Le cuir a-t-il un avenir ?

Simili, vegan, non-cuir… la diversité des mots est troublante et prouve surtout que le filière du cuir est en train de s'adapter pour rester dans la course.
Céline Cabourg
Le cuir a-t-il un avenir ? iStock

C'est une conséquence inattendue du changement de nos habitudes alimentaires. La baisse de la consommation de viande et de produits laitiers, couplée à un développement du véganisme, vient secouer depuis plusieurs années la filière du cuir, lequel n'est autre qu'un sous-produit de l'industrie alimentaire. Le marché des accessoires doit donc s'adapter, d'autant que de nouveaux acteurs proposent des produits alternatifs qui ne sont donc pas en cuir, mais y ressemblent furieusement.

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Vrai ou faux ?

La concurrence n'est pas chose nouvelle, selon Frank Boehly, président du Conseil national du cuir. Il y a plus d'un siècle et demi, « les fabricants d'accessoires ont déjà commencé à utiliser des matières textiles et synthétiques » et, sur le marché de la chaussure (où le prix moyen, rappelle-t-il, est de 22 €), cette offre est même devenue majoritaire. Créé il y a onze ans, le laboratoire créatif ADC (Au-delà du Cuir) offre une synthèse des tendances, avec sa palette diversifiée en cuir et autres matériaux souples.

Entre MoEa, qui travaille à partir de déchets alimentaires, Phileo, qui propose à la fois du cuir au tannage végétal et de la peau de pomme, ou Valet de Pique, qui utilise des cuirs français, on a une idée de la pluralité de l'offre. « Je n'oppose pas cuir et alternatives, insiste Sylvie Pourrat, directrice du salon d'accessoires de mode Première Classe. De nombreuses expérimentations sont engagées, certaines tiennent, d'autres non. Les Américains travaillent même sur la culture du cuir à partir de cellules animales, ça va peu à peu s'installer. »

La recherche permanente pour de nouveaux matériaux

Pour l'heure, qui dit vegan ne dit pas éco-conçu. Les matières obtenues à partir de déchets de l'agroalimentaire contiennent encore des matériaux synthétiques issus de la pétrochimie. C'est ce qui a conduit, en France, la société Recyc Leather à innover davantage. Son matériau hybride, Pelinova, obtenu en projetant avec de l'eau des fibres de cuir recyclé sur une toile en Tencel Lyocell (fibre cellulosique créée par la société Lenzing), s'inscrit dans cette volonté d'une plus grande naturalité.

« Cela ressemble à de l'agneau dans sa souplesse », explique avec enthousiasme Olivier Grammont, cofondateur de la société. La marque Ganni, partenaire de cette recherche, l'a déjà utilisé pour la fabrication d'une botte. La bataille marketing d'appellations entre « vrais » et « faux » cuirs qui a accompagné cette diversification a eu une vertu : éveiller la curiosité du consommateur sur la nature des compositions et les conditions de production.

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Côté tannage, un progrès en matière d'impact

Par sa dimension solide et réparable, le cuir demeure inégalé en termes de durabilité. Reste la question de l'im-pact… « Le maillon le plus impactant était traditionnellement celui de la tannerie », poursuit Frank Boehly, car ce processus nécessite de l'eau et des produits chimiques. L'Europe, à travers notamment la réglementation Reach et ses nombreuses applications, a pris les devants. « En une dizaine d'années, les tanneries françaises ont réduit de 50 % leur consommation d'eau et de produits, précise-t-il. Certaines travaillent sur des pistes de solution sans chrome, mais on est encore dans de l'expérimental.

Aujourd'hui, 80 % du tannage se fait encore par des sels de chrome, car le tannage végétal ne permet pas d'obtenir des matières assez souples pour faire des blousons ou des gants », rappelle-t-il. « La recherche et développement travaille sur ces sujets de tannage végétal. Une nouvelle génération de produits en utilise, y compris dans l'habillement », complète Carine Montarras, cheffe de produit mode en charge du cuir chez Première Vision. Les runners de Icicle, de même que le sac César doré de la marque Balzac Paris sont en cuir tanné végétal. C'est le cas également de plusieurs pièces de maroquinerie Yves Saint Laurent, comme le cabas.

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Des peaux certifiées et traçables

Pour le consommateur, la traçabilité devient donc de plus en plus importante. « Il veut savoir d'où vient le produit, de quel élevage, quel en est l'impact, constate Carine Montarras. On voit se développer des solutions de cuir traçable, comme celle proposée au luxe par Domaine des Massifs. De même, la tannerie Spoor propose des peaux brutes certifiées unitairement. » Les certifications sont en effet un gage supplémentaire de transparence. Privilégiant les solutions durables, Balzac Paris cherchait ainsi un cuir traçable, à impact réduit (comme pour son sac Sofia). « Nous avons opté pour la certification Leather Working Group, qui s'est développée depuis cinq ans », explique Marion Henry, responsable sourcing, traçabilité et impact de la marque. Leur cuir bovin, qui provient essentiellement d'Europe (Espagne, Portugal, France), est certifié sur l'essentiel des références.

Le client dispose par ailleurs d'un QR code (mis en place avec la société Fairly Made) pour suivre la traçabilité. Elle ajoute : « 100 % de nos modèles éternels sont tracés et 80 % de la maroquinerie. On vise le 100 % en 2028 et 2029 pour les chaussures. » L'idée, à terme, est de pouvoir tracer des peaux depuis le sac en remontant jusqu'à l'élevage, dans le respect non seulement de l'animal, mais aussi de son environnement. Alors, oui, dans ce contexte, le cuir reste une matière durable et incontournable !

le 09/04/2024