« Des islamistes ont attaqué le presbytère avec des fusils automatiques » : le calvaire des chrétiens du Nigeria

Envoyé spécial au Nigeria Samuel Pruvot

Société

« Des islamistes ont attaqué le presbytère avec des fusils automatiques » : le calvaire des chrétiens du Nigeria
PHOTO E. OSODI - ZUMA PRESS - REA POUR FC

Photos : E. OSODI - ZUMA PRESS - REA pour FC

Ce jeune paroissien de Saint-Anthony, à Yangoji, à une heure de la capitale nigériane, s’apprête à recevoir le sacrement de la confirmation. Il sera ensuite témoin de sa foi dans un pays sous pression islamiste.

« Nous sommes encore traumatisés », confie un paroissien de Saint-Anthony. Le village de Yangoji est situé au bout d’une piste poussiéreuse et rougeoyante, à une bonne heure d’Abuja, la capitale du Nigeria. Ici, on se souvient comme hier du kidnapping du Father Matthew. C’était un soir de novembre 2020. Des nomades du groupe Fulani – appelés aussi Peuls – sont arrivés à pied, armés jusqu’aux dents, devant le presbytère. Ils ont défoncé la porte pour le capturer. « Il y a eu des tirs et on a eu très peur. Father Matthew a été obligé de suivre les bandits pieds nus. » Une marche forcée de trois jours jusqu’à un campement perdu dans la brousse.

Ce dimanche, l’archevêque d’Abuja, Mgr Ignatius Kaigama est de retour dans cette paroisse meurtrie. Les fidèles sont très nombreux au rendez-vous, venus d’une vingtaine de localités alentour, après avoir marché sous le soleil écrasant de la saison sèche. Joyeusement rassemblés dans une église qui ressemble à un grand hangar de ferme, les paroissiens trépignent d’impatience. L’arrivée de l’archevêque est saluée par un exubérant cortège de boubous qui ondulent au rythme des cantiques en dialecte haoussa.

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L’église Saint-Anthony est pleine pour accueillir l’archevêque d’Abuja. Celui-ci vient visiter les paroissiens, encore traumatisés par l’enlèvement de leur curé en novembre 2020.

Une rançon exorbitante

Pendant l’office – qui dure plus de trois heures –, le pasteur encourage ses brebis : « Je sais que vous avez beaucoup souffert… Votre curé a été kidnappé et nous remercions Dieu de l’avoir sauvé des mains de ses agresseurs. Prions pour que cela n’arrive plus jamais ! » Il faut dire que la famille du Father Matthew a payé une rançon exorbitante, comme bien d’autres villageois contraints parfois de vendre leur maison pour sauver l’un des leurs. Selon l’index mondial de la persécution publié en janvier par l’association protestante Portes Ouvertes, cet immense pays d’Afrique de l’Ouest demeure celui où « le plus grand nombre de chrétiens sont tués ou kidnappés ». Huit chrétiens sur dix tués dans le monde l’ont été au Nigeria entre le 1er octobre 2022 et le 30 septembre 2023.

Comment ne pas être hanté par ce drame ? « Du point de vue humain, nous avons forcément peur », avoue le Father Nicolas, qui a pris la suite de l’ancien curé de Yangoji. « Mais, du point de vue de la foi, nous savons que Dieu est notre protecteur. » La dernière attaque dans le secteur de la paroisse Saint-Anthony remonte au 22 mars 2023 : sept personnes ont été kidnappées et trois ont trouvé la mort à cause des Fulani. La persécution, légitimée par l’idéologie islamiste du groupe Boko Haram et de ses affidés, se mélange souvent sur place avec le banditisme. Et pourtant, ce régime de terreur n’entame en rien l’enthousiasme contagieux des fidèles de Saint-Anthony. Pour preuve, la présence de soixante-dix-huit confirmands, dont beaucoup de jeunes adultes. « Prions pour que Dieu transforme le cœur des terroristes, conclut Mgr Kaigama d’une voix calme. Prions aussi pour qu’Il touche nos dirigeants corrompus. »

Comment ce géant d’Afrique qu’est le Nigeria est-il tombé si bas ? « Nous avons un pays laïc où vivent autant de musulmans que de chrétiens, explique Michael Enwere, directeur général de CTV, la télévision catholique. Les politiciens attisent les différences ethniques et religieuses : ils divisent pour mieux régner ! » L’homme de média redoute de perdre, un jour, prochain sa licence de journaliste à force de dénoncer les attaques islamistes. Il estime que la situation a empiré depuis la dernière élection présidentielle en 2023, qui a vu la victoire contestée de Bola Tinubu. Pour la première fois, le pouvoir n’est plus partagé entre musulmans et chrétiens. À 71 ans, le nouveau président est particulièrement attendu sur le dossier sécuritaire. Ce musulman, marié à une chrétienne est lui-même la cible des fondamentalistes. Récemment, un imam prônait l’assassinat de son épouse !

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Le pasteur James a été amputé de la main droite en 1992, en défendant une église lors d’une attaque des islamistes. Maintenant, il veut les évangéliser en leur montrant « un excès d’amour », et refuse de céder à l’engrenage infernal de la violence dans son pays.​​​​​​​ / S. PRUVOT

 

Depuis des années, l’islamisme s’étend comme une lèpre en direction du sud. Il touche désormais la région plus calme d’Abuja, comme l’explique le Father Patrick, curé de la nouvelle paroisse Saint-Louis : « J’ai été frappé par ce qui est arrivé à un ami prêtre, qui exerçait aux confins de notre diocèse. Il avait obtenu le droit d’utiliser une arme à feu en raison de l’insécurité. Des islamistes ont attaqué son presbytère avec des fusils automatiques et lui a riposté en tirant depuis sa fenêtre ! Après des tirs nourris, les assaillants sont repartis bredouilles, faute de munitions. » La frontière entre islam et islamisme est mince au Nigeria. « Parmi les musulmans, 30 % sont proches des islamistes, estime Michael Enwere, 20 % sont modérés et 40 % sont prêts à verser d’un côté ou de l’autre. » Cette versatilité a de quoi inquiéter : « Le gouvernement ne protège pas les populations, poursuit le journaliste. La majorité des gens au pouvoir sont des musulmans qui jouissent d’un sentiment d’impunité. Pour être populaires, ils ferment les yeux sur les exactions des islamistes. Ils ne font rien pour poursuivre et arrêter les coupables. »

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Au nord du Nigeria, les communautés chrétiennes vivent dans une insécurité permanente.

Plus de 200 élèves enlevés le 7 mars

Très présents dans le nord du pays, les islamistes se cachent au milieu de la population. « Ils estiment que les chrétiens ne croient en rien et qu’ils méritent d’être punis, précise Michael Enwere. Le propre de Boko Haram est de détester la culture occidentale. » À 170 kilomètres au nord d’Abuja, à Kaduna, une ville majoritairement musulmane, cette haine est palpable. C’est dans cet État que des hommes armés ont enlevé plus de 200 élèves lors d’une attaque, le 7 mars, contre l’école de Kuriga… La route populeuse et défoncée qui mène à cette zone instable a été surnommée « la route des kidnappings ». Le grand séminaire du Bon-Pasteur se trouve sur cet axe maudit. En 2020, Boko Haram a carrément encerclé le séminaire. Des djihadistes ont enlevé trois séminaristes, dont Michael Nnadi, brutalement assassiné à force de prêcher le repentir à ses agresseurs. Son procès en béatification est en cours. C’est justement à Kaduna que le pasteur James, pentecôtiste, a fondé un improbable centre de dialogue interreligieux. L’itinéraire époustouflant de ce témoin du Christ a un caractère prophétique dans un pays où chrétiens et musulmans se regardent avec méfiance. « Lorsque j’étais plus jeune, j’ai fondé une milice d’autodéfense chrétienne. Notre rôle était de protéger les églises, quelle que soit leur dénomination religieuse. »

Dans cette ancienne colonie britannique, le protestantisme représente une part importante de la mosaïque religieuse. En 1992, lors d’une attaque des islamistes, James a été amputé de la main droite. Il montre sa prothèse en confessant : « Dans le passé, je détestais les musulmans. J’aurais pu les tuer sans aucun remords à cause du mal qu’ils faisaient aux miens. Je suis devenu un homme de paix. »

« Passer à l'offensive, non ! »

À 64 ans, le pasteur James mesure désormais l’engrenage infernal de la violence. « Il faut apprendre à se maîtriser, nous dit la Bible. Si tu franchis la ligne rouge, si tu laisses libre cours à la haine, alors c’est fichu… Se défendre est légitime, mais passer à l’offensive, non ! » James a connu un véritable chemin de Damas, en 1995, alors qu’il voulait devenir missionnaire à Kaduna. Sa hiérarchie lui a donné un avertissement salutaire : « Tu vas avoir du mal à lancer une mission chez des gens que tu détestes ! Comment pourras-tu leur parler de l’amour de Dieu ? Tu dois aimer les musulmans pour les évangéliser. »

Les exactions commises par les groupes Fulani et Boko Haram ne diminuent pas dans la région. Mais James a déposé les armes : « Tu peux détruire ton ennemi autrement qu’avec des fusils… Ils ne peuvent rien contre un excès d’amour ! Nous devons leur manifester cet amour de Dieu, incompréhensible pour eux. » Il cite en exemple l’hôpital catholique Saint-Gerald, non loin de sa maison, seul et unique établissement du district à soigner les malades avant de facturer les soins… Pour autant, James n’est pas un naïf. Il évoque la tentative d’enlèvement qui a eu lieu quatre jours auparavant, dans la banlieue de Kaduna : « Tout s’est mal terminé : les Fulani, armés de fusils automatiques AK-47, ont décimé toute une famille. » Les djihadistes, contrairement à James, ne désarment pas : « Quand ils capturent des chrétiens, il leur arrive de les entasser dans des huttes où ils jettent des serpents venimeux ! Ou alors les ravisseurs réclament des millions de nairas [la monnaie nigériane, Ndlr]. Si tu ne paies pas, tu meurs. Et quand tu paies, tu peux mourir aussi ! » Cette situation extrême pousse les baptisés à se surpasser : « Nous devons inaugurer une nouvelle manière d’évangéliser les musulmans, conclut James, une manifestation concrète de l’amour puissant du Christ pour eux. » L’amour n’est-il pas fort comme la mort selon le Cantique des Cantiques ? James le sait d’expérience

À Makurdi, des réfugiés sans refuge

Samuel Pruvot

Société
<p>Le camp d’Ichuaa est un véritable enfer au quotidien, où les réfugiés ne reçoivent aucune aide de l’État.</p>

Le camp d’Ichuaa est un véritable enfer au quotidien, où les réfugiés ne reçoivent aucune aide de l’État.

- S. PRUVOT

Les fermiers chrétiens chassés de leurs terres par des « bandits » Fulani sont plus de deux millions à vivre dans des camps à Makurdi. Récit à vif.

Le camp d’Ichuaa est un véritable enfer au quotidien, où les réfugiés ne reçoivent aucune aide de l’État. / S. PRUVOT

Dès le matin, le soleil tape dur sur le camp d’Ichuaa. À la saison sèche, le mercure s’envole rapidement au-dessus des 40 °C. À l’entrée se trouve un petit marché où les réfugiés vendent de maigres légumes. Le jeune responsable du camp est fier de s’appeler Abraham : « Le père d’une multitude », précise-t-il. Des fils électriques traversent le camp à hauteur d’homme, alors que les enfants slaloment dans cet amoncellement de huttes biscornues. Prisonniers d’une fournaise inhumaine, les réfugiés manquent de tout, même d’un petit coin d’ombre. À Makurdi, dans la ceinture centrale du Nigeria, plus de deux millions de fermiers chassés de leurs terres endurent un provisoire qui dure depuis de longues années. Abandonnés par l’État, arrachés à leurs villages, ces chrétiens nigérians sont victimes d’une persécution ouverte. Leurs ennemis ? Les éleveurs Fulani – de confession musulmane –, qui volent sans vergogne les terres de ces modestes cultivateurs d’igname, ce tubercule riche en vitamines, très populaire en Afrique. Les tensions sont monnaie courante aujourd’hui, notamment dans l’État de Benue, dont la capitale est Makurdi.
 

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Dans ce camp survivent plus de neuf cents familles, au milieu d’un amoncellement de huttes biscornues. / S. PRUVOT

 

Les attaques se multiplient au rythme du réchauffement climatique et de la désertification. La route entre la capitale Abuja et Makurdi est toute neuve. Elle traverse des paysages verdoyants, où l’on aperçoit des troupeaux et des huttes traditionnelles. Mais la magnifique quatre-voies est régulièrement barrée par de gros troncs d’arbres ou des sacs de sable empilés. Un checkpoint est abandonné, un autre gardé par des hommes en uniforme, le suivant hanté par des civils à l’allure plus ou moins patibulaire. En théorie, ces ralentisseurs anarchiques sont faits pour dissuader les exactions des « bandits » – des Fulani qui n’hésitent pas à kidnapper les voyageurs pour obtenir des rançons. Mais, au Nigeria, il est toujours difficile de faire la part entre l’appât du gain facile et le fondamentalisme religieux.

À Makurdi, le principal défi demeure l’accueil des populations déplacées. « Les problèmes sont anciens, explique le Father Moses, responsable dans le diocèse de la Fondation pour la justice, le développement et la paix (FJDP). L’installation du premier camp – Chito – remonte à 2001 ! » Il poursuit avec une colère rentrée : « Rien n’a été fait par les autorités, les choses ont même empiré. Les premiers réfugiés n’ont jamais pu revenir chez eux et d’autres sont arrivés. Le gouvernement camoufle les choses en parlant de problèmes économiques, alors que nous sommes clairement face à des persécutions religieuses. Pourquoi les maisons des chrétiens sont-elles brûlées ? Pourquoi les victimes sont-elles toutes chrétiennes ? » Le Father Moses ajoute : « Les massacres de chrétiens et la destruction des églises ont commencé au tout début du XXe  siècle. Les attaques des Fulani n’ont jamais vraiment cessé. »
 

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Hélène est une volontaire catholique, qui œuvre chaque jour auprès des réfugiés.​​​​​​​ / S. PRUVOT​​​​​​​

 

Figée devant sa hutte faite de bric et de broc, posée à même la roche brûlante, la vieille Paulina scrute l’horizon. Son histoire dramatique est l’archétype de toutes les autres. Cette grand-mère de 67 ans raconte qu’elle a été contrainte de fuir Guma avec toute sa famille, il y a cinq ans. Elle a échappé aux Fulani qui ont tué son mari. Paulina a bien essayé de revenir chez elle, mais elle a été menacée de mort. Elle endure la situation avec dignité, figée comme une statue d’ébène, en attendant des aides officielles qui n’arrivent pas. Selon l’Organisation internationale pour la migration, qui dépend des Nations unies, 932 familles vivraient ici, soit environ 3 150 personnes. « Un nourrisson est né hier, se réjouit Hélène, une jeune catholique rayonnante de la FJDP qui visite chaque jour le camp d’Ichuaa.Nous apprenons aux réfugiés à fabriquer des chaussures ou des robes. Avec le peu d’argent qu’ils gagnent, ils peuvent acheter de la nourriture pour la journée… C’est vital, car la plupart d’entre eux ne reçoivent aucune aide officielle. Tous rêvent de pouvoir revenir chez eux, de revoir la terre de leurs ancêtres. Mais revenir, à cette heure, c’est pour eux la mort assurée. »

Mgr Ignatius Kaigama : « Mon cœur est traversé par une épée »

Propos recueillis par Samuel Pruvot

Témoignages
<p>Mgr Ignatius Kaigama, archevêque d’Abuja, dénonce les discriminations politiques dont font l’objet les chrétiens au Nigeria.</p>

Mgr Ignatius Kaigama, archevêque d’Abuja, dénonce les discriminations politiques dont font l’objet les chrétiens au Nigeria.

- E. OSODI - ZUMA PRESS - RÉA POUR FC

L’archevêque d’Abuja, Mgr Ignatius Kaigama, dénonce avec force les persécutions et les discriminations dont sont victimes les chrétiens dans le nord-ouest du pays.

Mgr Ignatius Kaigama, archevêque d’Abuja, dénonce les discriminations politiques dont font l’objet les chrétiens au Nigeria. / E. OSODI - ZUMA PRESS - RÉA pour FC

Le Nigeria reste le premier pays, dans le monde, où les chrétiens sont persécutés. Pourquoi ?

Notre Église traverse des temps bien difficiles. Nous devons toujours faire face à de multiples attaques contre des prêtres et des églises. Il y a aussi de nombreux enlèvements et une insécurité quasi permanente pour ceux qui annoncent l’Évangile. Les tensions se manifestent surtout dans les grands moments liturgiques comme Pâques. Il faut alors redoubler de prudence, car ces périodes sont propices aux attaques des djihadistes. Ce fut le cas, à Noël dernier, dans l’État du Plateau [des insurgés islamistes ont alors massacré 200 personnes et fait 500 blessés, en attaquant 26 villages différents en l’espace de trois jours, Ndlr].

Tristes records : Dans le nord du Nigeria, les non-musulmans sont victimes de discriminations « légalisées » en raison de l’interprétation de la charia, indique l’AED. Selon l’Index mondial de persécution des chrétiens, établi par l’association protestante Portes Ouvertes, le pays le plus peuplé d’Afrique est aussi celui « où le plus de chrétiens sont tués et […] kidnappés ».

Pendant sa campagne, le président Tinubu avait promis de rétablir la sécurité. La situation a-t-elle changé depuis son élection, en 2023 ?

Non. Je sors d’une réunion provinciale avec les évêques de Jos, Kaduna et Abuja. Nous avons échangé beaucoup d’informations précises sur la criminalité et l’insécurité. Et je dois malheureusement vous dire que les exactions contre les chrétiens ne diminuent pas. Vous déplorez également une confiscation du pouvoir par les musulmans.

De quoi s’agit-il exactement ?

Dans un pays où les chrétiens et les musulmans représentent la même part de la population, pourquoi les musulmans occupent-ils tous les pouvoirs ? C’est un grave sujet de préoccupation pour les chrétiens. Dans le régime précédent, déjà, sous la présidence Buhari, tous les postes importants étaient confiés à des musulmans : l’éducation, la sécurité, l’armée, les prisons, l’immigration, etc. 

Les chrétiens sont-ils victimes de discriminations ?

Oui. L’État devrait assurer aux chrétiens un minimum de sécurité… mais ce n’est pas le cas. Que fait le gouvernement ? Les persécutions ne se limitent pas au fait qu’un djihadiste prenne un couteau pour vous égorger. Chez nous, celles-ci ne sont pas uniquement physiques : elles passent aussi par des discriminations politiques. Dans certains États du Nord, les chrétiens n’ont pas le droit de déployer leurs propres médias ni de subventionner leurs écoles, ils n’ont pas accès à des aumôneries ou à des lieux de prière à l’université, ils sont rejetés de certains emplois publics, etc.

Cette persécution, ouverte ou larvée, est-elle nouvelle ?

Dès 2009, les fondamentalistes islamistes ont fait l’actualité, ici. Depuis, les chrétiens souffrent d’incessantes attaques irrationnelles. L’évêque catholique de Maiduguri [dans la province de Jos, Ndlr] a pris sa charge au moment où le groupe terroriste Boko Haram a commencé ses terribles exactions. Il a dû traverser toutes ces horreurs : le meurtre de ses prêtres et l’exode forcé de ses fidèles…

Avez-vous connu la même expérience amère ?

Durant ma vie sacerdotale, j’ai aussi traversé de nombreuses crises à cause des islamistes. Je pense au diocèse de Jos, dans l’État du Plateau, où j’ai passé une vingtaine d’années. Les attaques et les meurtres ont débuté quand j’y ai été nommé évêque… et cela n’a jamais cessé depuis. Cette insécurité remet en cause la liberté religieuse. À cause de la probabilité des attaques, On ne célèbre plus la Vigile pascale pendant la nuit mais en plein jour.

La persécution contre les chrétiens est-elle partout la même au Nigeria ?

Nous souffrons en tant que chrétiens, mais je ne veux pas généraliser. Tous les chrétiens ne sont pas persécutés au Nigeria. Les problèmes sont très différents en fonction des régions. Au sud-est du pays, chez les Ibos [des agriculteurs qui cultivent le manioc, Ndlr], les musulmans sont nombreux mais ils restent plus libéraux et tolérants. La persécution, aujourd’hui, est un phénomène qui se manifeste principalement dans le Nord-Ouest. Je pense notamment à l’État du Plateau ou à celui de Benue. Mais quand on additionne toutes les attaques qui surviennent dans ces régions, on est obligé de constater que les chrétiens sont pris pour cible sans raison.

Cette situation vous affecte-t-elle personnellement, en tant que pasteur ?

Évidemment. Quand certains de mes fidèles sont attaqués, c’est moi qu’on attaque ! À chaque fois qu’un prêtre est tué, que des chrétiens sont attaqués, que des bâtiments religieux sont mitraillés, c’est comme une épée qui me traverse le cœur… Je ne peux plus ni manger ni dormir.

Aide à l’Église en détresse : ne jamais céder au défaitisme

Samuel Pruvot

Société
<p>L’AED finance une centaine de projets au Nigeria.</p>

L’AED finance une centaine de projets au Nigeria.

- E. OSODI - ZUMA PRESS - RÉA POUR FC

Avec son islamisation galopante, le Nigeria est une priorité pour l’AED. Le point avec Benoît de Blanpré, son directeur en France.

L’AED finance une centaine de projets au Nigeria. / E. OSODI - ZUMA PRESS - RÉA pour FC

Un malheur arrive rarement seul. Au Nigeria, la désertification au nord du plus grand pays d’Afrique s’accompagne d’une poussée constante du djihadisme. « L’Église, avec laquelle nous sommes en contact permanent, nous dit qu’il y a un véritable projet d’islamisation du Sahel, prévient Benoît de Blanpré, directeur de l’Aide à l’Église en détresse (AED) en France. Le Nigeria, hélas, n’échappe pas à ce plan “systémique et systématique” selon les mots d’un évêque nigérian. »

Fondé au Nigeria, le mouvement terroriste Boko Haram incarne cette volonté d’expansion fondée sur la terreur : « Douze États du nord du pays ont adopté des codes pénaux fondés sur la charia, contribuant à faire croître la peur, la suspicion et la délation envers les chrétiens. » La situation n’est ni simple ni homogène. « Les chrétiens du Nord souffrent profondément, tandis que ceux du Sud sont, pour le moment, relativement épargnés par la violence. D’autre part, les causes de cette violence sont nombreuses et entremêlées : djihadisme, banditisme, conflits ethniques, grande pauvreté, corruption, etc. Les chrétiens en sont parfois les cibles directes, parfois les malheureuses victimes collatérales. »

Une chose est certaine, les persécutions ouvertes continuent de frapper des innocents dans le Nord. Et le premier objectif de l’AED est de briser ce silence mortifère, comme l’explique son directeur : « Nous devons faire connaître la situation extrêmement difficile que subissent de très nombreux chrétiens sur place. L’information est notre première mission. Nous voulons dire aux chrétiens du Nigeria que nous ne les oublions pas. Je me souviens être arrivé au Nigeria le jour où l’ambassade américaine évacuait tous ses ressortissants en raison d’un risque accru d’attentat… Nous avons rencontré l’archevêque d’Abuja, qui nous a dit que notre venue “au milieu de la peur” était pour son diocèse un immense réconfort. Le simple fait d’être présent, au cœur de la détresse, est un signe concret de fraternité et d’attention. »

Pour l’AED, le Nigeria fait donc partie des priorités. En 2023, plus d’une centaine de projets au service de l’Église ont été soutenus sur place. « Face au nombre élevé des victimes des violences terroristes, nous nous engageons pour la formation thérapeutique de prêtres et religieuses afin qu’ils aident les personnes traumatisées. Nous soutenons aussi ces prêtres victimes d’enlèvement. » Une partie des dons reçus est également consacrée à la formation des séminaristes qui sont nombreux, à la reconstruction de lieux de culte détruits par les djihadistes, ainsi qu’au soutien de projets de travaux de clôtures pour protéger les monastères et les séminaires contre les agressions. Pour Benoît de Blanpré, le défaitisme ne doit pas être de mise : « J’aime ces mots de Mgr Dami Mamza, évêque de Yola, lors de ma dernière mission sur place : “Faites savoir aux Français que notre première qualité, c’est la joie ! Dites-leur que notre espérance est bien plus grande que nos problèmes !” »

Pour venir en aide à l’Église du Nigeria : don.aed-france.org

Envoyé spécial au Nigeria Samuel Pruvot