Publicité

L'épineux chantier de la fin des rues sans nom ni numéros

Toutes les communes ont jusqu'au 1 er  juin pour se conformer à l'obligation d'adressage. Les enjeux sont importants, des colis aux GPS en passant par les services de secours et la fibre optique.

Selon La Poste, le nombre de bâtiments « sans adresse précise » a été divisé par deux depuis 2016, « en dessous du million et demi ».
Selon La Poste, le nombre de bâtiments « sans adresse précise » a été divisé par deux depuis 2016, « en dessous du million et demi ». (Shutterstock)

Par Laurent Thévenin

Publié le 17 avr. 2024 à 11:01Mis à jour le 17 avr. 2024 à 12:09

Pas loin de trois ans pour en venir à bout. Quand il s'est attaqué à la remise en ordre de l'adressage à Plougrescant, Gilbert Rannou, le premier adjoint à la maire de cette commune de moins de 1.200 habitants dans les Côtes-d'Armor, n'aurait jamais pensé que ce dossier lui donnerait tant de fil à retordre. Mais devant le grand nombre de bizarreries (comme cette route comprenant six numéros 1 !), de résidences secondaires « sans véritable adresse » ou de noms faisant doublon, « nous avons décidé, dit-il, de tout reprendre à zéro ».

Ce travail colossal répondait à une « urgence » : des habitants se plaignaient de ne pas recevoir leur courrier tandis que « les secours perdaient parfois vingt à trente minutes pour trouver la bonne maison ». Au final, seules 138 des quelque 1.450 maisons ne connaissent pas de changement. Le basculement a eu lieu le 15 avril.

« Un gros travail »

Le chantier de l'adressage bat son plein dans des milliers de localités, sous l'aiguillon de la loi dite « 3DS » (différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification) de 2022. Avec ce texte, les communes de moins de 2.000 habitants doivent donner un nom à toutes les voies, y compris les voies privées ouvertes à la circulation, ainsi qu'aux lieux-dits et numéroter tous les bâtiments - une obligation qui ne concernait auparavant que celles de plus de 2.000 habitants. Il leur est demandé de publier d'ici au 1er juin leur base adresse locale (BAL) centralisant toutes ces données et venant alimenter la « base adresse nationale », le référentiel unique de l'adresse en France.

Publicité

Tout le monde ne sera pas prêt au 1er juin.

Ariane Rose, cheffe de projet données à l'Agence nationale de la cohésion des territoires

Aucune sanction n'est prévue pour les retardataires. Mais les élus ont conscience de l'importance de ce travail pour les services de secours, la livraison des colis, la mise à jour des GPS ou le déploiement de la fibre optique. Beaucoup reste à faire.

Selon le site officiel adresse.data.gouv.fr, plus de 18.200 communes - soit plus de la moitié des 34.935 communes françaises - ont publié leur BAL. C'est le cas de 49 % de celles de moins de 2.000 habitants. Alors qu'elles devaient le faire le 1er janvier dernier, seules 61 % des communes de plus de 2.000 habitants ont rempli cette obligation. Au total, selon La Poste, le nombre de bâtiments « sans adresse précise » a été divisé par deux depuis 2016, « en dessous du million et demi ».

« Tout le monde ne sera pas prêt au 1er juin », anticipe Ariane Rose, cheffe de projet données à l'Agence nationale de la cohésion des territoires, en première ligne pour faciliter la création des BAL : « Les situations de départ étaient très disparates. Certaines communes n'avaient pas du tout d'adresses. Nous pouvons les aider en leur donnant un assemblage de données du cadastre, de l'IGN ou des opérateurs télécoms, mais derrière, elles ont encore un gros travail à effectuer. »

Le sujet n'a rien d'une formalité. « L'adressage était déjà en partie fait ; on l'avait commencé sous le mandat précédent. Mais, depuis, il y a eu de nouvelles constructions, de nouveaux quartiers, de nouvelles rues », témoigne Jean-Yves Ponthier, le maire de Labégude, une commune de près de 1.400 habitants en Ardèche. Avec, donc, autant de vérifications à faire sur le terrain, de nouveaux noms et numéros à attribuer, par exemple dans les lotissements. « Nous serons prêts le 1er juin, mais c'est un gros travail », assure l'édile.

Crispations

Face à l'ampleur de la tâche, certains départements ou intercommunalités peuvent venir prêter main-forte aux communes. « C'est une problématique que nous avons identifiée très tôt, d'autant que nous avons eu la création de 43 communes nouvelles qui se sont parfois retrouvées avec des dizaines de rues ayant le même nom », explique Sylvie Lenourrichel, vice-présidente du conseil départemental du Calvados. La collectivité normande - qui a recruté un chargé de mission dédié à l'adressage - a fourni depuis fin 2019 une aide gratuite en ingénierie à 508 des 528 communes du territoire.

« C'est tellement technique et compliqué qu'on a délégué cette démarche à La Poste », souligne Philippe Veyer, maire de Saint-Clément-de-la-Place (2.200 habitants), dans le Maine-et-Loire, où l'opération est en voie de finalisation. Sur ce territoire de 33 km2 comptant une trentaine de hameaux, les nouvelles dénominations et numérotations vont concerner 370 foyers sur 870. « La durée moyenne d'une opération, de la première rencontre avec la mairie jusqu'à la délivrance du certificat d'adressage aux habitants, tourne autour de neuf à douze mois », précise Christel Papillon Viollet, directrice de l'unité d'affaires solutions efficacité territoriale de La Poste, qui a déjà vendu son service « de mise en qualité de leurs adresses » à 4.500 communes depuis 2017.

Dans tous les cas, « il est important d'associer les habitants », insiste Anthony Guérout, maire de Saint-Aubin-Routot (Seine-Maritime), qui suit le dossier à l'Association des maires de France. Tout particulièrement au moment de préciser les adresses des « lieux-dits », une source potentielle de crispations. « Les maires sont pragmatiques. Le but est de bousculer le moins possible la population », observe Ariane Rose. Comme à Marans, en Charente-Maritime, où les voies ont pris les noms des hameaux. « De toute façon, quand on parle de l'intérêt de l'adressage pour les secours d'urgence, tout devient plus simple », glisse Jean-Marie Bodin, le maire de cette commune de plus de 4.500 habitants.

Si elles ne sont plus tenues depuis la loi 3DS de payer les premières plaques de numéro, les communes prennent souvent cette dépense à leur charge. A Plougrescant, l'achat des 1.300 numéros et des 200 plaques de rue va coûter 14.000 euros à la mairie. « Il faudrait que les petites communes aient une subvention exceptionnelle de l'Etat », plaide Gérard Clavé, maire de Bartrès et président de l'Association des maires ruraux des Hautes-Pyrénées.

Laurent Thévenin

Nos Vidéos

xx0urmq-O.jpg

SNCF : la concurrence peut-elle faire baisser les prix des billets de train ?

xqk50pr-O.jpg

Crise de l’immobilier, climat : la maison individuelle a-t-elle encore un avenir ?

x0xfrvz-O.jpg

Autoroutes : pourquoi le prix des péages augmente ? (et ce n’est pas près de s’arrêter)

Publicité