La présidente de la Cour européenne des droits de l'homme Siofra O'Leary lit les décisions rendues par la CEDH, le 9 avril 2024 à Strasbourg

La présidente de la Cour européenne des droits de l'homme Siofra O'Leary lit les décisions rendues par la CEDH, le 9 avril 2024 à Strasbourg.

afp.com/Frederick FLORIN

Au mois de novembre dernier, le Forum annuel du conseil des droits de l’homme de l’ONU se tenait à Genève avec, à sa tête, un président… iranien. Imaginons que cette réunion ait eu lieu quelques mois plus tard, par exemple le 10 avril 2024. Imaginons la réponse de la présidence iranienne aux défenseurs des droits de l’homme qui l’invectivent : "Nous violons les droits de l’homme ? Quelle instance internationale nous a condamnés ? Si vous voulez vous en prendre à un pays mis en cause sur cette question, prenez-vous en au pays hôte de la conférence, la Suisse, condamnée hier par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour violation de la convention éponyme !"

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Cette scène n’a pas eu lieu, mais elle est possible dans un monde où l’Iran, qui massacre femmes, jeunes filles et toute personne mettant en cause le régime des mollahs, peut présider un forum des droits de l’homme et où la Suisse est condamnée pour violation de ces mêmes droits. La raison ? La plainte d’une association de femmes âgées suisses, arguant de l’insuffisante action de leur pays pour les protéger des conséquences du changement climatique. L’une des requérantes, écrit la Cour dans son arrêt, estime que "les canicules la privent de toute énergie. Elle explique qu’en été elle n’a pas le courage de sortir de chez elle pour aller nager".

"Le droit n’est jamais innocent de la société qui le fait naître", disait l’ancien secrétaire général de l’ONU Boutros Boutros-Ghali. La lecture des 288 pages de l’arrêt du 9 avril 2024 de la Cour de Strasbourg en est la parfaite illustration. Une société où l’on condamne un Etat pour l’insuffisance de son action climatique sur la base de l’article 8 de la convention européenne des Droits de l’homme - "toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance" - a assurément une étrange conception du droit. Du droit "pâte à modeler" : c’est ce qu’évoque le raisonnement de la Cour en l’espèce. Sans parler de l’intérêt à agir reconnu à cette association, suscitée par Greenpeace.

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Dans le compte rendu de l’assemblée de constitution de l’association en 2016, on lit que c’est Greenpeace, flanqué d’un bureau d’avocats, qui a lancé le projet, Greenpeace que les statuts de l’association font figurer comme financeur majeur. Il faut effectivement des moyens importants pour mener huit ans de procédure. Chacune est dans son droit, mais pourquoi cette action indirecte de l’ONG ? Pour une raison juridique : la CEDH refusant l’actio popularis, seules les associations directement touchées par la mesure en cause peuvent avoir qualité de victimes. Des femmes âgées : quoi de mieux pour répondre à ces critères ? Que Greenpeace promeuve par ailleurs un antinucléarisme viscéral, alors même que c’est une solution énergétique qui fait de la Suisse l’un des pays dont la production électrique est l’une des moins carbonées au monde, n’a visiblement pas posé problème à la Cour, qui a même accepté, parmi d’autres, les observations de Greenpeace pour forger sa décision.

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Et la cause climatique dans tout ça ? L’arrêt est contraignant : l’Etat suisse doit l’exécuter, sachant que la Cour lui laisse toute latitude quant aux mesures à prendre. Au passage, rappelons que, par le passé, ce sont les électeurs suisses eux-mêmes qui, par une votation, ont rejeté l’une des lois locales sur le climat. L’Etat suisse aurait-il le front de préférer le respect de la démocratie au climat ? Quoi qu’il en soit, ce que fera la Suisse ne changera évidemment rien au climat.

Reste qu’au-delà de ce seul pays, ce sont tous les Etats signataires de la CEDH qui sont concernés, soit les 46 Etats du continent européen, Turquie et Russie incluses. Au niveau mondial, 68,2 % des émissions de CO2 ont lieu dans dix pays, mais, parmi eux, un seul, l’Allemagne, est signataire de la convention. Quand bien même la Cour condamnerait tous ses membres, le climat n’en serait que peu affecté. Résultat des courses ? Activisme : 1, droits de l’homme : 0, climat : 0,1. Beaucoup de bruit pour rien, donc, sauf si le bruit est votre raison d’être. L’activisme a de beaux jours devant lui.

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