Seine-Saint-Denis. Une journée avec Fouad Ben Ahmed, le fondateur de "Plus sans ascenseurs"

À travers la Seine-Saint-Denis, Fouad Ben Ahmed, expert en mobilité verticale, aide les personnes bloquées chez elle. Actu Seine-Saint-Denis est allée à sa rencontre.

Fouad Ben Ahmed aide les habitants des immeubles à se déplacer lorsque leurs ascenseurs sont en panne.
Fouad Ben Ahmed aide les habitants des immeubles à se déplacer lorsque leurs ascenseurs sont en panne. (©AM/Actu Seine-Saint-Denis)
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À bord de sa petite camionnette blanche, sillonnant la Seine-Saint-Denis, Fouad Ben Ahmed pourrait passer pour quelqu’un d’anodin. Pourtant, il est un élément crucial dans la vie de beaucoup d’habitants du département, et bien au-delà.

Âgé d’une quarantaine d’années, Fouad Ben Ahmed est un expert de la mobilité verticale. A travers l’association « Plus sans ascenseurs » qu’il a fondée, il s’évertue à assurer le déplacement de personnes en incapacité physique de chez elles à la porte de leur domicile.

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Si l’objectif parait simple, la réalité s’avère plus dense et complexe. Faire le pont entre un bailleur immobilier, des locataires et une mairie concernant la réparation d’ascenseurs en panne depuis des mois, transporter une personne grabataire vivant au quatrième étage d’un immeuble sans ascenseur… C’est l’une des nombreuses missions de Fouad Ben Ahmed.

Un homme à l’écoute de nombreuses familles

Pour les mener à bien, tout part de son bureau : sa camionnette. « Comme je suis souvent sur la route pour intervenir, j’y passe beaucoup de temps. Je fixe mes rendez-vous au téléphone et je fonce. » Montée à bord de son véhicule, la rédaction d’Actu Seine-Saint-Denis peut l’assurer : son rythme est intense. Le tout dans le respect du code de la route, bien entendu.

Premier arrêt du jour : le Bourget (Seine-Saint-Denis). Une famille vivant dans un immeuble HLM sans ascenseur l’a contacté. Au pied de la tour, son regard s’aiguise aussitôt. Là où toute personne valide ne verrait que des marches et une cage d’escalier classique, lui y voit immédiatement des difficultés liées au déplacement.

Fouad Ben Ahmed
Grâce aux fauteuils de Fouad Ben Ahmed, de nombreuses personnes bloquées chez elles retrouvent leur liberté. (©AM/Actu Seine-Saint-Denis)

Au quatrième étage, madame Pascal* lui ouvre sa porte. Elle le reçoit avec un accueil franc. Son visage est souriant, même si l’angoisse et les soucis s’y lisent. Cela fait quatre ans qu’elle demande un relogement à sa mairie. Mère de trois enfants, l’une de ses filles est atteinte d’une dégénérescence musculaire. Elle ne peut pas prendre l’escalier. « Elle a bientôt sept ans et pèse 28 kilos. Je dois la porter à bout de bras, au moins trois fois par jour, au minimum », déplore-t-elle.

Sa maladie s’est développée il y a trois ans et depuis, les requêtes de madame Pascal à la mairie du Bourget sont restées lettre morte. « Ils ne répondent plus au téléphone, et quand j’arrive à obtenir un rendez-vous, il est parfois annulé une demi-heure avant. »  D’un air concentré, Fouad écoute la doléance de l’habitante, en recherchant les noms de l’équipe municipale en ligne.

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Foued Ben Ahmed
Motorisés, les fauteuils roulants de Fouad Ben Ahmed permettent de parcourir les escaliers sans fatiguer qui que ce soit. (©AM/Actu Seine-Saint-Denis)

« Est-ce que vous voulez que je contacte la mairie ? », lance-t-il. Ni une, ni deux, il dégaine un mail type de mise en demeure, à l’attention de la municipalité.  L’opposition politique locale y est mise en copie. « Ça fait tout de suite bouger les choses », explique-t-il.

Prudent, il indique que ce genre de démarche, une fois lancée, tend très vite les parties adverses. « Il faut toujours jouer la carte de l’apaisement en premier », assure-t-il. Madame Pascal acquiesce, en indiquant qu’un autre rendez-vous avec la mairie est prévu courant décembre. « Attendons ce rendez-vous, et nous aviserons par la suite », conclue-t-il. 

Un partenaire du quotidien

Sur la voie du départ, il la salue, en assurant de rester en contact avec elle. Et aussi rapidement qu’il est arrivé, il se dirige vers d’autres habitants. C’est au Blanc-Mesnil qu’il marque son prochain arrêt.

« Comment tu vas, Fouad ? Tu maigris ! », lui lance, taquine, la fille d’une mère à qui il vient porter assistance. Habitant au 2ème étage d’un immeuble, cette dame d’une cinquantaine d’années peine à prendre les escaliers. Ses sorties sont donc limitées au minimum, dont les visites médicales. Cela, c’était avant les interventions de Fouad. À l’aide d’un fauteuil roulant motorisé adapté à la montée et descente d’escaliers, il parvient à la faire descendre sans peine. « Je suis passé la voir environ une quarantaine de fois », se remémore-t-il. « Et ça change la vie », glisse-t-elle.

Fouad Ben Ahmed peut aider une à cinq personnes en une journée.
Fouad Ben Ahmed peut aider une à cinq personnes en une journée. (©AM/Actu Seine-Saint-Denis)

À Sevran, c’est dans une tour de 10 étages qu’il doit intervenir. Là encore, il s’agit d’une femme grabataire qui nécessite des soins à l’extérieur. L’ascenseur de l’immeuble est en panne depuis plusieurs semaines. « Ça arrive fréquemment, indique un résident. Il y a parfois des personnes qui ne sortent plus de chez elles. » Le fauteuil roulant motorisé ne sera pas de trop. 10 étages à monter la chaise, 10 étages pour la descendre, avec une personne dedans. « Il faut compter environ une minute pour passer un étage », explique-t-il.

Entre deux paliers, une voisine prend des nouvelles de Fouad Ben Ahmed. L’échange est amical. Elle aussi a bénéficié de son aide, comme deux autres personnes du même immeuble. « C’est quelqu’un de très gentil », glisse-t-elle sur le pas de sa porte.

Une fois la vingtaine d’étages passée, il passe le relai à la famille de la personne transportée, qui se chargera de l’amener chez le médecin. Il les quitte sous des remerciements appuyés. Et il repart, parfois dans un autre quartier, ou dans une autre ville. L’intervention se sera déroulée sans que la dame n’aie à sortir un seul sou de sa poche. Via la société Solution à mobilité Verticale (SAMV), qu’il a établi en parallèle de « Plus sans ascenseurs », ce sont les bailleurs, les centres communaux d’action sociale (CCAS) ou encore les mairies qui l’ont mandaté qui rémunèrent la prise en charge.

Une dévotion qui prend du temps

Déplacements, réunions avec des mairies ou des bailleurs, achat de matériel : tel est le quotidien de Fouad Ben Ahmed depuis 2016. C’est à ce moment que « sa nouvelle vocation » s’est lancée, par une panne d’ascenseur à Bobigny. Une de ses connaissances vivait dans un immeuble de sept étages, avec un ascenseur défectueux depuis huit semaines. « Elle était en fauteuil roulant et donc, ne pouvait plus sortir de chez elle », dit-il. « Quand j’ai appris cela, ils annonçaient encore huit semaines pour la réparation. » Un délai insoutenable pour Fouad Ben Ahmed. Avec quelques personnes, il s’active. Mobilisations chez l’ascensoriste, sollicitation des médias… Les résultats sont immédiats.

« De huit semaines de réparation, on est passé à huit jours. » Et la machine « Plus sans ascenseurs » fut lancée. Appelés à intervenir ici et là, des collectifs ont essaimé dans toute la France. S’ils portent bien le nom de « Plus sans ascenseur », ils sont gérés de façon autonome, détaille Fouad Ben Ahmed. « Ça a commencé dans les HLM, mais maintenant, on opère partout. »

Fouad Ben Ahmed
Qu’ils soient droits ou en colimaçon, les fauteuils de Fouad Ben Ahmed accomplissent leur mission aisément. (©AM/Actu Seine-Saint-Denis)

Pour la Seine-Saint-Denis et la petite couronne, Fouad Ben Ahmed est épaulé par huit personnes qui interviennent là où les gens ne peuvent plus sortir. La tâche reste immense. Fouad Ben Ahmed dit « voir environ une à cinq personnes par jour ». Et cela, du lundi au dimanche, avec une notion floue des week-ends, vacances et jours fériés.

« Cela me prend du temps de famille, mais ils sont compréhensifs et m’aident un peu. »  Fonctionnaire, il s’est mis en indisponibilité depuis peu pour pouvoir se consacrer à sa mission. Avant, c’était sur son temps de pause, en dehors du travail qu’il assistait autrui et avec ses propres deniers. « Depuis juillet 2020, j’ai investi environ 20 000 euros dans l’achat des fauteuils et tout ce qu’il en suit. » Les fauteuils qu’il utilise coûtent environ 7 000 euros à l’unité.

Les yeux sous la route, mais toujours l’esprit concentré sur sa prochaine visite, Fouad Ben Ahmed est bien loin de l’amateurisme des débuts. Une intervention au Sénat, une pétition ayant récolté plus de 150 000 signatures et diverses apparitions sur les plateaux télévisés l’ont conforté dans ses idéaux. Ses détracteurs des premiers jours en sont depuis restés coi.  « Quand je me suis lancé, on me disait que je m’attaquais à un dossier indéboulonnable. Maintenant, j’interviens sur tout ce qui porte sur la mobilité verticale des personnes isolées. Leur faire porter des courses, sortir les poubelles, promener leurs chiens… « 

Le médical est aussi un cheval de bataille. « Des patients qui ne peuvent se rendre à leurs rendez-vous, cela crée des ruptures de soin. Je veux mettre fin à cela. » Un projet ambitieux, auquel Fouad Ben Ahmed semble bien parti pour y arriver.

*Les noms et prénoms ont été modifiés. 

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