Avant “Civil War”, dix films qui expliquent l’héritage durable de la guerre de Sécession
Le conflit le plus meurtrier de l’histoire des États-Unis a laissé de nombreuses blessures, encore vivaces. Il a donné lieu à quantité de films, parfois polémiques.
- Publié le 16-04-2024 à 15h45
- Mis à jour le 17-04-2024 à 12h12
Civil War d’Alex Garland imagine que dans un avenir proche, le Texas et la Californie font sécession des États-Unis, au terme du troisième mandat d’un président despote. Communément appelée Civil War aux États-Unis, la guerre de Sécession fit rage entre 1861 et 1865. De nombreux films ont évoqué ce conflit, le plus meurtrier de l’histoire du pays, qui a fait entre 650 000 à 850 000 victimes.
Naissance d’une nation (1915)
D.W. Griffiths signe cette superproduction muette de près de trois heures, durée exceptionnelle à l’époque. Auparavant, le réalisateur avait déjà consacré une dizaine de films au conflit dont The Battle of Gettysburg (Le désastre, 1913).
Naissance d’une nation suit deux familles qui s’opposent pendant la guerre de Sécession et la période qui suit, la Reconstruction. Dans sa première partie, Griffith reconstitue la bataille de Petersburg. Il met également en scène l’assassinat du président Abraham Lincoln.
Adapté du roman d’un ségrégationniste, bardé de ses stéréotypes racistes et de l’héroïsation du Ku Klux Klan, le film a été qualifié de “film le plus raciste de l’histoire d’Hollywood”. Il n’en demeure pas moins novateur dans l’histoire du cinéma. En 2016, l’acteur et réalisateur Nate Parker a récupéré le titre pour une reconstitution d’une révolte des esclaves, dans le Sud des États-Unis.
- > Le film, désormais dans le domaine public, se trouve en libre accès sur YouTube.
Autant en emporte le vent (1939)
Aujourd’hui accusé de révisionnisme, ce classique de Victor Fleming est l’un des plus grands succès d’Hollywood : cent millions de spectateurs, huit oscars, 3,44 milliards de dollars de recettes (en 2020, en tenant compte de l’inflation)… En 1998, Autant en emporte le vent est listé par l’American Film Institute comme le quatrième meilleur film américain dans la catégorie “film épique”.
Adapté d’un best-seller de la romancière Margaret Mitchell, originaire d’Atlanta, principal décor du récit, Autant en emporte le vent a popularisé une vision contestable des événements, notamment par sa représentation édulcorée de l’esclavage et en épousant la thèse de la Cause perdue (la Confédération aurait lutté pour son indépendance et non pour le maintien de l’esclavage). Notule historique : le film a valu à Hattie McDaniel le premier oscar jamais attribué à une actrice afro-américaine.
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The Red Badge of Courage (1951)
Nous préférons le titre anglais de ce film de John Huston au contresens du titre français, La Charge victorieuse. Rien de très victorieux, en effet, dans cette peinture sombre des combats d’après un roman de Stephen Crane (La Conquête du courage, 1895), considéré aux États-Unis comme un classique sur le conflit.
John Huston, réalisateur envoyé sur le front européen durant la Seconde Guerre mondiale, a signé notamment Que la lumière soit (1946), sur le suivi psychiatrique des vétérans atteints de stress post-traumatique auquel Red badge of Courage fait d’autant plus écho que sa star, Audie Murphy, était le soldat américain le plus décoré de la Seconde Guerre mondiale.
Les Cavaliers (1959)
L’unique film de John Ford consacré au conflit est une version romancée de l’authentique raid de Grierson, mené en 1863. John Wayne incarne le colonel nordiste fictif John Marlowe qui dirige une brigade de cavalerie sur les arrières des Sudistes. William Holden joue un médecin-major qui s’oppose à Marlowe.
Quinze après la Seconde Guerre mondiale, Ford ménage la chèvre nordiste et le chou sudiste. Echo de la "Grande Génération", qui a servi sous les drapeaux entre 1941 et 1945, le film ne distingue pas l'héroïsme des Nordistes et le panache des Sudiste (la guerre du Vietnam commence à peine, pour les Etats-Unis).
John Wayne a joué un vétéran sudiste, trois ans plus tôt, dans le plus complexe La Prisonnière du désert. C’est une figure récurrente chez John Ford depuis Le Massacre de Fort-Apache (1948). Dans l'Ouest sauvage, face aux Apaches, l'union sacrée entre anciens frères ennemis primait…
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Les Proies (1971 et 2017)
Clint Eastwood et Colin Farrell ont, tour à tour, incarné un cavalier nordiste blessé est soigné et retenu captif dans un pensionnat de jeunes filles sudistes où il devient l’objet du désir des occupantes. À près d’un demi-siècle de distance, les points de vue diffèrent : masculinité castrée chez Don Siegel en 1971, féministe chez Sofia Coppola.
La guerre de Sécession n’est peut-être qu’une toile de fond. Mais ce huis clos psychologique évoque bel et bien des enjeux de domination avec l’allusion sous-jacente à la pureté originelle du Sud convoitée par le Nord. Dans la version de 2017, le soldat incarné par Colin Farrell est, de surcroît, un immigrant irlandais, enrôlé à la place d’un conscrit fortuné, moyennant finances. Un rappel que même une guerre fratricide se mène parfois par procuration.
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Josey Wales, Hors-la-loi (1976)
Clint Eastwood adapte un roman d’Asa Earl Carter (1925-1979), suprémaciste et membre du Ku Klux Klan, qui l’a publié sous le pseudonyme de Forrest Carter, en référence au fondateur du Klan, l’ancien général confédéré Nathan Bedford Forrest.
Josey Wales est un ancien rebelle qui refuse de prêter allégeance à l’Union. En fuite vers le Mexique, il rassemble une troupe hétéroclite de proscrits, victimes d’oppression (dont un chien galeux…). Eastwood détourne le roman en ode à la communauté, au libre arbitre et à la liberté individuelle. Et tant pis s’il faut les défendre les armes à la main…
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Glory (1989)
Et les Noirs dans tout ça ? Noble cause du Nord, les esclaves, affranchis ou non, sont longtemps restés invisibilisés dans le cinéma ou circonscrits au rang d’observateurs plus ou moins passifs. John Ford a, certes, fait de son Sergent noir (1960) un vétéran du conflit (incarné par Woody Strode, un fidèle du réalisateur) mais il faut attendre Glory d’Edward Zwick pour un hommage aux 37 000 Afro-Américains qui ont servi sous le drapeau de l’Union.
Le film, qui contribue à la reconnaissance de Denzel Washington (oscar du meilleur acteur dans un second rôle) et Morgan Freeman, s’inspire librement de l’histoire du premier régiment constitué uniquement d’Afro-Américains (en dehors des officiers, blancs).
Récemment, la mini-série The Underground Railroad, d’après le roman éponyme de Colson Whitehead, a évoqué le réseau clandestin d’aide aux esclaves fugitifs qui a permis d’exfiltrer vers le Nord ou le Mexique plusieurs dizaines de milliers de personnes.
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Chevauchée avec le diable (1999)
Ang Lee traite de la guérilla entre milices de bushwhackers pro-sudistes et de jayhawkers pro-nordistes, au Kansas et au Missouri, avec un casting de jeunes talents prometteurs : Tobey Maguire, Jeffrey Wright, Simon Baker, Jonathan Rhys Meyers, Jim Caviezel, Mark Ruffalo… Adapté du roman Woe to Live On, le récit se concentre sur Jacob (Maguire), fils d’immigrés allemands, et Host (Wright), un esclave affranchi resté fidèle à son ami sudiste George (Baker).
À travers ces deux bushwhackers contre nature, Ang Lee, un Chinois immigré à Hollywood, originaire d’un pays divisé, souligne les ambiguïtés et accidents d’appartenance à un camp. Le film mène à une rédemption via le renoncement progressif à la violence et à la vengeance. Cette tonalité compense la représentation un brin édulcorée du terrible massacre de Lawrence, perpétré en 1863 par 450 bushwhackers emmenés par le sanguinaire William Quantrill, épisode traumatique du conflit.
Gangs of New York (2002)
Et si Gangs of New York était un film crypté sur la vraie guerre civile de la société américaine ? La guerre de Sécession sert de toile de fond à ce récit de la “naissance d’une nation” au coeur de Manhattan (le quartier natal de l’Italo-Américain Scorsese, autour de Mulberry Street). Dans un plan synthétique, les cercueils des soldats tombés au front sont remplacés sur un quai du port par les nouveaux migrants, enrôlés à peine débarqués. La fin du film a pour théâtre les authentiques émeutes dites de la conscription en 1863.
Au même titre que les planteurs du Vieux Sud, Bill le Boucher (Daniel Day-Lewis) s’oppose par la violence à la politique d’Abraham Lincoln et aux mutations du pays qu’incarne Amsterdam (Leonardo DiCaprio). Bill prétend représenter le peuple face aux élites et à un nouvel ordre social. De là à y voir la préfiguration d’un certain homme d’affaires new-yorkais qui banalise le recours à la violence comme instrument politique…
- > À la location ou à l’achat sur Sooner et Prime Video. Le 22 avril sur arte.tv
Lincoln (2012)
Après d’innombrables films ou séries consacrés au sixième président des États-Unis, Steven Spielberg lui rend hommage, en détaillant sa délicate stratégie politique afin d’obtenir l’émancipation des esclaves. Le rôle a valu à Daniel Day-Lewis – encore lui – son troisième oscar du meilleur acteur.
Le conflit n’est représenté qu’en filigrane, notamment à travers une reconstitution du champ de bataille de Petersburg, trait d’union subliminal avec Naissance d’une nation où Griffith mettait déjà en scène cet épisode.
La récente série Manhunt sur AppleTV évoque les lendemains de l’assassinat de Lincoln et comment la Reconstruction et son héritage furent bâclés par son successeur Andrew Jackson, considéré comme le pire président des États-Unis (et modèle revendiqué de Donald Trump durant son mandat).
- > Lincoln A la location ou à l’achat sur AppleTV et Prime Video – Manhunt sur AppleTV (forfait)
Pour en savoir plus : “The Civil War”
En bonus, petit rappel de l’existence de la formidable série documentaire de Ken Burns. Ce n’est pas du cinéma, mais de l’Histoire au long cours. Pas de reconstitution, uniquement des photos et des peintures (plus de 16 000), habilement mises en scène (avec des effets de zoom et de panoramique baptisés depuis “effet Ken Burns”).
Les neuf épisodes n’en sont pas moins captivants et extrêmement vivants, portés par les “voix” des témoins des événements : lettres de combattants, articles de presse, journaux des civils restés à l’arrière (lus, dans la version originale par des pointures, dont Morgan Freeman, Jeremy Irons, Jason Robards ou Julie Harris). Pas moins de 39 millions d’Américains ont vu au minimum un épisode de cette série.
- > Disponible en DVD et sur arte.tv.