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Musique : au royaume du vinyle triomphant

ICONIQUE. Aux Pays-Bas, un salon réunissait tout ce week-end les amoureux des inusables 33 et 45 tours. Un marché à l’insolente vitalité, envers et contre tout.

Jean-François Pérès
Auparavant à Utrecht, le plus grand salon de disques du monde se tient à Den Bosch depuis 2022.
Auparavant à Utrecht, le plus grand salon de disques du monde se tient à Den Bosch depuis 2022. © Pierre Banoori

Envoyé spécial Den Bosch (Pays-Bas)

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La vue plongeante est saisissante. Sur près de deux hectares – l’équivalent de trois terrains de foot –, des bacs débordant de disques sont abandonnés à la voracité d’une foule grouillante dans un labyrinthe d’allées impeccablement perpendiculaires. « C’est le plus grand rendez-vous mondial des collectionneurs », sourit Elisabeth Matos, organisatrice de cet événement semestriel à Den Bosch, l’ancienne Bois-le-Duc, à mi-chemin de la Belgique et de l’Allemagne.

550 exposants venus de 32 pays et 15 000 visiteurs en trois jours

Installée aux Pays-Bas depuis vingt-cinq ans, cette Française aussi active que prévenante dirige avec son compagnon Stephan van Zal une dizaine de salons annuels réunis sous la bannière « Record Planet ». Celui-ci, justement baptisé « Mega », en est le vaisseau amiral avec 58 éditions au compteur et des chiffres vertigineux : 550 exposants venus de 32 pays – l’engouement est tel qu’une liste d’attente a dû être dressée –, 15 000 visiteurs étalés sur le week-end, près d’un million de vinyles neufs et d’occasion en vente.

Si le public local et des pays limitrophes est largement majoritaire, la monumentale « Brabanthallen » attire l’Europe et même le monde entier, des minutieux acheteurs japonais chargés de rapatrier les plus belles pièces du lot jusqu’aux disquaires venus du Mexique, de Corée, des États-Unis ou encore d’Afrique du Sud pour écouler leur marchandise. « C’est ici que bat le cœur du vinyle, explique Geoff Peverett, qui dirige à Johannesburg le principal magasin en ligne de son pays, “Jikajive” (« le temps de la danse », expression des townships). Il n’y a rien de comparable, l’énergie est addictive. Depuis 2015, je voyage avec environ 2 500 disques, surtout des pressages sud-africains rares d’artistes internationaux. Et j’ai de nombreux clients français ! » 

Non loin de là, Alvaro Acuña digère le décalage horaire de Santiago du Chili, à 12 000 km des champs de tulipes néerlandais. Son histoire épouse l’extraordinaire trajectoire-boomerang du vinyle : « Chez nous, le marché n’existait pas. Il y a douze ans, j’ai commencé à faire des allers-retours en Europe pour stocker puis commercialiser des disques d’occasion. L’an dernier, je suis devenu vendeur à part entière sur le salon. Pour moi, c’est une année de préparation entre l’achat des stocks, l’organisation fastidieuse du voyage et de l’hébergement. Mais ça vaut vraiment le coup, d’autant qu’au fil des années, je me suis fait pas mal d’amis. »

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Condamné à l’obsolescence par l’industrie musicale dans les années 1990, le vinyle tient une revanche éclatante, unique en son genre dans l’histoire du capitalisme (lire l’encadré). « On a vécu le creux de la vague au début du millénaire, se souvient Stephan van Zal. On ne vendait quasiment plus que du CD, les gens se débarrassaient de leurs vieux disques et de leur matériel. Mais il y a toujours eu des passionnés. » 

Et l’incroyable s’est produit : au milieu des années 2000, une nouvelle génération s’est entichée de ces pochettes colorées et de ces « galettes » parfois craquantes au son si chaleureux comparé aux fichiers numériques ou aux plateformes d’écoute. Le marché de l’occasion s’est envolé (il n’est toujours pas retombé, la plateforme mondiale Discogs est là pour en témoigner), celui du neuf a tout simplement ressuscité. « L’artefact a pris le pas sur la technologie », résume joliment Cassien Landolfi, collectionneur marseillais qui n’hésite pas à faire 3 000 kilomètres aller-retour en voiture pour être de la fête.

L’artefact a pris le pas sur la technologie

Et la musique, dans tout ça ? Sans surprise, c’est l’âge d’or du pop-rock – quand le vinyle était roi – qui brasse la clientèle la plus large avec des niches privilégiées comme le rock psychédélique, dont les albums originaux d’artistes obscurs des années 1960-1970 peuvent changer de main pour des centaines, voire des milliers d’euros suivant leur rareté et leur état. « Il y a des phases et des phénomènes de mode, tempère Elisabeth Matos. Ces derniers temps, le punk semble revenir en force, et la “black music” s’est considérablement développée. » 

Un nombre croissant d’adolescents ou post-adolescents

Le rap et l’électro font également recette dans cette incroyable caverne d’Ali Baba où certains exposants proposent des spécialités aussi pointues que la musique populaire brésilienne, le jazz d’Europe de l’Est ou le rock asiatique. « Quoi que vous cherchiez, vous le trouverez sans doute ici », tranche-t-elle, distinguant deux types de visiteurs : les collectionneurs purs et durs d’âge mûr, à la recherche de références précises et au pouvoir d’achat élevé, et les simples amateurs en quête de découvertes et de bons prix pour des « classiques » d’occasion − Fleetwood Mac, The Beatles, Pink Floyd, Led Zeppelin...

Parmi eux, un nombre croissant d’adolescents ou post-adolescents, ce qui réjouit l’organisatrice. « Nous encourageons la jeune génération à s’intéresser au vinyle. Les mineurs jusqu’à 15 ans accompagnés d’un adulte peuvent entrer gratuitement, et on voit de plus en plus de parents venir avec leurs enfants. » Ceux-ci seraient sur le point de déterrer une autre antiquité : la cassette audio, aux tarifs plus accessibles et bénéficiant d’un renouveau de l’usage du walkman (!).

Enfin, pour ceux qui, malgré tout, ne trouveraient pas d’intérêt au « crate digging », comme on dit dans le jargon (recherche de la perle rare), le salon propose une foule d’événements parallèles, enchères, expositions, dédicaces, lancements de livres, concerts de groupes, « sets » de DJ... Célébrations jubilatoires d’un objet et d’une culture qui, après une grosse décennie de sombres perspectives, tourne de nouveau (très) rond.

Un stupéfiant retour en grâce

La nouvelle n’a pas fait la Une des journaux mais elle est symbolique : le mois dernier au Royaume-Uni, le bon vieux 33 tours a fait son retour dans le panel des produits de consommation courante servant à calculer l’inflation au côté des hamburgers, automobiles et autres paquets de lessive. Il en avait été retiré en 1992, quand les adieux semblaient irrévocables.

Trop compliqué à fabriquer, volumineux, fragile, le vinyle devait disparaître au profit du CD (compact-disc) sous la triple pression mercantile des maisons de disques, qui espéraient faire racheter leurs références au nouveau format, présenté comme définitif, des fabricants de CD et de lecteurs du nouveau média. Au tournant du millénaire, la plupart des albums ne sortaient plus qu’en format digital. La résistance s’organisa autour des DJ et des collectionneurs, qui maintinrent un fil ténu mais capital via – notamment – les salons du disque. Effet inattendu de l’avènement des plateformes dématérialisées (Spotify, Deezer, Apple, Qobuz etc.), une partie non négligeable des mélomanes a progressivement renoué avec les sources « physiques » de l’écoute et les usines de pressage de vinyles ont redémarré.

Aux Etats-Unis, marché de référence, les ventes sont en hausse constante depuis 17 ans et dépassent désormais celles des CD. En France, cinq millions de disques neufs ont été écoulés en 2022, trois fois plus qu’en 2016 malgré des prix parfois prohibitifs (entre 25 et 40 euros en moyenne).

 

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