Zoran Milanović, le président (non) candidat qui bouscule les élections en Croatie
Les électeurs sont convoqués à des législatives anticipées ce mercredi. Le HDZ du Premier ministre conservateur Plenković est défié par les sociaux-démocrates du président de la République Zoran Milanović, qui a lui-même viré à droite toute…
- Publié le 16-04-2024 à 14h50
La transgression est devenue une habitude pour lui. Président de la République croate depuis 2020, Zoran Milanović a pris, de facto, la direction de la campagne de l’opposition pour les législatives anticipées, malgré la mise en garde du Conseil constitutionnel : le chef de l’État ne peut pas se porter candidat ni même faire campagne pour une liste, au risque d’entraîner l’annulation du scrutin. Zoran Milanović a rétorqué que les Sages n’étaient que des “paysans illettrés”, mais ne sera pas lui-même candidat. Par contre, si la coalition menée par son Parti social-démocrate (SDP), pompeusement intitulée “les Rivières de la Justice”, arrive en tête du scrutin, il démissionnera de la magistrature suprême pour former le gouvernement, même si l’on ignore comment il entend réaliser ce tour de passe-passe : c’est en effet le Président de la République qui remet la charge de former le gouvernement au candidat investi par la majorité parlementaire…
Zoran Milanović a déjà été Premier ministre de 2011 à 2016. À l’époque, ce diplomate de carrière né en 1966, faisait figure de social-démocrate bon teint, modéré et pro-européen : c’est sous son mandat que la Croatie a rejoint l’Union européenne, le 1er juillet 2013. La vie politique croate était alors sagement structurée autour de deux grands partis, le SDP au centre-gauche et, au centre-droit, l’Union démocratique croate (HDZ), la formation du “père de l’indépendance”, Franjo Tudjman ayant été “recentrée” par le Premier ministre Ivo Sanader, qui avait rompu avec le nationalisme de la décennie précédente, avant d’être lui-même emporté par un scandale de corruption…
La mue nationaliste du social-démocrate
L’adhésion à l’UE semble avoir eu des effets délétères sur la vie politique de son plus jeune État membre. Le HDZ est revenu à ses obsessions nationalistes, même si l’actuel Premier ministre, Andrej Plenković, aux affaires depuis 2016, essaie de tenir la barre pas trop éloignée des caps fixés par le Parti populaire européen (PPE). Laminé lors de plusieurs scrutins successifs, concurrencé par l’émergence de mouvements de gauche plus radicaux, le SDP avait vécu comme une divine surprise l’élection de Zoran Milanović à la présidence de la République, le 5 janvier 2020, la sortante HDZ ayant subi la concurrence d’un candidat d’extrême droite et souffert de mauvais report de voix entre les deux tours.
L’arrivée de Zoran Milanović au palais de Pantovčak, le siège de la présidence, une villa moderniste construite pour le maréchal Tito sur les hauteurs de Zagreb, semble avoir transformé l’homme, à moins qu’il ne s’agisse de la cohabitation avec Andrej Plenković. Dès son élection, il s’est mis à courtiser les associations d’anciens combattants de la “guerre patriotique” des années 1990, réservoir électoral de la droite. Distribuant des médailles à toutes les cérémonies en l’honneur du HVO, les milices croates de Bosnie-Herzégovine de sinistre réputation, il s’est même attaqué à la justice internationale, estimant que “tous ceux qui ont été condamnés à La Haye ne sont pas forcément des criminels de guerre”.
Provocateur en série
Zoran Milanović a multiplié les provocations à l’égard de la Serbie, tout en cultivant l’amitié de Milorad Dodik, le dirigeant sécessionniste serbe de Bosnie-Herzégovine, reprenant à son compte les arguments des nationalistes, tant serbes que croates, de ce pays, insultant le Haut-représentant international et les dirigeants bosniaques.
En fait, Zoran Milanović semble avoir systématiquement cherché à prendre le contre-pied des positions de la gauche croate, attachée à la tradition de l’antifascisme comme aux droits des femmes et des minorités nationales et sexuelles. Ainsi, il a profité des dernières commémorations de la libération du camp de concentration de Jasenovac, où les Oustachis, les collaborateurs croates des nazis, massacrèrent Serbes et Tziganes pour qualifier Milorad Pupovac et Veljko Kajtazi, respectivement présidents des Conseils nationaux des minorités serbes et roms en Croatie de “rois des voleurs de bazar”, “d’usuriers manipulés et amoraux”, de “caniches” et de “pandas mieux protégés que ceux du zoo de New York”. En janvier 2024, il annonçait qu’un ministre du gouvernement Plenković était gay, “et même pas dans le placard”.
Au lendemain de l’avis du Conseil constitutionnel sur sa candidature, le Président (non) candidat a indiqué ses priorités politiques : la Croatie doit observer la plus stricte neutralité à propos de la guerre en Ukraine, ne “plus compter sur les fonds européens”, mais chercher d’autres partenaires stratégiques, et protéger ses frontières “pour lesquelles tant de sang a été versé” et qui seraient menacées par l’arrivée de migrants…
Avec un tel programme, Zoran Milanović reprend les thématiques de l’extrême droite, dont les deux principales formations, Most et le Mouvement patriotique (DP), semblent assurées de pénétrer en force au Parlement, taillant des croupières au HDZ. Les sondages placent toujours en tête la formation conservatrice du Premier ministre Plenković, talonnée par la coalition menée par Zoran Milanović. Viennent ensuite l’extrême droite et le mouvement de gauche écologiste Možemo, qui espère bien récupérer les électeurs sociaux-démocrates effrayés par la nouvelle ligne du SDP, mais l’expérience des derniers scrutins montre que ces sondages sont étonnamment imprécis. Surtout, toutes les combinaisons post-électorales sont ouvertes…