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Réponse à la tribune du Dr Blachier : pour poursuivre le débat sur les 4P

Nous avons publié récemment une tribune du Dr Martin Blachier soulignant l’illusion que représenterait la médecine dite des « 4P ». Le docteur Pierre Rimbaud commente cette prise de position. Nous publions cette contribution qui permet de nourrir le débat. 

Par le docteur Pierre Rimbaud 

Notre confrère Blachier a le courage de nous dire que "le roi est nu". La médecine ne fait aucun progrès dans les domaines dits des "4P". Ce n'est en rien la philosophie des soins ni la mentalité des soignants qui font progresser la santé et les pratiques, ce ne sont que des avancées techniques et scientifiques.

La "Prédiction" est une illusion qui ne vaut qu'à l'échelle d'une population, et qui n'apporte rien de neuf à l'échelle individuelle. Depuis toujours, on soigne évidemment en fonction de signes dont l'expérience nous a appris qu'ils sont plus ou moins inquiétants. Prédire la santé n'est qu'évaluer un niveau de risque, notion statistique qui date de l'antiquité. On connaît les facteurs de risque de beaucoup d'événements, ce qui inquiète les gens mais ne change pas grand-chose à leurs comportements.

Si la prédiction probabiliste, c'est à dire le pronostic résultant de données observationnelles, conduit à des indications thérapeutiques graduées en fonction de ce pronostic, il s'agit là néanmoins d'une évidence médicale depuis toujours, dont le bénéfice souvent assez maigre est certes démontré en population mais reste incertain pour chaque individu. 

Rien de neuf donc, mais seulement un enrichissement continu des données, qui profite d'abord au marché en promouvant la dépense croissante d'outils d'évaluation biomédicale et la surmédicamentation forcenée au motif d'adapter au niveau de risque.

Pour ce qui est de la "Prévention", elle n'est pas vraiment un deuxième "P" médical puisqu'elle relève simplement de l'identification des risques, c'est à dire de la prédiction. Si l'espérance de vie a tant augmenté depuis l'antiquité, le talent des médecins n'y est pour rien : c'est en réalité le fait d'innombrables progrès dans la lutte contre les fléaux principalement alimentaires et infectieux. La santé publique étant, encore et toujours, menacée par de graves causes de morbidité évitable, développer l'hygiène sanitaire et sociale reste un impératif politique majeur, qui ne relève pas plus de la médecine. 

Le mythe selon lequel les soignants peuvent prévenir les pathologies est encore une méthode de promotion de la consommation pharmaceutique aux dépens des besoins considérables et prioritaires d'investissement dans la santé publique.

Quant à la médecine "Personnalisée", c'est une affreuse tautologie : une pratique soignante non personnalisée n'est pas de la médecine ! Encore une fois, cette notion ancestrale est au coeur de la relation soignante et l'on n'imagine pas de soigner quelqu'un sans tenir compte de la complexité de sa personne et de ses conditions de vie, de ses diverses affections et de ses antécédents, de ses intolérances, préférences et capacités.

Qu'y a-t-il de neuf à vouloir demain une médecine personnalisée ? On s'oriente au contraire malheureusement vers des pratiques totalement dépersonnalisées, fondées sur des recommandations de pratique ("guidelines") algorithmiques, lesquelles résultent de données expérimentales ("EBM") grandement artificielles. Aucun schéma de soin ne peut être appliqué aveuglément, et c'est pourtant ce que font maints praticiens qui pensent s'exonérer ainsi d'un risque professionnel, tout en simplifiant leur pratique.

Cette mécanisation de la médecine aboutit en particulier à une terrifiante inflation de multiples prescriptions incohérentes décrétées à toute vitesse par de multiples spécialistes, ignorants de tout contexte mais dramatiquement persuadés de "personnaliser" leur décision en fonction des "niveaux de risque" individuels !

Une chose bien différente est la "thérapie ciblée", fâcheusement confondue avec la personnalisation. Elle consiste à choisir, chez un individu, un traitement visant une cible biologique particulière identifiée chez lui. On ne peut pas appeler cela de la personnalisation, car ce qui est en jeu n'est nullement la personnalité du patient, mais une caractéristique biologique de sa maladie. De tout temps, la pharmacopée a visé des cibles thérapeutiques précises, en commençant bien sûr par l'antibiothérapie, et l'appellation "médecine de précision" dont on affuble les thérapies ciblées d'aujourd'hui ne sont encore que du marketing. Assurément, tous les nouveaux traitements, de plus en plus précisément ciblés, sont d'immenses progrès techniques, mais ils sont loin d'encourager les praticiens à personnaliser les soins et tendent au contraire à les éloigner de cette préoccupation.

Reste donc la médecine "Participative", qui est le socle commun à tout ce qui précède. Prédire, prévenir, personnaliser, sont trois missions qui requièrent depuis toujours une intense relation soignante, dont l'acteur principal doit bien sûr rester le patient. Il n'y a malheureusement, une fois encore, aucun progrès dans ce domaine qui est même le plus gravement fautif dans les pratiques soignantes d'aujourd'hui. Non seulement le paternalisme médical n'a pas disparu, mais il s'est aggravé d'un effrayant despotisme professionnel. Jadis, le médecin démuni de savoirs recourait à la persuasion ; dorénavant convaincu d'être savant, il impose ses diktats. 

De nos jours, les patients ne bénéficient assurément pas d'une implication accrue dans leur prise en charge, et leur compréhension effective des maladies et des soins est devenue impossible. Promettre une médecine de plus en plus participative est un voeu pieux, sans doute même un mensonge de plus.

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