HommageEntre légende et drames, Frank Darcel et Marquis de Sade ont marqué le rock

Entre statut de légende et tourments, Frank Darcel et Marquis de Sade ont créé « quelque chose d’unique »

HommageLe guitariste rennais, décédé la semaine dernière en Espagne, avait participé à la création d’un groupe devenu culte
Philippe Pascal (à gauche) et Frank Darcel (à droite) lors d'un concert de Marquis de Sade aux Vieilles Charrues en 2018. Les deux hommes sont depuis décédés.
Philippe Pascal (à gauche) et Frank Darcel (à droite) lors d'un concert de Marquis de Sade aux Vieilles Charrues en 2018. Les deux hommes sont depuis décédés.  - F. Tanneau/AFP / AFP
Camille Allain

Camille Allain

L'essentiel

  • Frank Darcel, guitariste du groupe Marquis de Sade, est mort le 14 mars à l’âge de 65 ans.
  • Son groupe faisait partie des icônes de la scène punk et new wave française à la fin des années 1970.
  • Son chanteur Philippe Pascal était décédé en 2019 peu de temps après la reformation du groupe.

Il a vécu 1.000 vies avant qu’elles ne s’arrêtent toutes brutalement en marge d’une escapade en Galice. Jeudi 14 mars, le corps sans vie de Frank Darcel a été retrouvé sur une plage de Ribadeo, dans le nord de l’Espagne. Pour l’heure, les circonstances de la mort de l’ancien membre de Marquis de Sade n’ont pas été précisées par les autorités espagnoles. On sait cependant que le corps du guitariste de 65 ans a été retrouvé au pied de falaises, « dans un endroit facilement accessible, juste à côté des escaliers menant à la plage ».

Le spectre d’une mort volontaire agite évidemment les esprits de tous ses proches, sonnés par l’annonce violente de la disparition de leur ami. Dans son entourage, personne ne s’attendait à voir Frank Darcel partir ainsi, lui qui avait « plein de projets ». Le guitariste travaillait notamment sur un coffret collector de Marquis de Sade prévu pour la fin de l’année dans lequel la voix de Philippe Pascal allait de nouveau résonner, quatre ans et demi après la mort du chanteur.

Le guitariste du groupe Marquis de Sade Frank Darcel est décédé le 14 mars 2024 en Espagne. La photographe Anne Marzeliere l'avait photographié l'an dernier dans le cadre du projet Marquis.
Le guitariste du groupe Marquis de Sade Frank Darcel est décédé le 14 mars 2024 en Espagne. La photographe Anne Marzeliere l'avait photographié l'an dernier dans le cadre du projet Marquis.  - Anne Marzeliere

Un peu moins de cinquante ans après sa fondation, le groupe de new wave a perdu deux de ses membres fondateurs. Ce qui pourrait marquer sa fin, après une et même deux renaissances.

Deux albums, une légende et puis s’en va

Nous sommes en 1977 et une partie de la jeunesse française se détourne du disco pour embrasser la scène punk, portée par le succès des Anglais des Sex Pistols. A Rennes, une poignée de gamins tout juste majeurs se lance dans l’aventure Marquis de Sade et boucle en peu de temps un premier album baptisé Dantzig Twist. Acclamé par la presse spécialisée, le disque offre au groupe un statut de légende auprès d’un public initié que l’on pourrait qualifier d’alternatif. « Ça a marché parce que c’était rare, que c’était unique. Ils sont entrés dans la légende », assure à 20 Minutes Jean-Louis Brossard, programmateur des Trans Musicales de Rennes, qui a bien connu Frank Darcel et Philippe Pascal.

Deux ans plus tard, Marquis de Sade revient avec un deuxième disque (Rue de Siam) au son moins punk et plus new wave mais toujours aussi ténébreux. « On avait bossé comme jamais. On s’était payé un producteur qui nous a fait bosser comme jamais. On voulait proposer quelque chose d’unique », se souvient Eric Morinière, le batteur du groupe.

Une séparation très rapide

Quatre ans après sa création, Marquis de Sade s’arrête, auréolé d’un statut de légende dans le cœur des fans mais sans immense succès populaire. Pourquoi une telle fin ? La raison est assez banale pour un groupe de rock. Philippe Pascal et Frank Darcel ne s’entendent plus. « Il y avait sans doute un problème d’ego et on se prenait la tête. Mais je pense aussi qu’on avait beaucoup donné. On avait enchaîné des dizaines de dates, peut-être trop. On avait beaucoup dépensé pour le deuxième album mais il s’était moins vendu que le premier, on était déçus. Je crois qu’il y avait une forme de soulagement que ça s’arrête », raconte à 20 Minutes le batteur. S’il avait continué, le groupe n’aurait peut-être pas gardé son statut d’icône d’une génération. Mais il s’est arrêté.

Une pause pour les autres

Pendant trente ans, chacun des membres vit sa petite vie. Frank Darcel travaille à la production des albums de son ami Étienne Daho, notamment La notte, la notte, deuxième disque qui offrira un immense succès au chanteur rennais avec le tube Week-end à Rome. « Frank a fait un travail incroyable sur ce disque. Il y a mis un son bien singulier, très minimaliste », se souvient Benoît Careil, ancien bassiste du groupe Billy Ze Kick et les Gamins en folie, aujourd’hui adjoint à la culture à la ville de Rennes. Frank Darcel savoure alors un succès immense dans l’ombre de Daho, voyant la scène rennaise exploser avec l’émergence de Niagara et des Nus. « Marquis de Sade était adoré d’une certaine communauté. Mais ce n’était pas un groupe populaire qui passait sur les radios nationales », se souvient Benoît Careil.

Le groupe Marquis de Sade ici en 1981, avant un concert à Paris. On y voit le chanteur Philippe Pascal au centre et Frank Darcel au premier plan à droite. Eric Morinière, batteur, est à droite, en vert.
Le groupe Marquis de Sade ici en 1981, avant un concert à Paris. On y voit le chanteur Philippe Pascal au centre et Frank Darcel au premier plan à droite. Eric Morinière, batteur, est à droite, en vert.  - Faux/Sipa

Pendant cette pause, Frank Darcel traverse une période difficile lorsqu’il a un tympan abîmé par l’alarme incendie d’un hôtel. Privé de musique pendant cinq ans, il se concentre sur l’écriture. Il continuera de publier des ouvrages, notamment une bible du rock en Bretagne que tous les spécialistes continuent d’admirer. Le guitariste ne cessera de s’ouvrir aux autres pour monter des projets collectifs. Sans doute un résumé de la vie du rockeur, père de trois filles. « Frank était quelqu’un d’une profonde humanité. Il avait un tempérament assez fort mais je ne le voyais pas directif. Il avait le désir que tout le monde soit bien », se souvient Anne Marzeliere, photographe qui a accompagné le groupe ces dernières années.

La renaissance et le premier drame

En 2017, Marquis de Sade se reforme pour un concert qui était censé être unique. « On s’était retrouvés au café de la Paix comme à l’époque. On s’est un peu pris la tête mais on a quand même bloqué une répétition. Dès qu’on a recommencé à jouer, on a retrouvé notre complicité », se rappelle Eric Morinière. A sa grande surprise, le groupe enchaîne les dates et remplit de belles salles comme le Liberté, s’offrant des dates de prestige aux Vieilles Charrues ou aux Nuits de Fourvière.

Marquis de Sade planche même sur un troisième album qui ne verra jamais le jour. Le 12 septembre 2019, le chanteur Philippe Pascal est retrouvé mort à son domicile rennais. La thèse du suicide est alors privilégiée. « Ça nous a énormément marqués. Philippe était un esprit torturé mais c’était la figure de proue du groupe. On ne savait pas s’il fallait continuer », se souvient le batteur.

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Frank Darcel, Thierry Alexandre et Eric Morinière décident de maintenir le bateau à flot mais se renomment « Marquis », comme pour honorer la mémoire de leur ami. Ils boucleront deux albums réussis avant de se mettre en pause, en raison de l’état de santé de leur nouveau chanteur. « Je ne les ai jamais vus aussi heureux que lorsqu’ils étaient sur scène. Je crois qu’ils retrouvaient le goût de leur adolescence, qu’ils ressentaient cette espèce de frénésie des débuts », estime Anne Marzeliere, les mots chahutés par l’émotion. Pendant des mois, la photographe a assisté au bouillonnement permanent qui régnait autour du projet Marquis, où les invités ne cessaient d’affluer du monde entier.

Un groupe, deux morts

A l’annonce de la mort de Frank Darcel, une pluie d’hommages s’est abattue sur la Bretagne que le guitariste aimait tant. Engagé en politique et militant de l’indépendance bretonne, Darcel avait été candidat à l’élection municipale en 2020. Un homme de conviction, qui ne se laissait pas marcher sur les pieds. Ce week-end, l’annonce de sa mort a été un choc pour tous ceux qui le connaissaient. « Je l’avais vu après les Trans, on était allés voir Daho ensemble. On s’était mis au fond de la salle pour avoir un meilleur son. Étienne lui avait même rendu hommage… Frank était bien, il avait plein de projets. Je suis sous le choc », admet Jean-Louis Brossard.

Après avoir digéré le décès de Philippe Pascal en 2019, Eric Morinière se dit abasourdi par ce deuxième drame frappant son groupe : « cela fait quarante-cinq ans que je le connaissais et jamais il n’a évoqué un début de malaise. Je sais que ça arrive parfois dans les groupes de rock. Mais c’est terrible. » Le projet d’album collector prévu pour la fin de l’année est à l’arrêt. Sans que l’on ne sache s’il sera un jour achevé.

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