Congo | Enfants métis de la honte : une histoire ni en noir ni en blanc
Ni noirs, ni blancs : juste métis et une histoire incomplète. À Kinshasa, nous avons rencontré ces Congolais nés de père belge avant et après la fin des colonies (1960). Ils ont été abandonnés, placés et reniés par leur père en raison de la honte que ces Belges blancs ne voulaient assumer. Si la Belgique a progressé sur la réparation, il y a encore du travail à accomplir.
- Publié le 10-04-2024 à 18h54
- Mis à jour le 18-04-2024 à 12h00
Le soleil cogne sur la toiture tôlée de la cour ; nous sommes dans le quartier Matonge de Kinshasa. “Quand on va chez les noirs, on nous appelle ‘mundele’ (les “blancs”), témoigne Béatrice, une grande dame dont l’élégance ne se limite pas à sa tenue soignée et aux bijoux qu’elle porte. Béatrice est une métis – prononcez “méti” – comme tous les membres de cette assemblée de l’association ASMECO (association des métis du Congo) rassemblés dans cette cour. Les métis du Congo incarnent l’héritage non assumé du passé colonial belge. Ni noir, ni blanc. Ni complètement congolais dans leur tête et aucunement belges de nationalité. Aujourd’hui encore, ils sont des milliers à chercher leurs origines après que leur père les ait abandonnés, reniés et effacé toute trace de paternité.
”Enfants de la honte et du péché”
Depuis, parfois, plusieurs générations, ces métis cherchent leurs origines et tentent de se construire sans savoir vraiment d’où ils viennent. En 2018, la Belgique a adopté une résolution relative à la ségrégation subie par les métis afin de permettre à un maximum de personnes d’accéder aux archives de l’Etat et aux documents permettant d’identifier leur filiation. Les métis n’étaient pas que le fruit de l’union entre une maman congolaise et un papa belge et blanc. De nombreux “enfants de la honte et du péché” ont été extraits de la structure familiale pour être placés en institut. Au cours de la période coloniale belge, au Congo, au Rwanda et au Burundi, ces enfants étaient enregistrés en tant que métis et plusieurs milliers ont été enlevés à leur structure familiale afin de dissimuler ces enfants que la Belgique ne voulait accepter.
Face à nous, chacun des membres de l’ASMECO veut faire entendre son histoire, ses questionnements. Tous et toutes n’ont pas des origines belges mais c’est de la Belgique qu’ils attendent les réponses. “La majorité des métis, ce sont des Belges. Mais il y a des Portugais, des Grecs, des Français, des Indiens, des Libanais… ”, explique Ferdinand Lokunda Dasilva, président de l’ASMECO. “Nous, le teint clair domine. Mais chez vous, dit-il en nous interpellant, on est des noirs. ” L’assemblée opine à l’unanimité par un “voilààààà… ”.
”Il faut revisiter la résolution”
L’association a pris connaissance des efforts de la Belgique pour réparer les hontes de son passé colonial. Pour ASMECO, la résolution de 2018 n’est pas suffisante car elle ne concerne que “les enfants nés avant 1960 (la fin de la colonie). Il faut revisiter cette résolution. Pourquoi ne pas reconnaître les autres ? ” Mais ASMECO reconnaît aussi que seule la Belgique a ouvert la voie “mais c’est une ouverture imparfaite. Charles Michel (ancien Premier ministre) avait demandé 'pardon' aux métis. Mais c’est quoi la contrepartie ? Nous, les métis du Congo, on ne vous a pas pardonné, ” dit-il en évoquant les “aventuriers blancs”.
Les revendications sont multiples car “on nous a confisqué la nationalité de notre père. Quand on arrive à Schengen (sous-entendant les portes de l’Union européenne), on doit fournir une litanie de documents. ” Ils espèrent obtenir des facilités pour obtenir un visa voire la nationalité belge “pour que nos enfants puissent facilement venir faire des études… Chez vous, un animal est protégé mais pas un enfant de votre sang car il est de mère noire. On nous a confisqué notre nationalité de père : mais de quel droit ? ”
Au premier rang de l’assemblée, Yolande, 73 ans, ne perd pas un mot de ce qui se dit. Son teint particulièrement clair fait écho aux témoignages de racisme structurel évoqués par ces métis. “Je ne connais pas mon papa, murmure-t-elle. Tout ce que je sais, c’est qu’il est blanc. ” De leur histoire, ces métis ne savent pas grand-chose, le papa ayant souvent plié bagage avant la naissance. Virginie est née en 1955 et sait juste de son père qu’il s’appelait “André Bxxx. Je ne sais même pas comment ça s’écrit. Il était ingénieur dans la construction mais je ne connais pas son histoire. ”
D’autres disposent de plus d’éléments comme Getou Zetu, née en 1975. Son cas illustre aussi celui d’enfants nés après la période coloniale mais dont le présent se conjugue avec les mêmes difficultés. “Mon père est rentré en Belgique en 1985 et avait fait une déclaration de reconnaissance avant de partir. Mais rien de plus car il a expliqué que sa famille ne l’accepterait pas. ” Getou a eu l’occasion d’échanger avec son père jusqu’à l’âge de 17 ans “mais il a maintenant coupé les communications. ” Entre ses mains, elle tient une feuille reprenant l’adresse, le numéro de téléphone, l’identité de son papa en Belgique et son domicile situé en Hesbaye liégeoise. Le grand-père de Tito, 61 ans, était belge et travaillait dans les mines de diamant : “Il ne voulait pas que sa femme sache qu’il avait des enfants ici. Il avait laissé une adresse ‘poste restante’ à Bruxelles pour qu’on lui envoie du courrier. Il avait aussi financé les études par correspondance de mon père. ”
Colette, elle, est parvenue à joindre ses demi-sœurs belges nées de l’union officielle de son père en Belgique. “Elles m’ont dit que leur maman était malade car elle ne supportait pas le fait d’avoir vu ma photo. ”
Jean-Marie, 55 ans, a entamé des recherches sur son papa en 1997. Il est allé jusque dans “le Congo central où j’ai rencontré celui qui fût son chauffeur. Ma mère m’avait dit qu’il était professeur à la mission catholique. ” Celui qu’il désigne comme son papa a été professeur d’université en Wallonie et écrivain. “Je lui ai envoyé une photo de ma mère et moi. Mais il a refusé d’entrer en contact car il ne l’avait pas dit à sa femme… ”
Les histoires se bousculent, les branches des arbres généalogiques s’enchevêtrent dans le passé honteux de la Belgique. Qu’ils soient nés avant ou après 1960, on saisit toute la douleur pour ces métis de ne pas avoir de contact avec ce père qui a ne leur a rien laissé, si ce n’est la couleur de peau. “Je souffre, assure Robert. J’ai des plaies qui ne sécheront jamais… ”
La ministre Lahbib “embarque” 19 métis vers la Belgique
Pour ces 19 Congolais, ce sera certainement leur premier voyage vers la Belgique. Ce mercredi, ils ont pris l’avion qui ramène la délégation belge et la ministre des Affaires étrangères à Bruxelles. Ces 19 Congolais sont des métis dont le père est belge. Ils vont participer à une forme de pèlerinage de 4 jours afin de se connecter avec leurs racines. Certains pourraient rencontrer leur famille – “mais il n’y aura pas de contact forcé”- d’autres pourraient aller se recueillir sur la tombe de leur père belge ou encore consulter les archives pour aller plus loin dans leur démarche. “On les a choisis en fonction de l’avancée de leurs recherches d’identité, explique Lot Debruyne, cheffe de mission adjointe à l’ambassade de Kinshasa. Ils sont principalement nés avant 1960.” Les chercheurs belges ont prioritairement axé leur travail sur les pères qui avaient travaillé dans le secteur public en raison d’archives mieux documentées. Pour tout ce qui relève de l’Eglise, une collaboration avec le Vatican a aussi été mise en place. Lot Debruyne rappelle ce que les métis expriment depuis des décennies : “le fait d’être métis leur donne beaucoup de désavantages dans la société. Notamment parce qu’ils ont été élevés avec un seul parent. En période d’élection, la 'congolité' est très marquée dans la société.” Et le fait de ne pas être nés de parents congolais noirs leur porte un réel préjudice.
Ce pèlerinage et ce retour aux sources devraient se reproduire dans les années à venir, a confirmé la ministre Lahbib. “Ça ne va pas effacer les souffrances car on sait qu’ils ont toujours été victimes de stigmatisation.” Lors de sa rencontre avec les 19 métis, la ministre a confirmé vouloir “aller plus loin, leur dit-elle alors qu’ils étaient rassemblés dans l’ambassade, prêts à prendre la direction de l’aéroport de Kinshasa. Vous êtes les 20 premiers et il y en aura d’autres qui pourront aussi renouer avec leur passé.”