Le sous-investissement à l’origine de la crise de l’eau en Guadeloupe
Des questions structurelles entravent depuis des années un accès régulier à l’eau potable en Guadeloupe. L’Etat et les collectivités tentent de trouver la parade avec des résultats encore insuffisants.
Cyril Peter avec AFP
Plus de trois semaines après des actes de malveillance qui ont privé d’eau 130 000 foyers, la situation est redevenue normale en Guadeloupe. Mais la crise a jeté un coup de projecteur sur l’approvisionnement problématique de l’archipel en eau.
D’où viennent les difficultés actuelles?
Le réseau d’eau guadeloupéen date des années 1960. Ses défaillances, observables « depuis 30 ans » selon Markus Agbekodo, le directeur du syndicat mixte de l’eau guadeloupéen (SMGEAG), résultent de décennies de défaut d’entretien et de sous-investissement.
La principale canalisation, appelée feeder, relie la Basse-Terre - à la pluviométrie plus importante - à la Grande-Terre. Un tuyau « solide », précise-t-il.
Le problème provient du réseau secondaire (les « ficelles »), dont certaines portions sont en PVC ou en ciment, un matériau qui se fissure, d’autant plus en zone sismique comme l’est la Guadeloupe. « On peut avoir jusqu'à 70% de fuites » sur certaines canalisations, explique-t-il.
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La Guadeloupe a par ailleurs longtemps été maillée d’une multitude de régies locales « qui vivaient leur vie dans leur coin », rappelle le préfet de Guadeloupe Xavier Lefort.
Conséquence : « un réseau pas interconnecté » et des « usines anciennes », le tout reposant sur « une ressource extrêmement fragile : 90% de la ressource en eau en Guadeloupe, c’est l’eau de surface, (...) de l’eau de petite rivière » très dépendante des précipitations.
Olivier Serva, député Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (Liot) de la Guadeloupe et rapporteur de la commission d’enquête sur l’eau, pointe « une responsabilité collective » dans la dégradation du réseau, dénonçant le manque de contrôle étatique, des problèmes de gestion et, à une époque, des « embauches électoralistes ».
Comment la population vit-elle la situation ?
Depuis plusieurs années, des coupures partielles appelées « tours d'eau », visant à économiser la ressource, touchent de nombreux foyers à intervalles réguliers. « Entre 60 et 70% de la population » est « aujourd’hui impactée », estime Xavier Lefort.
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Certains réseaux sont « mieux entretenus que d’autres », selon Olivier Serva. Les zones les plus touchées sont celles situées « en bout de réseau » à Grande-Terre, la partie de l’archipel la plus sèche. "Là on souffre", dit-il. Au quotidien, cela signifie qu’il n’y a pas d’eau.
« Et qui dit pas d’eau dit pas d’école, entreprises fermées. Un mois et demi, c’est la durée moyenne de privation de cours des élèves en Guadeloupe », selon Olivier Serva.
Quelles réponses apportées ?
Le Syndicat mixte unique de gestion de l’eau et de l’assainissement en Guadeloupe (SMGEAG) a été créé en 2021, se substituant aux régies. Ses priorités : réparer les fuites, poursuivre le renouvellement des réseaux et rétablir la confiance avec les usagers.
Sans compétence pour gérer l’eau (une responsabilité des collectivités locales), l’Etat s’est mobilisé pour aider à le « structurer et mettre sur les rails », selon Xavier Lefort. Pour cette année, 20M€ ont été versés au syndicat, après les 24M€ de 2023, assure Markus Agbekodo. S’ajoute un plan d’investissement de 320M€ sur trois ans, cofinancé avec la région et le département.
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Pour le patron du SMGEAG, le « quotidien » reste la réparation des fuites : « près de 6500 » en 2023 sur le réseau guadeloupéen. Autre enjeu : remplacer les canalisations les plus abîmées, selon lui, « à peu près 20% des canalisations » sur un réseau global de 3000km. Mais remplacer un km de canalisation coûte en moyenne 500 000€.
Quels problèmes subsistent ?
A sa création, le SMGEAG s’est vu attribuer les dettes des anciennes régies locales, un passif à gérer. Le préfet pointe aussi un « effectif surdimensionné » et un taux de recouvrement des factures trop faible, « autour de 60 à 63% alors qu’il faut être entre 75 et 80% pour fonctionner ».
Les premiers résultats observables du plan d’investissement sont attendus « d’ici à la fin de l’année voire début 2025 », promet le préfet. Objectif : faire baisser les « tours d’eau ». D’ici là, des solutions d’urgence resteront appliquées comme en mars 2024 : 750 000 litres d’eau ont été distribuées et des citernes installées.
Et la France continuera d’être pointée du doigt : fin mars, des experts mandatés par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU l’ont appelée à garantir l’accès à l’eau potable en Guadeloupe. Et des associations ont saisi le Comité européen des droits sociaux du problème.
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