a un pouvoir calorifique (PC) de 33 kWh thermique et peut produire in finé aut...

à écrit le 11/04/2024 à 8:44
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On est toujours sur la même erreur dogmatique d'une création de l'offre, au lieu d'une adaptation à répondre à une demande réelle !

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