Nous avons reçu la lettre suivante de M. Henri Robert Debray, cousin de Régis Debray :
Demander l'indulgence pour Régis Debray. implorer la pitié, réclamer même une grâce, me semble relever d'une analyse inexacte de la situation présente. Régis est-il innocent ou coupable de collusion avec les éléments rebelles boliviens ? Nous n'en savons rien. De quoi est-il accusé? Nous l'ignorons. Pourquoi fut-il arrêté ? Personne ne nous l'a dit. Certes, on peut avancer des arguments personnels (et comme d'autres membres de ma famille je pourrais le faire) qui rendent hautement improbable sa participation active à la lutte contre le gouvernement constitutionnel bolivien. Mais il ne s'agit pas de cela. Les arguments pour sont plus convaincants. L'objectif constant de tous les pays d'Amérique latine dans lesquels se manifeste une agitation politique est de prouver d'une manière quelconque l'ingérence castriste dans ces pays. Le but est de faire condamner Cuba par tous les organismes latino-américains, et partant de l'isoler, de neutraliser son influence idéologique en dédémontrant précisément un quelconque passage de la théorie révolutionnaire à la pratique armée.
Or Régis Debray est professeur d'histoire de la philosophie à l'université de La Havane, détaché par le gouvernement français depuis décembre 1965. Il était présent à la conférence tricontinentale de La Havane, et ses rapports amicaux avec Fidel Castro ont été remarqués. Il écrivit un livre de théorie révolutionnaire qui n'eut rien de secret puisqu'il connut une très large diffusion à Cuba et fut l'objet de controverses officielles ; ce livre parut il y a quelques semaines en français d'une manière nullement clandestine. Quelques semaines, voire quelques jours avant sa capture en Bolivie, sa présence à Cuba est démontrée.
Comment croire dans ces conditions que Régis ait pu avoir une quelconque mission politique en Bolivie ? Peut-on tomber dans un piège aussi grossier ? Les raisons qui l'ont amené en Bolivie sont connues. Le fait qu'on ait rapproché son arrestation de combats en cours est bien entendu tactique mais ne constitue aucune preuve. Dans ces conditions, Régis doit être présumé innocent. Nous ne réclamons ni sa grâce, ni à l'autre extrême sa libération, mais que commence l'instruction publique de son procès, qu'il soit présenté à un juge d'instruction, que les membres de la presse internationale le voient, qu'il ait un avocat indépendant. Ce sont les conditions minima exigibles afin que toute la lumière soit faite sur cette affaire, aussi pour d'évidentes raisons politiques. Ceux dans le monde entier qui se sont inquiétés, s'inquiètent de son sort, ont le droit de connaître la vérité.